La femme en noir avait réussi à semer ses poursuivants. Après s’être réfugiée à l’étage adjacent pour échapper à la femme au lance-grenade, elle était tombée sur un autre membre du commando envoyé à la poursuite de Claire. Celui-ci n’avait pas eu le temps de réagir, qu’il se trouvait déjà au sol, inconscient. La femme en noir devait retrouver sa cible et elle n’avait pas de temps à perdre avec des mercenaires de bas étages. Après avoir atteint l’extrémité du bâtiment et l’escalier qui s’y trouvait, elle avait fini par rejoindre le parking souterrain. En route, elle n’avait trouvé aucune trace de la femme au lance-grenades et cela la soulageait tout autant que ça l’inquiétait. Elle était en train d’avancer entre les voitures quand elle entendit un bruit. OK, je ne suis pas toute seule, pensa-t-elle. Sur sa gauche se trouvait une porte qui donnait sur une pièce dont elle ignorait tout. Elle essaya d’analyser la situation. Elle se trouvait dans un parking. Les seules pièces qui pouvaient l’entourer étaient soit la loge du gardien, soit une remise, soit… autre chose. Elle ne voyait pas ce qui pouvait s’y trouver d’autre, mais elle devait bien reconnaître que les parkings de grandes sociétés n’étaient pas sa spécialité. Je déteste travailler en territoire inconnu, songea-t-elle en approchant de la porte. Tout en pointant son arme en direction du battant, elle avança la main gauche pour actionner la poignée. C’est alors que la porte s’ouvrit à la volée et qu’elle se retrouva nez à nez avec une femme.
Claire n’avait pas pris la direction de la sortie tout de suite.
Elle s’était assise sur un banc des vestiaires et était restée un moment à regarder son téléphone sans savoir qu’en faire. Bien sûr, elle avait vu suffisamment de films d’espionnage pour savoir qu’il fallait s’en débarrasser, mais cette solution ne lui semblait pas la plus utile. Finalement, elle avait trouvé une idée bien plus satisfaisante à ses yeux. Elle avait décidé d’acheter un billet de train pour la destination la plus lointaine, tout en prenant bien soin de payer avec sa propre carte bancaire, afin de laisser une piste bien visible. Puis elle irait retirer une somme conséquente en liquide, comme si elle avait regretté sa décision après coup. Une fois installée dans le wagon qui serait le sien, elle activerait la géolocalisation et brancherait le chargeur de son téléphone à l’une de ces nouvelles prises dédiées. Puis à la première escale, elle descendrait en laissant le téléphone branché et camouflé dans le train. Elle n’aurait plus qu’à louer une voiture sous un faux nom – en espérant qu’aucune pièce d’identité ne lui serait demandée, mais elle était persuadée qu’en en échange d’une grosse somme tout le monde était enclin à fermer les yeux. Enfin, elle prendrait la direction du poste de police le plus proche. Son téléphone, quant à lui continuerait son voyage en train à l’autre bout du pays et, elle l’espérait, appâterait toutes les personnes qui se seraient mises à sa recherche. Elle était satisfaite d’une partie de son plan, mais l’autre lui paraissait bancale. Pourquoi ne pas aller directement voir la police sans faire toutes ces simagrées ? Parce qu’elle avait peur, voilà tout. Si des mercenaires suréquipés avaient réussi à imposer un black-out total à tout un quartier, et que la police n’avait pas encore débarqué malgré tous ces coups de feu, qui lui disait que cette même police n’était pas elle aussi impliquée ? Réfléchis, Claire, réfléchis, s’ordonna-t-elle. Et arrête d’être aussi parano, lui souffla sa voix la plus raisonnable. Mais comment arrêter d’être parano alors que sa meilleure amie venait d’être assassinée sous ces yeux ? Nouvelle meilleure amie, rectifia-t-elle avec tristesse, l’ancienne, pour ce qu'elle en savait, allait bien. Elle inspira un grand coup et décida de se lever du banc où elle était assise depuis bien trop longtemps déjà. Elle avait de la chance que personne n’ait eu l’idée de chercher dans le vestiaire. Elle s’approcha de la porte d’un pas décidé. Elle allait sortir d’ici et après, elle déciderait quoi faire. Elle ouvrit la porte à la volée et se retrouva nez à nez avec une femme.
— Alicia ? s’exclama Claire sans trop comprendre ce que son amie faisait ici.
— Claire ! lui lança Alicia quasi simultanément et sur un ton visiblement soulagé.
Alicia la poussa dans le vestiaire qu’elle s’apprêtait à quitter, referma la porte derrière elles et enchaina avant même que Claire n’ait le temps de comprendre ce qui se passait.
— Tu vas bien, tu n’es pas blessée ?
— O… oui, je vais bien, balbutia Claire. Mais…
Elle réalisa alors que quelque chose clochait.
— Qu’est-ce que tu fais avec une arme à la main ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. Et habillée en noir comme ça ? On dirait… une mercenaire ?
Claire termina cette phrase en reculant d’un pas. Elle sentit le monde s’écrouler à nouveau autour d’elle. Son amie d’enfance, vêtue comme les gens qui venaient d’assassiner ses collègues. Son cerveau ne voulait pas comprendre ce que ses yeux essayaient de lui montrer. Elle continua de reculer jusqu’à ce que son dos percute la rangée de casiers. Elle était en proie à une confusion mêlée à une terreur grandissante. La panique la gagnait petit à petit.
Alicia posa son arme sur le sol et avança les deux mains devant elle.
— Je ne suis pas avec eux, tenta-t-elle de la rassurer.
Tout en parlant d’une voix douce et rassurante, elle entreprit de s’avancer.
— Je sais ce qu’ils ont fait à tes collègues là-haut…
— Amis ! la coupa Claire, les larmes aux yeux. Ils étaient plus que des collègues.
Elle repensa à son amie Lisa gisante dans son propre sang et laissa le chagrin la submerger.
Alicia en profita pour franchir les derniers mètres qui les séparaient pour prendre son amie dans ses bras.
— Je sais ma chérie, lui souffla-t-elle. Et j’en suis désolée. Si j’avais su, j’aurais été là plus tôt.
Claire la repoussa doucement et sécha ses larmes. La curiosité reprenant le dessus, elle lui demanda :
— Mais comment ça : plus tôt ? Et qu’est-ce que tu fais habillée comme ça ? Al, je ne comprends plus rien de ce qui se passe ici.
Alicia inspira un grand coup, comme si elle s’apprêtait à révéler le plus grand des secrets à son amie. Ce qui dans un sens était effectivement le cas. Elle savait que ce moment viendrait fatalement depuis qu’elle avait été attachée à cette mission.
— OK. Je travaille pour une agence et j’ai été chargée d’empêcher ces gens de mettre la main sur le secret que tu as découvert.
— Mais… quel secret ? Je n’ai rien découvert du tout… Et une agence ? Mais de quoi est-ce que tu me parles exactement ?
— On n’a pas le temps. Je t’expliquerai plus tard. Il faut d’abord qu’on sorte d’ici pour te mettre en sécurité.
Claire qui n’était pas convaincue par les explications d’Alicia, recula à nouveau d’un pas et croisa les bras pour signifier son mécontentement. Elle s’apprêta à asséner une réplique bien sentie à « l’agent » Alicia quand la porte du vestiaire vola en éclat. Claire se réfugia sous un banc en hurlant, tandis que son amie faisait volte-face en plongeant à son tour. Elle dégaina un second pistolet, d’un holster caché dans son dos, et fit feu en direction de la porte défoncée. Claire entendit que les coups avaient porté leurs fruits quand un gémissement se fit entendre, suivi du bruit mou d’un corps tombant sur le sol. Elle commença à se relever quand Alicia la poussa brutalement en direction de la douche.
— Va te cacher là-bas, lui chuchota-t-elle.
Claire acquiesça silencieusement et se dirigea vers la cabine pendant qu’Alicia contournait le banc situé au milieu de la pièce, pour se poster le long du mur. Elle attendit quelques secondes et un bruit se fit finalement entendre. Un mouvement qui se voulait silencieux, mais pas assez pour les oreilles entrainées de la jeune femme. Au moment où le nouvel assaillant passa les bras par l’ouverture, Alicia se jeta sur lui et le désarma en un éclair. Elle abattit la crosse de l’arme qu’elle venait de subtiliser sur le crâne de son propriétaire et se dirigea silencieusement vers le parking.
Quelques minutes plus tard, elle revint auprès de Claire.
— C’est bon, la voie est libre.
Claire, qui avait compris que le moment n’était pas aux questions, suivit son amie en silence. Elle ne savait pas si elle devait lui faire confiance, mais elle savait qu’Alicia venait de lui sauver la vie. Et par deux fois, si la femme en noir des escaliers était bien elle.
Située non loin dans le parking, une voiture banale attendait.
— C’est la mienne, informa Alicia. On va l’utiliser pour partir d’ici. La tienne doit déjà être bardée de traceurs.
Claire qui avait envisagé de protester trouva cet argument convaincant et grogna son assentiment. Elle avait l’impression qu’Alicia l’avait trahie. Elle ne s’était pas retrouvée depuis une semaine que son amie avait déjà des secrets à lui révéler. Et quels secrets ! Elle savait que ce n’était pas le moment de ressasser toute cette histoire, mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander si leur rencontre au bord de l’eau, ainsi que le repas qu’elles avaient partagé la veille au soir n’étaient pas prémédités et dictés par la « mission ». Elle esquissa une grimace en s’asseyant côté passager et boucla sa ceinture en silence. Son amie allait devoir s’expliquer et elle avait intérêt à être convaincante.