J’avoue, je ne sais pas qui remercier pour avoir mis de tels énergumènes sur ma route. Nous sommes tous irlandais catholiques ce soir, mais l’énergie qui règne ici semble bien plus proche des banquets celtes.
Je vais repartir du début. Cela faisait quelques jours que je marchais vaguement vers Cork. Sans conviction, mes pieds me semblaient plus lourd qu’après une soirée de danse et mes genoux impossible à plier. Waterford me manquait, Dublin me manquait, que dis-je ? Tout semble me manquer ! Depuis Avril que je marche, j’avais jamais senti autant de douleur dans tout mon corps, et de fatigue. Bien pire qu’une immense gueule de bois, pour sûr…
Si bien qu’aujourd’hui encore, je suis bien loin de Cork. Mais un matin, alors que je marchais seul et en silence dans les bois, des hénissements de chevaux m’ont figé sur place. Je m’attendais presque à une nouvelle apparition surnaturelle. Qu’est-ce qui allait me tomber dessus encore, Brian Boru, Angus, Odin peut-être ? Mais non, c’était une procession bien réelle qui me faisait face. La caravane passait pas très loin de moi, avec entrain et énergie. Les enfants couraient alors que des femmes menaient les attelages. Des airs entrainant au violon et à la flûte se faisaient entendre. Des hommes pliaient des affaire en marchant en rythme. C’était des Travellers.
Il arrivait, rarement, que des Travellers viennent à Dublin. Mais personne ne s’en approchait jamais. Avec Marty, on allait souvent les voir et leur donner des pièces quand ils jouaient et jonglaient dans la rue. Mais dès que l’un d’eux voulait nous parler, on nous avait appris à fuir. Il est connu qu’ils ne parlent pas la même langue que nous…
Quand j’ai vu la procession, toute cette énergie et ce bonheur à voyager, je me suis senti comme défaillir. J’ai réalisé alors que j’étais comme eux, nomade. Mais que moi, je n’avais bonheur ni compagnie ; j’avais tout abandonné. J’ai senti mes forces m’abandonner et le reste… a disparu de ma mémoire.
Quand j’ai repris conscience, j’étais entouré d’eux. Ils m’ont tendu une boisson, amère bien que non alcoolisée. Ils utilisaient des mots que je semblais reconnaître, sans comprendre. Parfois, les phrases semblaient anglaise avec un accent monstrueux, puis quelques mots ressemblaient au gaélique de mon grand-père. Puis, ils m’ont invité à marcher près d’eux, et je les ai suivi.
Au début, j’ai surtout écouté. Les paroles, les disputes, les cris, les rires, les chants… je me laissais embarquer complètement, jusqu’à ce que la langue me paraisse plus compréhensible, jusqu’à ce que je comprenne son fonctionnement. Et, je ne saurais expliquer, à la première veillée… J’ai compris les histoires. J’ai repris leurs chants. Au lendemain matin, ce qui nous ramène à aujourd’hui, le dialogue était instauré.
Personne ne m’a posé aucune question. Pour autant j’ai travaillé auprès d’eux comme si j’avais toujours fait partie du groupe. En réponse, ils m’ont offert à manger et à boire, et j’ai vite compris que toutes les questions me reviendraient en pleine poire dès le commencement de la veillée. Et ça n’a pas loupé !
A la seconde même où je me suis assis autour du feu, le silence s’est fait de toute part et les regards ont fusés. Ils ont attendu que je parle. Et j’ai raconté.
J’ai essayé de faire comme eux, de mélanger au maximum possible le gaélique et l’anglais. J’ai transformé mon accent du mieux que je pouvais. Je me suis accompagné de mon whistle, et j’ai été choqué de la vitesse à laquelle ils pouvaient reprendre et rebondir sur des airs lancés à la volée. En Irlande, on est un peuple de gueulard, de soulard, mais si on sait si bien crier c’est parce que l’on sait écouter ; mon groupe de Travellers, ou plutôt de Mincéirí comme ils se nomment eux-mêmes, est la quintessence même de l’Irlande. Dieu, pourquoi les avoir à ce point diabolisé ?
Est venu le moment alors où je leur ai raconté ma dernière aventure, avec Violet. Plus la nuit s’avançait et mieux on se comprenait, si bien qu’à cette histoire, tous étaient pendus à mes lèvres. Mais très vite, ce sont des protestations qui ont accompagné mon histoire. Un petite fille aux yeux bleus perçant s’est écrié : « Pourquoi tu ne l’as pas prise avec toi ? » J’ai ri, mais je n’ai pu que répondre que ce n’était pas si simple. Sa mère, qui avait les yeux de la même couleur, a renchéri : « Elle ne devait attendre que ça. Ici, les légendes disent que les femmes riches adorent les Gypsys ! »
Elle avait prononcé cette phrase en me fixant avec un air moqueur, pourtant j’eus le cœur rempli de chaleur. Je faisais partie des leurs, aussi simplement que ça. Plus loin du cercle, un jeune homme a empoigné son violon et le cercle de la veillée est devenu en quelques secondes une piste de danse. Et alors qu’une jeune fille du nom d’Aoife, aux cheveux roux comme le feu, m’invitait à la danse, j’ai pu profiter de la plus belles des cinqs langues celtiques.
There were three old gypsies came to our house door
They came brave and boldly-o
And one sang high and the other sang low
And the other sang a raggle taggle gypsy-o
It was upstairs downstairs the lady went
Put on her suit of leather-o
And there was a cry from around the door
She's away wi' the raggle taggle gypsy-o
Une femme cria « Cette noble, c’était moi ! ». Tout le monde se prit à rire, et la danse continua au milieu des cris de joie. Ma fatigue avait disparue, tout comme ma solitude. J’ai joué, j’ai bu, j’ai dansé, puis le feu s’est éteint. Chacun est retourné à sa tente, et alors que tout le monde dort, j’écris dans le noir. Un homme d’un age mûr, aux cheveux grisés et qui répond au nom de Conn, et qui me semble influent dans le groupe, m’a proposé de continuer le voyage avec eux. Il m’a expliqué la difficulté pour eux d’élargir leur famille et m’a proposé d’épouser Aoife. J’ai évidemment refusé, mais je leur ai proposé de continuer un temps mon voyage avec eux, si cela leur convenait. Il m’avait répondu que les Mincéirí n’avaient pas de chefs ni de lois, et que je pouvais rester tant que j’étais accepté par le grand-monde. Et voilà où j’en suis, à présent.
Comme il est plaisant de ne pas être perçu comme étrange. Comme il est agréable de ne plus être la bête de cirque, l’étrange exhubérant dont le voyage est devenu le mode de vie. Je ne suis pas né Mincéirí, mais… je ressens en leur culture plus de ressemblance que de point d’éloignement. Et je pense à Père, pour qui cette nouvelle serait comme un clou de plus dans le cercueil. Néanmoins, je pense que Grand-père, lui, me dirait avec un sourire amusé que je n'ai pas tout à fait tort.
Je vais continuer de faire ce qui me va si bien depuis ces dernier temps. Je vais me laisser porter… Avec les Travellers, ou ailleurs encore. Je vais demander à Conn de m’aider pour m’occuper des chevaux. Et, par acquis de conscience… je vais découvrir si Aoife me plaît ?
Paddy s'émancipe de plus en plus, en se laissant porter, comme il dit. Et j'aime ça ! Il fait ce qu'il veut, obligé de rien. Totale liberté ! En ce moment, je l'envie. Ca me rappelle l'Islande et à quel point j'étais bien. Difficile de reprendre le quotidien après ça.
Mais bref... je m'égare. Concernant les deux versions de la musique, j'ai aimé les deux mais avec une préférence pour la version d'origine.
A bientôt pour la suite ! (oh ? me voilà à jour ! <3)
Je répond à tes commentaires et j'écris le prochain chapitre, il m'a demandé beaucoup de temps d'assimilation pour ce que je veux aborder... mais aujourd'hui je me sens prêt ! Je suis quelqu'un qui planifie beaucoup et qui est a l'aise avec les emploi du temps mais c'est vrai que c'est particulièrement tranquille d'être aussi libre que peuvent l'être ces personnages. Quand on voyage je pense qu'essayer de planifier c'est comme vider la mer avec un verre, c'est impossible !
Impossible de passer à côté de la version des Chieftains, c'est un des meilleurs groupe de musique traditionnelle irlandaise qui ait existé, c'est riche, complet... Paddy Moloney, le fondateur du groupe, avait comme ambition de rendre la musique traditionnelle aussi "noble" que notre musique dite classique ou "savante", et pour ça il avait fait des reprises des véritables orchestres (on l'entend bien dans Raggle Taggle, il y a un vrai orchestre à corde qui se mélange aux instruments traditionnels). C'est vraiment un travail exceptionnel !
A bientôt pour les prochains chapitre, et merci de continuer de suivre !
Ca ne m'étonne pas que l'écriture te demande du temps. Il faut tout relier, tout associer, faire des liens sans que ce soit forcé, mais plutôt fluide et naturel. Franchement, tu t'en sors admirablement bien jusqu'ici. Bravo !