Hier, j’ai découvert la ville de Kilkenny comme dans un voyage dans le temps. En traversant les grandes avenues pavées où les cris se faisaient entendre, où la saleté traversait les fenêtres, j’ai bien cru avoir marché jusqu’à plusieurs siècles en arrière ! Néanmoins… même avec des oies qui manquent de t’égorger pour t’être approché trop près de leur appartement, il faut avouer que c’est une bien belle ville, au bon caractère irlando-normand. Est-ce bien là que les Sasanachs ont interdit en premier lieux les mariages entre les colons Gall-Gàidheal et les irlandais ? Aujourd’hui on dit et je le vois bien : Hiberniores Hibernis ipsis, et c’est la seule phrase que je connais en latin après la messe !
Chaque ville que j’ai visitée avait sa propre ambiance et son caractère, mais de toutes, Kilkenny est de loin la plus joyeuse d’entre elle. Ici, les conflits identitaires semblent comme évaporés, et si la pauvreté est aussi présente qu’ailleurs, chacun semble en représentation théâtrale avec ce même rôle de seigneur viking bourru et ivre. A la nuit tombée toute la ville s’est illuminée, du château aux lampes à huile et une procession s’est faite naturellement pour fêter le début du printemps. Je me suis fait emporter et Dieu que j’ai joué, et dansé ! Marty aurait été fier.
J’ai passé ma nuit avec une très jolie fille qui m’a fait tourner la tête. Elle s’est présentée à moi d’elle-même, avec un sourire dont la blancheur illuminait les rues. Elle m’a dit se nommer Alice et n’avoir que dix-neuf ans. Elle me paraissait assez âgée, mais mère m’a déjà bien fait comprendre comme l’âge pouvait être sujet sensible pour ces dames, alors je n’ai pas insisté. Et puis je me suis fait emporter…
Le rose de ses joues était plus doux que la plus fine des soies, et son rire m’aurait transporté au bout du monde. On a sauté, tourné, dansé, claqué des talons ensemble, et notre sueur s’est mélangée au bout de nos doigts. Mais les plus beaux rêves ont une fin et profitant qu’un air se finissait je me suis dirigé vers les stands de boissons. Et alors que je m’échappai et que son parfum disparaissait, je l’ai vue faire un geste bien étrange de sa fine main vers sa tête et… enlever un œil de verre.
As I roved out walking one evening this May
A charming young damsel I met on my way
She had jewellery and riches,
she had diamonds and gold
And she said she was a virgin,
only nineteen years old!
Et puis… Elle a disparu. Au lieu de quoi, un homme déjà bien saoul s’est approché de moi, disant m’admirer pour mon courage d’avoir osé danser avec « la sorcière de Kilkenny ». Je lui ai demandé des explications, outré et prêt à défendre l’honneur de ces dames tel que ma mère me l’aurait enseigné, mais il s’est immédiatement désintéressé de la discussion. Et plus les hommes s’approchaient de moi, plus ils me félicitaient et me questionnaient, à propos de cette soi-disant sorcière de Kilkenny… « Est-elle aussi vieille qu’on le prétend ? » Elle n’a que 19 ans, ai-je alors assuré avec tout l’aplomb nécessaire. « Plutôt 90, oui ! Et 900 ans serait même plus proche du compte… »*
On awakening next morning,
I thought I would faint
When she scraped from her two cheeks a full pound of paint
And on her left shoulder a hump I behold
"Oh, " sayd I, "You're a daisy, only nineteen years old?"
Je n’ai aucune véritable explication, mais en me levant ce matin, j’ai traversé le Nore et je suis tombé sur une plaque commémorative qui m’a accroché l’œil. Dans les années 1300 une dame de la noblesse normande nommée Alice Kyteler a été mariée à 4 maris différents qui ont tous trouvé une mort tragique. Elle fut accusée de sorcellerie et dut s’enfuir vers l’Angleterre, laissant derrière elle une servante qui subira la torture à sa place. Elle est la sorcière de Kilkenny, la première sorcière accusée d’un tel pêché sur les îles britanniques et sa servante affirmait qu’elle était capable de faire voler du bois en y appliquant un onguent secret.
Je quitterai Kilkenny demain ou plus tard, après avoir écrit librement quelques vers sur toute cette histoire. Mieux vaut en rire, pas vrai ? J’appréhende tout autant que je souhaite retomber sur Alice pour plus d’explication sur toute cette affaire, mais elle semble s’être évaporée après avoir enfilé son œil de verre. Demain, ou plus tard, je quitterai Kilkenny sans me retourner, mais peut-être que je jetterai un regard vers le ciel, afin de m’assurer de ne voir personne chevaucher un balais recouvert d’onguent.
She pulled out her eyebrow which was black and sublime
She pulled out her false teeth which was only nine
She pulled out her glass eye,
on the carpet it rolled
Oh bad luck and damnation to your nineteen years old
Now all you young fellas, when for marriage you go
Examine your true love from the top to the toe
And if you don't do that, like me you'll be sold
To a damsel not nineteen, but a ninety year old
Espérons qu'en regardant le ciel, il puisse dire au revoir à la sorcière avant de partir. Mais, j'y crois moyen.
A bientôt pour la suite !
Alice Kyteler était la première femme condamnée pour sorcellerie de toute l'Europe il me semble, c'est un personnage qui a l'air de beaucoup ressortir de l'histoire de la ville. Et ça se mariait super bien avec la chanson dont je voulais traiter ! :D Merci encore pour les commentaires <3