Samedi 25 Avril 1818 - Irish Washerwoman

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence :
https://youtu.be/wQ1lApMT54o?si=6RPSahAVIonflH8x

Après avoir rempli de nouveau mon sac de nourriture, d’un sac de couchage neuf et d’un peu d’argent, j’ai quitté Wicklow en prenant encore une fois vers le sud-ouest. J’ai l’étrange impression de m’être trop attardé en ville. Mais qui a dit que je devais me presser ? C’est comme si un vent étrange me poussait à ne surtout pas rester immobile.  

 

J’ai très rapidement quitté les quais bondés et les rues résidentielles pour arriver en campagne sur des routes à peines entretenues. A croire que l’Irlande est comme un jardin où le propriétaire ne prend pas la peine de passer le balai ! Après quelques jours de marche, j’ai décidé de m’arrêter aujourd’hui dans un petit village entre deux pâturages. Une sacrée aubaine quand on ne sait pas où l’on va...

 

Le jour s’était levé depuis à peine quelques heures quand je suis arrivé sur la grande place. J’ai été très vite attiré par une mélodie qui chatouillait mon oreille. Non loin de là, une belle dame chantait en lavant son linge. Les yeux rivés sur son affaire, le monde semblait avoir disparu autour d’elle. Quand une grosse voix d’homme me sortit de ma rêverie. « Ah ça, je connais bien cet air, ma mère me chantait ça quand j’étais p’tiot. Ça vient de chez nous, pour sûr ! »

 

Non loin de là, des hommes étaient attablés sur des tonneaux devant le pub juste en face. Cinq ou six hommes, désœuvrés, refaisaient le monde leur choppe à la main. Celui qui venait d’affirmer cela, un grand gaillard aux mains aussi épaisses que mes épaules, se fit très vite contredire par l’un de ses collègues à la barbe noire et fournie.

 

« Ah ça, tu ne me la feras pas deux fois ! Ma grand-mère chantait ça dans ma famille quand ta mère n’avait pas encore quitté le berceau. Ce chant-là, il vient du comté de Kerry ! »

 

En entendant ça, un autre des hommes manqua de s’étouffer avec sa boisson. Il répliqua aussi sec :

 

« Parce que vous vous croyez aussi assez sophistiqués dans le Kerry pour posséder des chants de cette richesse ? Soyons sérieux ! Ce chant-là, il est depuis au moins quatre générations de l’Ulster, et il a dû être chanté à Belfast alors que vos arrière-grands-mères jouaient encore à la poupée ! »

 

Très vite le ton monta entre tous les hommes et bientôt du liquide vola en toutes directions, et bien d’autres choses. Ne voulant pas me risquer à recevoir un tabouret sur le coin du visage de bon matin, je laissai là les hommes pour me diriger à nouveau vers la lavandière. Son regard n’avait pas quitté son ouvrage et, impassible, elle continuait de battre le linge au rythme de sa chanson, comme si tout ceci était parfaitement normal. Ne sachant pas comment l’aborder, je finis par lui poser la question qui me trottait en tête depuis le début de l’altercation.

 

« Dites-moi, que chantes-tu donc depuis tout à l’heure, madame ? Cet air me semble inconnu. »

 

Son regard quitta enfin sa tâche pour transpercer le mien. Et dans ces yeux clairs et cernés une pointe de malice se dessina. Sa réponse, pour sûr, je l’entends encore bien clairement dans ma tête quand j'y repense, alors que sa voix s’accompagna d’un sourire moqueur.

 

« Mon bon monsieur, je chante la bêtise des hommes. »

 

Et elle m’a laissé là, comme ça, en reprenant son chant et son ouvrage. Comme si j’avais immédiatement disparu de son champ de vision ! Je suis resté interdit à l’endroit où je me trouvais, puis après quelques minutes à l’écouter inlassablement, j’ai fini par sortir mon carnet et écrire toute cette histoire. Impossible de retranscrire les paroles en gaélique et jamais je n’oserais lui demander de répéter… mais je peux bien essayer de réécrire les notes de cet air entraînant, je dois l’admettre. Alors que j’étais en train d’écrire, elle a quitté le lavoir et est partie en me jetant à nouveau ce regard à la fois sévère et malicieux. Je suis heureux d’avoir trouvé un petit village pour me reposer et profiter du rare soleil de cette bonne vieille Irlande, mais comment vais-je oser la croiser de nouveau ?

 

Pas le choix, il va me falloir partir à l’aube en priant demain…

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Dédé
Posté le 20/04/2025
Si elle chante la bêtise des hommes, j'imagine que la chanson est bien longue...

Là encore, la musique prend sa place dans le chapitre. J'aimerais bien que Paddy recroise la lavandière, je l'avoue. Reste à voir combien de temps il va rester dans ce petit village.

Je ne sais pas, aussi, si c'est fait exprès le mélange tutoiement/vouvoiement mais j'ai trouvé ça mignon : « Dites-moi, que chantes-tu donc depuis tout à l’heure, madame ?"

A bientôt pour la suite !
Pouiny
Posté le 21/04/2025
je me suis dit que ça pouvait être une idée pour créer une certaine forme d'intimidation mais après comme le vouvoiement n'existe pas en anglais ça aurait pu faire comme une blague "méta" de traduction... a vrai dire c'était a moitié voulu, a voir si je le laisse comme ça ou pas !

C'est un conte pour le coup "de sagesse" irlandaise quasi traditionnel, et c'est l'histoire de cette jig mise en musique de référence... sauf que j'ai eu beau chercher, je n'en ai jamais trouvé les paroles ! Mais vu comment l'air va vite, tu dois pouvoir en débiter pas mal en 3/4minutes déjà...

En spectacle, je commence souvent par ce samedi et c'est une des histoires de Paddy qui fonctionne le mieux, les gens rigolent à chaque fois à la fin !
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