La soirée battait son plein. Daphnée était bien décidée à ne pas se laisser déborder par la situation. Eléonore lui avait donné sa règle d’or en trois points : « La number one, c’est PAS DE MELANGES. En début de soirée, tu te fixes sur une boisson. Il faut que tu trouves ton élixir de prédilection et que tu t’y tiennes. La règle number two, c’est NE FUMES PAS QUAND T’ES DEJA BOURRÉE. Je pense que j'ai pas besoin de développer, tu te souviens de ta soirée d’hier j’imagine ? Et enfin, la number three, c’est FAIS GAFFE A TON VERRE. Tu ne le lâches pas des yeux, ça évite qu'on te mette un truc dedans. Ah et oui, un dernier conseil : fais toi payer un max de verres. Tu verras, les mecs ont tendance à être généreux en soirée avec les filles. Mais bon, ce soir, tout est à volonté alors... »
Daphnée avait hoché la tête, enregistrant ces précieuses informations. Elle se contentait donc de siroter une bière en écoutant Ashley et Amanda discuter. Eléonore était à sa droite, absorbée dans une grande discussion avec Rolph et Antoine. Elle essayait visiblement de capter l’intérêt de son crush, mais c’était Roplh qui était le plus réceptif, riant à toutes ses blagues et la bombardant de questions. Antoine avait l’air concentré sur la musique. Il regardait fixement le mec du BDE qui passait les morceaux en faisant une drôle de tête. La musique ne doit pas lui plaire, pensa Daphnée.
A sa gauche, Etienne, Greg, Baptiste et d’autres qu’elle ne connaissait pas encore disputaient une partie de beer-pong. Elle se dit tout à coup : ça y est, on dirait que j’ai une bande de potes. Puis, tout aussi brusquement : il faut que je m’intègre dans les conversations, que je montre que je suis intéressante, sinon ils vont me zapper.
Elle tendit l’oreille à droite : Rolph racontait à Eléonore comment il avait sauvé une porté de chatons de la noyade pendant ses vacances à Biscarrosse – elle ne voyait pas comment rebondir là-dessus. Elle n’avait jamais rien sauvé, elle ne savait même pas nager. Elle tourna la tête vers les A, comme avait commencé à les appeler Eléonore plus tôt dans la soirée. Ashley disait à Amanda qu’elle pensait que le prof de thermomètre électronique était gay. Amanda lui répondit : « Pourquoi tu dis ça ?
- Ça se voit trop, t’as vu ses manières ? Il est carrément efféminé en plus…
- Qu’est-ce que ça peut te faire ?
- Je m’en fous… Anyway, c’est dommage il est canon. »
Daphnée s’immisça dans la conversation : « Parce que tu comptes te taper un prof ? »
Ashley éclata de rire :
- « Pourquoi pas si le mec me plait ? On est majeurs après tout !
- Mais c’est pas déontologique, ça se fait pas de coucher avec ses élèves, rétorqua Daphnée.
- Tu sors d’où Daphnée ? T’as été élevée par des bonnes sœurs ? » répliqua Amanda.
Daphnée rougit légèrement. Elle voulait se rendre intéressante et voilà qu’elle se rendait ridicule. Elle entendit une voix derrière elle qui venait à sa rescousse : « Un prof exerce un rapport de domination sur l’élève, puisqu’il lui attribue des notes ; par conséquent avoir des rapports sexuels avec une étudiante biaise forcément son jugement sur ses capacités et ses compétences. »
C’était Djamila, très élégante dans un pantalon fluide bleu et un chemisier blanc. Elle portait de jolies perles aux oreilles et avait attaché ses cheveux en un chignon très serré. Daphnée ressentit une bouffée de reconnaissance suivie d’un sentiment d’infériorité quand elle vit comment elle était habillée. Il faut dire que si tout le monde avait fait un effort sur sa tenue, personne n’avait autant de prestance que Djamila. Même Eléonore, dans sa robe longue d’été à petites fleurs rouges, ne dégageait pas la même impression. Daphnée avait revêtu un jean et un tee-shirt noir des plus basiques, mais avait laissé Éléonore lui faire un brushing qui mettait en valeur sa chevelure châtain. Amanda était celle qui avait le style le plus proche de sa tenue : simple et sans aucune prétention. Daphnée remarqua tout à coup qu’elle avait un tatouage dans le cou.
Celle-ci clôtura le débat : « De toute façon, il faudrait déjà que tu trouves un prof qui ait envie de se taper une grande rousse qui est incapable de la fermer 5 minutes ! »
Ashley rit à nouveau, visiblement pas vexée le moins du monde, et changea de sujet : « Alors, qui vous fait craquer les filles ? Elle désigna un étudiant non loin d’elles. Lui, là, vous en pensez quoi ? »
Amanda lui répondit : « Ah mais moi c’est pas ma came. Je les aime avec plus de nichons tu vois ? » Elle regardait Ashley en souriant, et le visage de celle-ci changea lentement d’expression, le temps que l’information arrive au cerveau compte tenu de la demi-douzaines de verres qu’elle s’était enfilé. Elle bafouilla quelque chose que personne ne comprit puis réussit à sortir : « Ah… ça alors ! Tu es la première lesbienne que je rencontre ! So exciting !
- A t'entendre, on croirait que je fais partie d'une espèce en voie de disparition »... répliqua Amanda en rigolant à moitié.
Daphnée quant à elle, avait bien failli s’étouffer avec la gorgée de bière qu’elle avait dans la bouche au moment où la phrase d’Amanda était parvenue à ses oreilles. Elle essayait de cacher désespérément qu’elle manquait d’air, par peur qu’Amanda croit qu’elle était choquée – ce qui n’était pas le cas. Daphnée se moquait royalement de la sexualité des gens.
Ashley, qui décidemment n’en ratais pas une, continua : « Mais tu ne ressembles pas du tout à une lesbienne !
- Ah bon ? Ça ressemble à quoi une lesbienne ? Il faudrait que j’ai les cheveux rasés et que je porte un baggy ? » dit Amanda sans se départir de son sourire.
- « T’as raison, je raconte n’importe quoi ! » répondit Ashley. Elle attrapa vivement Amanda dans ses bras, renversant généreusement de la bière sur elle et sur Daphnée. « Ça ne change absolument rien, tu sais », cru-t-elle bon d’ajouter. Elle était de ceux qui une fois éméchés, aimaient tout le monde et le manifestait bruyamment.
- « J’espère bien, de toute façon je me fous complétement de ce que peuvent penser les autres », dit Amanda qui n’avait pas l’air fâchée mais qui repoussa gentiment Ashley.
Ce genre de conversation n’aurait jamais eu lieu si elles n’étaient pas ivres toutes les deux, pensa Daphnée. Ashley n’aurait peut-être pas dit tout ça, en tout cas pas comme ça. L’avantage, quand on parle peu comme moi, c’est qu’on risque moins de dire des conneries, se dit-elle.
Amanda se tourna vers elle : « Et toi Daphnée ? Rien à dire ? Tu ne me félicites pas d’avoir fait mon coming out ? » Elle souriait toujours.
- Je ne vois pas pourquoi je te féliciterais. Tu n’as rien de spécial »…Aïe… Elle s’était mal exprimée. Elle essaya de se rattraper : « Ce que je veux dire, c’est que je me moque bien de savoir ce que tu fais de tes fesses. »
Amanda rit à nouveau : « Ah mais il va falloir que je fasse tout pour changer ça alors ! »
Ashley ouvrit de grands yeux et regarda Daphnée qui rougit jusqu’à la racine des cheveux. Elle s’exclama : « Et bien… Je vais vous laisser les filles !!! » Elle donna une petite tape dans le dos d’Amanda et se dirigea vers le bar. Daphnée réussit à articuler, affreusement embarrassée : « Non mais je suis pas intéressée en fait…déso. »
Amanda lui donna à son tour une petite tape dans le dos : « Je plaisantais ! Arrête de flipper. C’était pour nous débarrasser cinq minutes d’Ashley, histoire de souffler un peu ! »
Daphnée ne put s’empêcher de se demander : elle plaisante sur quoi ? Sa sexualité ou le fait que je lui plais ?