Samedi

Notes de l’auteur : TW : mention de crises d'angoisse ; mention de propos racistes ; mention d'homophobie
CW : mention d'achat de cannabis

— Regarde-moi ça, Coco a préparé des crêpes pour le petit-déjeuner !

Samuel glisse un œil vers l’intérieur du réfrigérateur pour voir une assiette recouverte de crêpes brunes et d’une cellophane.

— Je pense que c’est plutôt un cadeau de sa mère, fait-il. Mais ça ira très bien avec notre fromage du matin.

Il est un peu plus réveillé que la veille, malgré l’heure, un bon sept heures du matin. N’empêche, la semaine l’a lessivé et il ne se souvient même plus d’être allé se coucher. Pendant que Pixie prépare quatre crêpes au sarrasin recouvertes de fromage à l’ail, Samuel allume la cafetière et leur verse deux verres de jus de tomate.

Lui et Pixie sont la cellule « saine » de leur polycule, pendant que Corentin et Alex pourraient se nourrir exclusivement de céréales industrielles et de petits pains au chocolat.

Il complète le petit-déjeuner par leurs médicaments respectifs, deux anti-dépresseurs différents, et à doses différentes aussi. Pour Pixie, ça fait quelques années qu’iel est obligée d’en prendre. Pour Samuel, c’est beaucoup plus récent, mais après les multiples crises d’angoisse qu’il a faites en revenant à Paris… Merci Soissons, merci sa famille de merde, et merci la situation du monde entier.

— Normalement Ahmed passera à la brasserie en début d’après-midi, fait Pixie.

— Oh, cool. Mais t’as du blé pour ça ? Tu veux que je t’en passe ? Vu qu’on va partager.

Saon copaine secoue la tête.

— J’ai pris dans le pot commun. Et j’ai rajouté un peu. On dit que c’est mon cadeau de Pâques avec une semaine de retard.

Ils ne fument pas souvent, mais il faut dire que ce soir et surtout demain, ils en auront sans doute besoin. C’est l’avantage de travailler dans cette brasserie-là. D’abord, la patronne est plutôt sympa, même si un peu brute de décoffrage. Elle leur permet d’utiliser le four en fin de service s’il reste de quoi faire deux ou trois pizzas. Et puis le cuisinier en chef, Souleymane, est un pote d’Ahmed, qui deale un peu d’herbe dans le quartier. C’est un contact intéressant et ça évite les mauvaises rencontres pour juste acheter une barre de shit.

— Tu crois qu’ils vont faire quoi pendant qu’on sera en train de bosser ? Demande Samuel en finissant son verre de jus de tomate.

Pixie déchire un morceau de galette et le roule avant de l’engloutir.

— Si Momo est là, ils vont tous finir dans une partie en ligne d’Overwatch. Puis à quinze heures ils se souviendront qu’on va rentrer et être fatigués, alors ils penseront peut-être à préparer un goûter et notre soirée cocooning.

— Si Momo n’est pas en ligne, Corentin va trouver une excuse pour papoter avec Théo en facetime, et Alex fera une partie de EldenRing, parce qu’il n’a pas eu le temps d’y jouer depuis qu’il a pu se l’acheter. Et à quinze heures…

— … Ils penseront peut-être à nous.

Ils soupirent tous les deux avant d’éclater de rire. Et leurs rires redoublent quand Corentin débarque dans le salon en se grattant les poils de barbe, puis fait demi-tour, pas assez réveillé pour subir leurs idioties.

— Qu’est-ce que tu veux, mon canard, on s’est trouvé les deux mecs gays les plus cishet du monde.

 

#

 

Corentin ne sait pas ce qui faisait rire Sam et Pix quand il est arrivé dans le salon, mais au moins il a eu droit à deux baisers enjoués avant qu’ils ne partent au boulot. En mobylette parce qu’aucun des deux n’avaient envie de prendre le bus ensuite.

Comme à chaque fois qu’il rentre de Bretagne, il passe vingt minutes à se raser et à ôter le surplus de cheveux qu’il a sur le crâne. À croire que l’air iodé les fait pousser plus vite.

Non seulement il est plus de dix heures quand il s’installe sur le canapé avec sa deuxième tasse de café, mais Alex n’est toujours pas réveillé.

Par contre, quand il allume la console de jeu, Momo et Théo sont déjà en ligne.

— Allez, c’est parti…

 

#

 

Alex regarde le sac de linge sale d’un air morne. Lundi il faudra faire un passage au lavomatic, mais il ne pourra pas s’en charger, parce qu’il commence à neuf heures et demie et qu’il lui faut des plombes pour arriver au taff. Hier, c’était exceptionnel, mais il devait vraiment retrouver Corentin à la gare.

Purée il en a ras-le-bol. Ces deux années l’ont vanné, il a laissé tomber l’idée de passer des concours pour pouvoir travailler le plus vite possible et payer son loyer, et un peu de celui des autres, surtout Pixie qui a du mal à rester très longtemps dans le même emploi. Mais il n’est quasiment jamais là, il a l’impression de vivre dans le RER. Tout ça pour moins de 1300 euros par mois parce qu’il n’a pas le bon diplôme et que c’est tout ce qu’il y a.

Il a besoin d’une clope.

Dans le salon Corentin est plongé dans une partie en ligne et ne le capte même pas. Alex se verse un mug géant de café, prend son paquet de cigarettes resté sur une des étagères de la bibliothèque, et sort sur le balcon.

Il y a là encore des traces de Théo : trois plantes d’extérieur que leur ami vient régulièrement contrôler pour vérifier qu’elles ne sont pas mortes, et deux chaises de bistrots peintes en rose et mauve.

La vue sur la route nationale est déprimante, et les affiches du premier tour, dont la plupart sont arrachés, démultiplient ce sentiment.

Alors qu’il écrase son premier mégot dans la boîte de conserve qui fait office de cendrier, il sent deux bras lui enserrer la taille.

— Déprimé ?

— Comment tu peux le savoir ?

Sa remarque est un peu brutale. Corentin est habitué : il y a eu plus de bas que de hauts au tout début de leur relation. Enfin, par rapport à celles remplies de petits cœurs et de licornes avec Pix et Samuel.

— Parce que tu es toujours déprimé le samedi matin, que tu penses que tu ne t’occupes pas assez de l’appart, que tu détestes ton taff, et en plus tu fixes une affiche du Petit Z depuis dix minutes alors qu’elle est déchirée.

Corentin dépose un baiser dans son cou avant de rajouter :

— Si vraiment c’est la merde, on part faire de la permaculture en Bretagne. Je suis même prêt à y accueillir tes parents.

— Faut aller au Lavomatic…

Alex ne comprend pas pourquoi, mais il y a un gros sanglot dans sa voix et Corentin le retourne immédiatement pour le prendre dans ses bras. C’est un peu bizarre, parce qu’Alex fait presque une tête de plus que lui. Il a tendance à oublier que Corentin n’est pas très grand.

— Je peux pas te dire que ça va aller, mais on peut sortir un peu, déposer le linge, faire un tour. Et tiens, ça te dirait d’acheter du Nutella pour Pixie… Et pour le corps de Pixie ?

— Arrête de faire le con.

— Ou de la glace à la vanille. Tu sais comme Sam est totalement incapable d’en manger sans en mettre partout.

— Il fait exprès.

— Un vrai petit allumeur. Et nous on se laisse avoir à chaque fois.

— Hm…

Les bras de Corentin sont agréables. Il pourrait presque rester là toute la journée. D’un autre côté, sortir leur ferait du bien aussi. Alex se redresse en se frottant les yeux puis fronce les sourcils :

— Mais tu t’es de nouveau coupé les cheveux ?

 

#

 

« Chez Mauricette » est blindé de monde ce midi. Avec le temps qu’il fait, la terrasse est ouverte et des grandes familles viennent partager un burger-frites ou des moules-frites en profitant du soleil.

Mais à quatorze heures, Pixie arrive enfin à respirer et peut prendre dix minutes de pause avant de rejoindre Johnny et Samuel à la plonge. À moins que Souleymane lui demande de l’aider à ranger la chambre froide avant de fermer l’établissement jusqu’à lundi midi.

La cour arrière est minuscule, et une benne à ordure occupe une bonne partie du lieu. Mais il y a un banc avec un cendrier et Samuel qui est là à fumer en regardant son portable.

Son chéri a arrêté la cigarette en 2019. Alex leur a expliqué, à lui et à Corentin, que Samuel s’était mis à fond dans le sport, et qu’il travaillait tellement, qu’il n’avait plus le temps de fumer.

Néanmoins, il lui arrive encore de tirer une taffe quand il est stressé.

— Tu m’en passes un peu ?

Samuel lève la tête, puis lui donne son début de mégot.

— Des nouvelles ?

Le garçon soupire :

— Les mecs ne seront peut-être pas à l’appart en rentrant. Alex a fait une petite crise ce matin et Corentin le fait sortir prendre l’air.

— Merde.

Pixie s’assoit à côté de lui. Il lui faudra plus qu’une demi-cigarette.

— T’es déjà en pause ? Je croyais que le service n’était pas encore fini.

— La patronne était là quand un client a fait une blague sur les charters alors que je lui servais son dessert. Autant te dire qu’elle l’a recadré prestement et elle m’a dispensé de salle jusqu’à la fin. Mais du coup je suis à la plonge.

— Purée, mais les gens sont vraiment des connards.

— Et ce n’est pas comme si Mauricette n’était pas complètement et intégralement réunionnaise. Quel gros con.

Ils reprennent chacun une cigarette.

L’uniforme de Pixie le gratte. Une chemise blanche à manches courtes, droite, et des pantalons noirs. Il a gardé le collier d’Alex, mais c’est bien la seule chose personnelle qu’il porte sur lui. Il déteste ces vêtements.

— On ramène des pizzas pour ce soir ? Finit par demander Samuel. Je crois qu’il reste de l’ananas en morceau.

Ça arrache un rire à Pixie :

— Non mais tu veux vraiment qu’Alex déprime complètement.

— Oui mais quand il n’est vraiment pas bien, il compense avec le cul. Et non seulement c’est efficace mais c’est super…

— Shhh…

Johnny sort dans la cour pour jeter un sac-poubelle dans la benne. Ce n’est pas qu’il soit méchant, mais on ne parle pas de certains sujets au boulot.

— Vous voyez Ahmed aujourd’hui ?

Pixie se contente d’acquiescer. Johnny hoche aussi la tête d’un ton bourru :

— Ouais, on va en avoir besoin. Je finis de vider les poubelles et on se met au nettoyage, ok ?

Bourru, mais bon, on n’est jamais assez prudent.

 

#

 

— C’est beau ici.

Il est l’heure du goûter. Pixie et Samuel doivent être sur le chemin du retour. Corentin observe les familles autours d’eux, beaucoup de mômes qui font ou apprennent à faire du vélo.

— C’est la Marne, fait-il. Samuel vient courir ici le matin quand il peut.

— Mais moi je suis toujours au pieu ou déjà dans le RER.

Corentin s’approche d’Alex et le pousse par l’épaule :

— Hey, c’est juste un CDD. Tu trouveras mieux ensuite. Et même, si y’a un pépin, on est là hein. On va aller acheter des petits pains ? En insistant peut-être même que Pix nous préparera son sublime chocolat chaud au lait d’avoine. Et je ne pensais pas un jour dire un truc pareil mais c’est beaucoup trop bon.

— Faut pas oublier le linge hein.

 

#

 

— Je vais faire du chocolat au lait d’avoine.

Pixie s’est déshabillée dans l’entrée, envoyant d’un coup de pied ses fringues dans un coin du couloir. Iel va directement dans la cuisine en slip, comme envoyée en mission.

Plus calme, Samuel ramasse les affaires pour les mettre correctement dans le sac à linge sale qui a… disparu. Ah oui, forcément, si les deux autres sont allés faire la lessive. Tant pis, les fringues resteront par terre jusqu’à leur retour.

En attendant, il va vite prendre une douche et bien se laver, au cas où. Qu’est-ce qui pourrait faire plaisir à Alex ?

Samuel n’a pas vraiment de tenues spécifiques pour être sexy, pas comme Pixie. Ni même comme Corentin qui leur a un jour sorti le pantalon en skaï noir le plus moulant que Samuel n’ait jamais vu.

Il finit par enfiler un caleçon de piscine et un tee-shirt tellement étiré et large qu’avec le bon mouvement, on peut voir ses piercings. C’est parfait.

— Ah oui je vois, tu sors le grand jeu !

— Pix, tu es en slip dans la cuisine…

— Ce n’est pas faux. La salle-de-bain est libre ? Les laits au chocolat sont prêts, laisse les couvercles dessus pour pas que ça refroidisse ! Et mets-toi du mascara !

Sam en profite pour aménager le salon. Il s’agit de repousser le canapé contre le mur, ce qui réduit l’accès à la cuisine. Ensuite passer un coup d’aspirateur sur le tapis, rajouter des coussins et des plaids, déplacer la table. Et sur cette même table, préparer la weed sur le dessus, et le stock du « au cas où » sur l’étagère du dessous.

Les cartons de pizza restent au chaud dans le four. L’alcool et les sodas sont dans le réfrigérateur. Tout est parfait.

 

#

 

Ok, donc Pixie et Samuel ont sorti le grand jeu façon cocooning. La première avec un crop-top indécent et un short encore plus indécent et des bas qui lui font les jambes les plus longues du monde. Le second avec ce foutu look de gentil surfer aux tétons piercés.

Alex soupire devant son armoire. Il ne peut décemment pas aller dans le salon pour voir un film et voire du chocolat chaud et enchaîné sur une pizza tout en étant à poil. Ce ne serait pas hyper hygiénique.

Oh, mais il lui reste un tee-shirt en résille qu’il a du porter trois ou quatre fois. Hyper efficace pour entrer gratuitement en boîte et se retrouver avec quelqu’un avec qui passer quelques minutes en un claquement de doigts.

Ça ne fait pas très « porno cocooning », mais tant pis. Ou alors… Ah, une chemise d’été façon bûcheron, sans manches. D’accord il n’a pas des super biscoteaux, mais cela met en valeur ses épaules, et en laissant les boutons du haut ouvert, le taff sera fait. Et on rajoute un short en jeans.

Quand il sort enfin de sa chambre, Corentin sort également de la sienne. Le Breton a enfilé un foutu harnais ! On ne voit que le tour du cou mais Alex sait comment ce harnais-là se croise sur la poitrine de son copain.

— Ce n’est pas très dans le thème, grommelle Alex.

— Le quoi ?

Read the room, Corentin !

Ce dernier hausse les épaules.

— Je n’avais rien d’autre !

 

#

 

Corentin pensait avoir fait tout pour être le premier à se faire sauter dessus, mais c’était sans compter, dans l’ordre : les chocolats absolument délicieux de Pix, la douceur des plaids, la pizza à l’ananas préparée exprès pour lui, la bière, le binge-watching de Heartstopper.

Difficile de faire un mood plus éloigné du cul de base avec une série pareille.

Samuel regarde l’écran avec de grands yeux plein d’étoile, et Corentin a surpris Pixie en train de renifler une ou deux fois.

Quant à Alex, il sirote sa bière – bretonne – sans broncher, mais Corentin voit bien qu’il est complètement absorbé par la série.

Eh oui, il faut bien le dire, c’est pas mal.

C’est même passionnant.

Et les acteurs sont tellement mignons.

Du coup, à la pause toilettes après deux épisodes, il décide d’aller enlever son harnais et d’enfiler son haut préféré, un tee-shirt manche longue en coton épais, avec des rayures bleues, vrai produit breton fabriqué en Chine.

Quand il se repose entre Pix et Alex, il se sent presque mieux, et tout à fait prêt à poursuivre les aventures de Nick et Charly.

Sauf qu’Alex n’est clairement plus du tout concentré. Sa main gauche, qui est passée par-dessus son épaule, lui chatouille la joue, et Corentin sent très rapidement les lèvres de son copain se poser dans son cou et l’embrasser.

De l’autre côté Pix le regarde avec des yeux brumeux.

— Ton pull est méga sex, Coco.

Désespéré, Corentin cherche de l’aide du côté de Samuel, pour se rendre compte que ce dernier à simplement éteint Netflix pour mettre une playlist Spotify, et, une fois son travail achevé, s’active pour défaire le short en jean d’Alex.

— Ok, mais est-ce que quelqu’un peut au moins ranger les cartons à pizza pour qu’on évite de se réveiller avec des bouts de fromage sur les fesses ?

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