Samedi 26 Juin 1819 - The Connemara Reel

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : https://youtu.be/v-8smvXx8KU?si=Jnpd8_EGybKwlT9T

Je pense que je chérirai le souvenir des îles d’Aran avec une sorte de mélancolie au cœur. J’y ai passé tant de temps avec cette personne si étrange et si belles, dont les histoires m’ont nourri plus que n’importe quoi. J’ai quitté l’archipel avec l’impression d’être quelqu’un d’autre, alors que j’observais sa silhouette s’éloigner dans l’horizon. Au loin, le Dùn Aonghasa continue de trôner fièrement au-dessus des focs, vestige brutal et magnifique d’un temps perdu. A présent, il me faut retrouver le monde des vivants.

 

J’ai traversé la mer avec le Curragh. J’ai bien hésité à lui prendre. « Comment vas-tu faire pour retrouver la terre ferme sans lui ? ». Avec un sourire mystérieux, il m’a répondu qu’il trouverait bien un moyen. Et il faut dire que je n’aurais pas eu le moyen de lui payer : Je suis parti presque plus vite que ce que j’aurais pu de peur qu’il ne change d’avis. Mais non ; me voilà seul, à lutter contre le courant avec Richard qui lèche les éclaboussures de sel qui parsèment mes habits. Mais quel meilleur endroit que le Connemara pour retrouver l’Irlande ?

 

Car plutôt que de retourner à Galway, j’ai décidé de continuer mon voyage par le chemin le plus court et de fait, j’ai quitté plutôt rapidement la mer pour me retrouver entre les lacs et les terres. Puis je me suis enfoncé dans les terres, les courants d’eau devenant de plus en plus petit et superficiel. Jusqu’à ce que la Curragh se plante dans un cours d’eau si petit qu’il n’était plus qu’une flaque d’eau. Richard a alors sauté du bateau et bien qu’un peu engourdi, j’ai fait de même. La navigation, ce n’est définitivement pas ma spécialité…

 

A partir de là s’est ouvert à moi un paysage parfaitement merveilleux. Tout n’était plus que lac et montagne, et jamais rien ne m’avait paru aussi verdoyant. Bien qu’il fallût faire attention à chaque pas pour ne pas s’embourber, je pense que cet endroit tout fait de trou et de relief est l’un des plus somptueux que j’ai pu voir jusqu’à présent. Tout ceci me rappelait, au fur et à mesure que je marchais, toutes les légendes sur Finn MacCumhaill. Il paraîtrait que celui-ci avait passé beaucoup de temps ici, au connemara, pour affronter les Géants venus d’Ecosse. Lui-même étant de grande taille, il attrapait de la terre et la lançait sur les géants qui tentaient d’arriver par la mer. L’endroit où la terre est atterrie a créé les montagnes, et les trous où il a pioché sont devenu les lacs. A ce que je vois, il a dû viser beaucoup de géants… Mais n’en toucher qu’assez peu !

 

Mais si j’ai pris le crayon aujourd’hui, ce n’est pas que pour le paysage incroyable du Connemara. Non, il faut également que je raconte à nouveau quelque chose d’étrange… Aujourd’hui, après quelques jours de marche, je me suis retrouvé à raconter à moi-même les légendes de Finn MacCumhaill. Il faut dire que je n’ai pour le moment pas croisé grand monde. Je vois surtout sur un peu tous les lacs quelques maisons de pêcheurs parsemées ça et là. Le matin et le soir, il m’arrive d’en saluer quelques-uns. Mais pour le moment, pas de ville, pas de village : un comme comme sur les îles d’Aran, on retrouve les mêmes personnes bourrues, isolées, qui vont au mieux fonder une famille et se créer leur propre village pour eux même, mais qui la plupart du temps vont simplement perdre l’habitude du contact humain.

 

Mais pour ma part, je veux garder ma capacité à échanger avec autrui, alors en attendant de le trouver, je me transmets mes propres histoires à moi-même. Et j’en étais à la légende du fils de Finn, Oisín.

En ce temps-là, Finn Mac Cumhaill était jeune et n’avait encore ni femme ni enfant. Son plus grand passe-temps était de chasser le cerf dans toute l’Irlande avec sa troupe, les fenians men. Quand un jour, ses chiens débusquèrent une biche qu’ils se refusèrent de dévorer. Finn avait une grande confiance en ses plus fidèles compagnons ; s’il ne tuait pas une proie, c’était pour une raison. Et en effet, la biche se transforma en une jeune femme absolument magnifique. Elle répondait au nom de Sadbh. Elle était une jeune fille d’ascendance divine, fille du roi des fées du Munster Bodb Derg. Elle était la fleur du royaume et la fierté de son père jusqu’à ce   qu’un druide, jaloux d’avoir été éconduit par elle, l’avait transformé en biche. Et une fois détransformée par la clémence de Finn et de ses chiens, elle posa immédiatement un genou à terre afin de lui demander sa main. Le chef fut si séduit par sa beauté et la témérité de son regard qu’il accepta. L’amour entre eux devint si fort que Finn rangea les armes et arrêta la chasse, prêt à être le plus doux et le plus tendre des amants qu’une femme puisse connaître.

 

Mais c’était sans compter sur le druide rancunier qui un jour retrouva Sadbh, bien humaine, et enceinte au bras d’un des plus grands guerriers du monde ! L’idée que cette brute épaisse ait un enfant de la femme qu’il convoitait lui fut si insupportable qu’il la transforma de nouveau en une biche qui s’enfuit dans la forêt. Finn chercha sa bien-aimée dans tous les pays, tentant de la poursuivre avec ses chiens jusqu’en Ecosse. Malheureusement, la jeune femme demeura introuvable… et Finn inconsolable.

 

Après sept années de deuil, le Roi reprit son habitude de chasse avec ses hommes et ses chiens… et puis un jour, ils partirent à la poursuite d’un petit faon solitaire, jusqu’à l’acculer. Mais à l’instant de grâce, les bêtes de Finn reculèrent, refusant de le tuer. Finn descendit de son cheval, curieux quelle raison qui retenait ses bêtes. Mais alors qu’il s’approchait du petit, il se transforma immédiatement en tout petit garçon, qui possédait ses boucles et son sourire. Aucun homme sur terre n’aurait pu en douter tant la ressemblance était frappante ; il s’agissait du fils que Finn avait perdu. Il le nomma alors Oisín, « le petit cerf ».

 

Le jeune garçon fut emmené en apprentissage druidique afin d’apprendre la poésie, la musique ainsi que l’art de la guerre. Il revint au service de son père sept ans plus tard, et devint l’un des hommes les plus important des Fenians men. Seulement, tout ne pouvait pas durer de cette manière ; un jour qu’Oisín se reposait près d’un cours d’eau, il fut visité par une fée du nom de Niamh aux cheveux dorés, fille du roi des fées. Elle avait été séduite par la beauté du jeune homme et était venue depuis l’Autre Monde afin de lui déclarer son amour et sa volonté de l’emmener chez elle, au Tir Na Nog. Oisín qui était tombé amoureux rien qu’en la voyant accepta sans hésiter malgré la tristesse de quitter son père et sa troupe. Ils se marièrent et trois cent ans s’écoulèrent en une poignée de sable. Ils eurent trois enfants, nommés Oscar « celui qui aime les cerfs », Finn « le béni », et  Plor na mBan, « la fleur des femmes ». Mais après trois cent ans, Oisín se languissait de sa vieille Irlande, de son père et de ses hommes. Il supplia à sa femme de lui laisser revoir son ancien monde. Niamh hésita, puis en voyant sa détresse finit par accepter à une seule condition.

 

« Tu traverseras la frontière des mondes sur mon cheval blanc. Quand tu auras pu constater de tes propres yeux que ta famille n’a pas pu survivre aussi longtemps que toi, tu n’auras qu’à lui demander de faire demi-tour. Mais surtout : sous aucun prétexte tu ne devras mettre le pied a terre. Je te défends formellement de descendre de mon cheval ! »

 

Oisín accepta et il parti sur le beau destrier blanc de sa femme. Il traversa la frontière entre les deux mondes et c’est avec beaucoup d’émotion qu’il reconnu sa belle Irlande. En chemin il vit deux hommes essayant de soulever une grosse pierre. Il leur demanda si le nom de Finn Mac Cumhaill, ou bien celui des Fenians men, leur disaient quelque chose. Les deux hommes lui répondirent un peu étonné que c’était des noms de légendes qu’ils tenaient de leur grand-père. « Mais vous avez l’air d’être très fort monsieur ; pouvez-vous bien nous donner un coup de main avec cette pierre ? Il s’agirait juste de la remettre droite dans le sol ! »

 

Oisín, qui avait toujours été un jeune homme serviable, tenta tant bien que mal d’aider les deux hommes. Mais en essayant de soulever la pierre, le voilà qui perd l’équilibre et qui tombe de son cheval. A cet instant, trois cent ans passent sur son corps en une fraction de seconde. Mais alors qu’il allait perdre la vie, son vieux corps ne pouvant plus supporter le poids de son cœur, Niamh intervint. Elle qui avait suivi son mari par crainte de voir se passer ce qui avait lieu, elle lui lança un ultime sort afin de le sauver de son destin de mortel. Aussitôt, le faible corps de Oisín se transforma, les jambes et ses bras s’affinant et se couvrant de poils jusqu’en devenir des pattes. Ses yeux se noircirent, son visage s’allongea, et sur sa tête poussa comme du bois d’If. Le petit Faon était désormais un cerf gigantesque et aux bois larges, qui s’enfuit dans les bois avoisinants et ne se fit plus jamais voir par les hommes.

 

Mais si quelqu’un entendait ceci, il pourrait se demander quel est bien le rapport entre cette histoire et le connemara où je suis aujourd’hui. Et bien, pourrais-je alors lui répondre… C’est parce qu’alors que je racontais cette histoire en jouant de mon whistle un reel de mon invention, quelque chose a frémi dans un buisson. Je me suis immobilisé, de peur de me faire charger par un sanglier. Mais c’est quelque chose de bien plus gros qui a sauté devant mes yeux. Il était même bien plus gros que le plus gros des cerfs qui puissent exister. Il faisait bien trois fois, mais me dominait de toute sa hauteur avec un regard calme et sans aucune agressivité. Ses bois ne ressemblaient en rien à ceux des autres cerfs ; haut et large comme des auvent, il me semblait que j’aurais pu m’allonger à l’interieur d’eux. Terrifié, je suis resté immobile, attendant de voir si lui venait l’envie de m’écraser ou de passer son chemin. Nous sommes resté bien là tous les deux plusieurs minutes à se regarder plein face. Commençant à trouver le temps long, j’ai lentement pris mon whistle… et joué les sons les plus aigus que je pouvais produire. Richard, qui s’était éloigné chasser le lapin, accouru aussitôt vers moi et à la vue du grand chien, l’animal prit la fuite. Définitivement ce n’était pas un cerf, j’en suis a présent certain. J’ai tenté de me le figurer et la seule possibilité qui apparait à mes yeux… C’est que je suis tombé sur un Elk. Un animal qui, comme l’ours, a disparu de toute l’Irlande depuis des millénaires.

 

Mais après tout, qui dit que les animaux n’ont pas l’autorisation d’errer dans les plus belles terres du monde pour profiter des larges prairies et étendues d’eau après leur mort ? Et plus j’y pense, et plus je me plais à imaginer que, peut-être … il s’agissait de l’esprit de Oisín, attiré par la musique. Mais que ce soit le cas ou non, je resterai a jamais reconnaissant. Le roi des animaux et des forêts, celui dont fait la jonction entre la vie et la mort, m’a accordé de sa présence et de son écoute à mon humble musique. Ou alors, est-ce simplement l’air d’une flûte de fée qui attire la présence des autres fées…

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