Un pigeon roucoule sur l'appuie de fenêtre, l'immeuble se réveille doucement. Des gens sortent dans la coure intérieure, on entend les cris des enfants.
La sœur de Gabriel et son petit ami sont déjà debout, le bruit de la cafetière et l'odeur de pain grillé rappelle qu'il est l'heure de se lever.
Son premier matin en métropole, Yann allongé sur le ventre, détaille le préservatif que Gabriel a eu du mal à accepter d'enfiler cette fois-ci.
- Dis, tu n'as toujours pas fait le test ? demande le réunionnais, curieux.
- Hum hum... répond d'un hochement de tête négatif, son amant encore dans les vapes.
- Tu m'avais promis ! Moi je me suis exécuté ! râle-t-il.
- T'as dit qu'd'toutes façons tu l'f'rais jamais sans protection, alors qu'est-ce ça peut t'faire ?
- Avant moi, tu as pris des risques, tu n'aimerais pas savoir ? Puis, je pourrais te sucer au naturel ce serait plus agréable, affirme Yann d'un air dégagé.
- S'tu veux tout savoir, j'me suis dit qu'finalement, si j'ai attrapé un truc, j'préfère pas être au courant.
- C'est stupide, les gens malades doivent se soigner, sinon tu meurs plus vite.
Gabriel blanchi.
- Ch'uis pas malade ok ! Arrête de m'faire flipper !
- ...
- Puis d'abord pourquoi qu't'accepte pas qu'on l'fasse sans protections tiens ? s'intéresse Gabriel.
- Ha bha déjà si jamais tu as chopé un truc mon cher...
- Bha si t'es prêt à l'faire sans, j'demande un dépistage tout d'suite, là ok ! Au moins ça m'f'ra une bonne raison.
- N'importe quoi... C'est quoi ça, du chantage ?
- À quoi bon garder la capote même après un dépistage ? T'as pas confiance en moi, tu crois qu'j'vais t'tromper ? l'accuse Gabriel.
- Non...
- Bha quoi ?
- Je l'ai fait qu'une fois sans et j'ai pas envie de réitérer, c'est tout, tranche Yann.
- Tu vas pas m'dire qu'ça t'as déplu hein, c'est forcément meilleur sans !
- Mais c'est quoi cette discussion ? Pas envie de parler de ça moi !
- Attend c'toi qu'a commencé hein ! relève-t-il outré par la façon dont Yann se permet sans cesse de retourner ce genre de conversation en se posant en victime.
- ...
- C'est vrai quoi, t'es casse-couille ! ajoute-t-il. Tu choisi l'thème et après tu râles qu'tu veux pas en parler !
- C'était ma première fois.
- Hein ?
- La fois où j'ai eu des rapports sans, c'était ma première.
- Ha, ouais évidement, l'gars a été un peu rapide, c'est ça ? T'étais pas préparé ? C'est vrai qu'la première fois c'est souvent un peu... enfin t'vois ? Crois-moi, c'est certain'ment pas à cause du préso si t'as eu mal !
- Ça va, me prends pas pour une connasse. J'ai largement plus d'expérience que toi ! Je sais tout ça ! J'avais treize ans et...
- Putain t'es un chaud du cul toi, treize ans ! Tu m'étonnes qu't'as eu des dizaines de mecs, en commençant si tôt forcément.
Yann vexé tourne la tête sans répliquer.
- Quoi ?
- ...
- Ok, ch'uis à côté de la plaque, c'est ça ?
- ...
- Explique-moi.
- ...
-P'tain t'es lourd, arrête de tirer la gueule pour rien.
- J'étais jeune, là ! C'est tout. Je n'ai pas su comment réagir. C'est un très mauvais... hésite-t-il. Un très mauvais souvenir et le faire sans préservatif bha ça me bloque depuis. Ça me rappelle ça, tu comprends ?
Le silence plane quelques instants, Yann feint de s'occuper de réarranger un peu le lit en remettant la couette en place pendant que Gabriel le scrute interrogateur.
- Raconte, finit-il par demander en lui attrapant le poignet pour stopper tout mouvement.
- J'ai pas envie.
- J'croyais qu'on s'cachait rien.
Yann réfléchi, il n'a pas des masses de choix et aucun échappatoire ne lui vient à l'idée.
- Bon ok, promet-moi que tu m'écouteras sans me couper la parole.
- Ch'uis tout ouïe.
- Voilà... débute-t-il mal à l'aise. Souvent je jouais au beau avec mes potes. Tu as vu comment ils sont, machos prétentieux et complètement cons la plupart du temps. J'ai toujours eu l'impression qu'il fallait que je prouve quelque chose. Ce jour là, à la piscine ce fut le cas. À cette époque, tout le monde disait que j'étais gay, de mon côté, je me cherchais encore. Dès lors, je roulais bêtement des mécaniques devant les nanas. Je faisais tout pour me faire remarquer par l'assemblée et au pire si vraiment je sentais que j'étais pas crédible, je jouais le rôle de la tapette jusqu'au bout en grossissant le personnage pour ne surtout pas qu'on me prenne au sérieux.
- T'as pas tellement changé hein !
- Tu as dit que tu ne me coupais pas la parole !
- J'ai rien dit...
- Ce jour là, je n'ai évidement tapé dans l'œil d'aucune nana mais un mec est venu me parler, j'ai compris tout de suite que je lui plaisais. Et bon ça à été plus loin que je le prévoyais c'est tout.
- C'est tout ?
- ...
- Yann t'as dit qu'tu m'racontais. C'quoi ça, plus loin qu'prévu ? T'as couché avec un inconnu ?
- ...
- J'vais pas t'juger t'sais.
- À force d'avoir honte de trainer avec moi et craignant que la populace les assimile à ce que j'étais, mes potes m'avaient lâché la grappe, j'étais donc tout seul. J'en ai profité, j'ai joué un peu la drague, juste pour voir ce que ça donnait. C'était pas complètement innocent, j'étais un ado et comme tous, je découvrais le pouvoir de la séduction. Je me testais quoi.
- Ouais bha y'a pas d'mal. Et y s'est passé quoi ?
- Au départ pas grand chose, on a discuté. Le gars m'a demandé ce que je faisais là, si j'avais une copine. Il a finit par chercher à savoir si je préférais les mecs. Il n'y avait rien de sournois, il ne cachait pas ses intentions. J'avais beau être jeune, je savais qu'il me draguait ouvertement. Il a dit qu'il me trouvait très mignon. On ne me faisait jamais de compliments sur mon physique. Alors tu penses, je ne me suis plus senti pisser. On a parlé tout l'aprem' tranquillement. Il avait peut-être quarante ans, plus ou moins, je n'sais pas trop.
- Quarante ? Ha ouais quand même !
- Il a dit qu'il était étonné que j'ai pas de zézère*. Je lui ai avoué que je n'avais pas beaucoup de succès auprès des filles et aussi que je n'étais pas très bien monté. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à lui raconter tout ça. Je me sentais en confiance, j'avais envie d'être plaint, content de plaire à quelqu'un, pour une fois. Je n'étais qu'un imbécile de môme plus ou moins conscient de l'effet que je lui faisais, je cherchais à jouer au grand.
- On passe tous par là hein.
- Il m'a poussé sans problème, à m'épancher sur moi et mes complexes, alors que je n'en parlais jamais à personne sauf à Marie. Au moment de rentrer, il m'a dit qu'il ne me croyait pas, que j'avais un corps plaisant, que lui, il aimerait avoir un copain foutu pareil. Sûr, j'ai rigolé, j'y ai pas vraiment cru. Il a insisté en ajoutant que si je le souhaitais, il vérifierait pour moi. Il a ajouté que lui, il avait ce qu'il faut et qu'il en avait vu des bites ! Que si j'avais besoin d'être rassuré, il me donnerait son avis.
- C'est glauque.
- Chutt ! J'ai dit non, je trouvais ça un peu gênant quand même. Il a insisté. On longeait les cabines de douche et il m'a un peu empêché d'aller plus loin. Il a renchéri, que bon, on était deux mecs, qu'on avait tout les deux la même chose entre les jambes et il a réagi comme-ci j'avais dit "oui" en me poussant accepter. Finalement son jugement avait l'air normal, alors comme un con, je suis rentré dans la cabine de douche avec lui. Il a de suite retiré son caleçon de bain, c'était le genre de mec à l'aise, pas du tout gros pervers. Un simple gars qui se dessape et qui se savonne. Du coup, j'ai suivi le mouvement. J'étais intimidé mais son corps m'a plu. C'était pas un vieux crouton tout rabougri, très bien conservé,il avait une sacrée musculature. Je me souviens que ses poils pubien étaient gris, c'est pour ça que je l'ai daté assez âgé, puis à cause de sa voix aussi. Il m'a reluqué, au début l'air de rien. Il m'a sorti un truc du genre « Bah ça va pour ton âge, tu n'as pas non plus à rougir, elle est longue. » Ça m'a soulagé d'entendre ça, vraiment. J'étais tellement mal dans ma peau à cet âge. Je me suis détendu, j'étais content. Mon allure c'était vraiment pas ce dont je pouvais être fier. Il ma demandé : « Et quand tu es en érection ? » J'ai dit que j'en savais rien, que oui, certainement qu'elle devait être un peu plus grande et grosse. C'est là que ça à basculé. Il me l'a attrapée, ça m'a surpris, je n'ai pas su comment me comporter. Je n'voulais pas passer pour un pleutre. J'ai commencé à me sentir très mal. Il a dit qu'il allait me donner du plaisir et qu'ainsi on saurait. Dans ma tête une petite voix criait "non". J'aurais dû lui dire, je ne l'ai pas fait. J'ai paniqué en entendant mes potes qui m'appelaient, on était à deux dans cette douche, mon maillot était par terre avec le sien. J'ai eu la moulaz* qu'ils ne me surprennent. Malgré tout ce qu'on disait de moi, je refusais d'être un pédé, enfin surtout que ce soit sûr. J'étais pas prêt à assumer. Il a commencé à me caresser, je me suis mis à bander, c'est là que tu te rends compte que tu ne maitrises rien, même pas ta propre bite. J'avais envie de pleurer et j'arrêtais pas de me dire qu'il ne fallait surtout pas qu'il s'en rende compte. Je me disais que lui, il faisait des efforts pour me faire plaisir, je me devais au moins de simuler. En plus, impossible de lui mentir en affirmant que ça ne me faisait rien, vu la trique que j'avais. Personne ne m'avait jamais touché. Il m'a demandé de caresser la sienne. Au début j'ai feins de ne pas entendre, du coup, il m'a accusé de prendre mon pied alors que lui non. Il a ajouté, que je lui devais bien ça.
- P'tain c'mec a abusé d'toi !
- ...
- Désolé j'voulais pas t'interrompre.
Yann soupire et reprend son récit.
- J'ai donc tenu son gros canon entre mes doigts. Il ajouté sa main par-dessus pour ne pas que je le lâche. Ça me dégoutait. Il soufflait tel un bœuf, dans mon oreille. Au bout de quelques minutes, il m'a sorti que pour ma bite ça allait mais qu'il allait me vérifier le cul. Je suis resté sans voix. J'ai cherché des yeux un moyen sortir de la cabine, j'ai réfléchi rapidement à la façon de l'éconduire, ou à comment contester ? Mais tout restait dans ma tête. Pas un son n'est sorti de ma bouche, je n'ai pas été capable du moindre mouvement. Il s'est mis à ricaner et m'a demandé si j'aimerais être sa petite pute, sans me laisser le temps d'objecter. Il m'a retourné telle une crêpe face contre le mur, m'a écarté les cuisses comme si j'étais une poupée, j'ai compris que j'allais y passer. Je me suis résigné, me rassurant comme j'ai pu, en me répétant que de toute façon, vu comment mon corps réagissait, j'étais sûrement homo et qu'il faudrait que j'y passe un jour ou l'autre. Qu'aujourd'hui ou plus tard ça ne changeait pas grand-chose. C'était seulement une façon de fermer les yeux face à ce qui était en train de m'arriver. Il a enfoncé ses doigts... annonce-t-il lentement en ravalant sa salive devant la face atterrée de Gabriel.
- Yann...
- Malgré-moi je me suis dandiné pour tenter de m'échapper, c'était super désagréable. J'ai eu l'impression qu'il m'écartelait et que mon cul ne m'appartenait plus, l'horreur. Je me suis dit : « Il va comprendre, il va arrêter. » Pourquoi je ne l'ai pas stoppé ?
Yann a le visage tendu et ses yeux rougissent.
- J'ai uniquement serré les dents sans rien tenté d'autre. Il m'a demandé si je n'aimais pas ses doigts, j'ai admis que :« Pas vraiment ». Là il a rigolé et il m'a dit : « Je vais te mettre autre chose, tu vas voir ! »
Sa gorge se noue et les larmes montent.
- J'ai cru qu'il m'avait déchiré, tellement j'ai eu mal.
- ...
- La douleur a été si intense que je n'ai pas su crier, c'est resté coincé dans ma gorge. Il m'a décollé de terre à chaque pénétration. J'essayais tout pour me mettre le plus possible sur la pointe des pieds, afin qu'il n'aille pas trop profond, c'était inutile. J'ai fermé les yeux très forts, ainsi que la bouche. Je me suis évertué à ne pas sortir un seul son, mes potes passaient et repassait le long du couloir, mortifié, je priais pour que ça se termine. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Quand il a fini, j'ai failli éclater en sanglot mais il m'a fixé content de lui et m'a affirmé : « C'était bon ! ». Il s'est rhabillé tranquille pendant que moi je me séchais. J'ai fait style de rien alors que je ne tenais presque plus droit sur mes jambes. Mon cul me brulait, j'avais des lancinements dans tout le bide. Il s'est barré me laissant là, seul dans la douche, à moitié rhabillé. Quand j'ai senti le sperme couler dans mon boxer, j'ai dû me refoutre à poil et me relaver. Il a toqué à la porte, quelques minutes plus tard, j'ai cru qu'il allait remettre ça, du coup je n'ai pas ouvert. Il a alors passé sa main en-dessous et m'a tendu sa carte de visite en me balançant qu'il était ok pour remettre ça quand je voudrais.
Gabriel ne dit pas un mot, totalement sidéré par le discours de son amant.
Yann hésite à poursuivre.
- Je... Je sais que j'aurais dû dire non, c'était pas un viol hein, il a dû croire que j'étais d'accord c'est tout.
- T'es con ou quoi ?
Yann espérait qu'au moins son copain le comprenne, décontenancé, il fait mine de se relever afin que Gabriel ne voit pas son écœurement. C'est sans compter sur le reflexe de son amant, qui de suite est sur lui. Yann est emprisonné dans les bras de son petit ami avant d'avoir eu le temps de dire ouf !
Il ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe. Gabriel l'étreint sans prononcer une seule parole. Yann se bat intérieurement pour ne pas se remettre à pleurer pendant plusieurs secondes, puis il craque.
- Je ne l'avais dis à personne, même pas à Marie. J'ai vraiment manqué de présence d'esprits, je sais. J'ai tellement honte.
- T'y es pour rien abruti !
- Mais...
-Bien sûr qu's'était un viol, en plus à vingt cinq ans tu fais pas dix huit, un vrai gamin, à treize tu devais avoir l'air d'un bébé quoi !
- ...
- C'type à profité d'ta jeunesse, d'ta peur, du poids d'l'adulte qu'il faisait peser sur toi. Il a manipulé ta naïveté, il a joué avec ta honte, p'tain ça m'débecte !
- Il s'attendait peut-être à ce que je refuse si ça allait trop loin, puis tu sais, je l'ai un peu dragué et suivi.
- T'es vraiment un idiot d'croire qu'c'est ta faute. Tu d'vais être mort d'trouille dans cette cabine de douche.
Yann se souvient du sentiment qu'il a éprouvé à ce moment là, un frison lui parcours le dos.
- Oui... J'ai eu peur. Mais...
- Y'a pas d'« mais » ce type est un monstre, point ! J't'aime bébé, j't'aime, j'espère qu't'auras jamais peur de m'dire non.
- Ça ne risque pas.
- Tant mieux.
- Je veux dire que ça risque pas que j'ai envie de te dire non.
- Pfff t'es con. Comment t'as encaissé ? J'suppose que t'as pas porté plainte.
- Je ne vois pas sous quel motif.
- Ha oui, c'est vrai c'tait pas un viol, vraiment n'importe nawak !
- ...
- Ch'ais pas si j'aurais réussi à avoir des rapports normaux après un truc pareil moi.
- J'ai attendu d'avoir presque dix sept ans avant de remettre le couvert figure-toi.
- Et ça c'est passé comment ?
- Rien d'exceptionnel mais c'était agréable et ça m'a réconcilié avec la chose.
- Et j'comprends maintenant, j't'aime mon cœur. Si tu veux qu'on s'protègejusqu'à la fin de not' vie, on l'f'ra, promis. J't'emmerderais plus avec ça. J'ai envie qu't'aime ça, pas que ça t'fasse du mal. Ch'uis vraiment désolé.