Samedi 31 Juillet 1819 - The Auld Mountain Dew

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : https://youtu.be/pVGUs9nQGaw?si=EV479KgKpc0PCm5B

Ça y est ! Pas de souvenir de ma soirée avec le Clurichaun, malheureusement, mais après près de deux jours d’éprouvante ascension, je viens d’atteindre avec Richard le sommet du Croagh Patrick. Et quelle escalade ! Je n’ai pas eu tant de mal depuis ma traversée dans les Booleyings de Kerry. Dire que certains font le pèlerinage pieds nus, même par dévotion, ça me paraît impensable ! Même Richard doit avoir mal à ses pattes et se lèche les coussinets à mes côtés.

 

Néanmoins, je comprends l’envie d’y monter. Par temps clair, la vue est superbe. Même si ce matin je ne voyais pas plus loin que le bout de mes chaussures, quasiment à quatre pattes à tenter de garder mon équilibre sur ce gravier sombre, j’ai le droit pour l’heure à un magnifique coucher de soleil plongeant dans la baie de Clew et ses innombrables îles scintillantes comme des étoiles au milieu de l’eau. Ah, je suis sûr que ce maudit nain a dû me parler des légendes de toutes ces îles, quelque chose en lien avec les jours de l’année… mais quoi donc précisément ?

 

J’ai également un point de vue somptueux sur les reliefs du Connemara. Je peux presque y voir, derrière elle, la ville de Galway où j’étais il y a bientôt trois mois maintenant. Cette sensation de pouvoir voir tout mon chemin de tous ces jours d’errance me donne le vertige. Vu d’ici, tout ce temps semble insignifiant. Mais je n’ai pas le temps de me perdre en rêverie, car j’ai une offrande à commémorer !

 

Avant que je parte pour la montagne, j’ai été gentiment accueilli par une vieille dame du petit village de Murrisk. Je lui avais offert ce que j’ai de plus précieux, naturellement : toutes mes histoires de fées et d’aventure de mon année de pérégrination autour de toute l’Irlande. Dire qu’elle en était enchantée serait diminuer son émotion ; et alors que la soirée s’était bien éternisée, elle a sorti d’un de ses placards les plus en hauteur une petite bouteille translucide, qu’elle m’a mise dans les mains.

 

« Ne montre ça à personne ! Il y a longtemps, ma grand-mère m’avait expliqué le secret de sa meilleure liqueur. Elle m’avait raconté que c’était de la rosée de montagne, et qu’elle avait été interdite car le plus grand cadeau que pouvait faire un irlandais à ses Voisins. Beaucoup la paieraient cher aujourd’hui, mais pour toi, je te l’offre. J’espère que les fées du Croagh en profiteront autant que toi et autant que j’ai pu en profiter le long de ma vie. »

 

Avec un remerciement silencieux, j’ai caché la bouteille dans ma veste et je me suis bien gardé d’y penser jusqu’à ce que j’arrive poser le camp ici ! Pas besoin d’ouvrir la bouteille pour savoir à l’odeur puissante qui s’en dégage que c’est du Poitín, du moonshine, de l’alcool de contrebande. Je n’ai jamais eu la chance d’y avoir droit, à Dublin. Mon père et mon grand-père en achetait directement à leurs connaissances qui en produisaient, aux abords de la ville, avec des pommes de terre ou de l’orge. Ça a beau être interdit et contrôlé, cela ressemble plus pour moi à un secret de polichinelle. Le Poitín est sûrement la plus vieille boisson de l’île, et bien que je ne connaisse rien de son goût pour le moment (ce n’est qu’une question d’heure désormais !), il est assez exceptionnel pour que ce ne soit pas trois soldats anglais qui puissent l’interdire de vivre au sein des maisons. M’est avis que beaucoup contrôlent bien moins pour l’interdire que pour se servir à l’œil !

 

Let grasses grow and waters flow in a free and easy way

But give me enough of the fine old stuff that's made near Clay Bay

And policemen all from Donegal, Sligo and Leitrim too

Oh, we'll give them the slip and we'll take a sip

Of the rare auld Mountain Dew

 

 

J’ai tout préparé pour cette nuit. Un feu, mon whistle, mes chaussures de Leprechaun retirées. Les flammes font luire ses gravures d’une lueur mystérieuses. Jamais je ne remercierai jamais ce petit gars qui me les a offerts. Après avoir respiré un peu, j’ai ouvert la bouteille de Poitín. Si l’odeur était déjà forte, je pense qu’elle traversera toute la montagne en une nuit maintenant qu’elle est descellée. J’ai longtemps réfléchi à comment jamais en faire don aux esprits, mais le plus évident est de laisser la terre s’en imprégner. J’ai creusé près du feu un petit trou où la liqueur pourra rester en une minuscule flaque pour les Voisins qui ne vivent pas sous la terre. Et pour ceux qui en voudront davantage, eh bien… je laisserai la bouteille non loin, une fois que je me serai servi, naturellement.

 

J’ai pensé à en proposer à Richard, mais ça n’a pas eu l’air de l’intéresser. A peine a-t-il reniflé la bouteille qu’il a éternué et s’est vivement retiré. Au moins, je suis sûr qu’il ne tentera pas de voler la part des fées ! Alors, maintenant que tout le monde est servi… A votre santé, et bon courage pour l’avenir !

 

 

At the foot of the hill there's a neat little still

Where the smoke curls up to the sky

By the smoke and the smell you can plainly tell

That there's poitin brewin' nearby

For it fills the air with an aura rare

And betwixt both me and you

As home you troll, you can take a bowl

Or a bucket of the Mountain Dew

 

Now learned men who use the pen

Have wrote your praises high

Of the rare poitin from Ireland green

Distilled from wheat and rye

Throw away your pills, it'll cure all ills

Of Pagan, Christian or Jew

So take off your coat and grease your throat

With the rare auld Mountain Dew

 

 

Quelle rosée, et quelle montagne ! J’ai dû m’assoupir peu de temps après avoir goûté cette merveille. Je ressens encore en moi sa chaleur, plus forte que le soleil palot qui tente d’illuminer Westport au loin. Pas d’apparition ni de phénomène étrange ne semble venir à l’horizon, ni pour hier, ni pour aujourd’hui, mais la bouteille de Poitín est vide. Et à la place de ma petite flaque de liqueur… Il y a un peu d’herbe humide qui a poussé sur la terre grise et nue de la montagne. Je ne me souviens pas avoir aperçu quoi que ce soit, ni d’avoir vidé la bouteille par ailleurs. En aurai-je eu les capacités ? De mon souvenir, une seule gorgée a suffit pour m’assoupir… Alors je me dis que l’on ne rendra pas la mémoire des histoires du Clurichaune, ni même de cette nuit, mais… Notre offrande, à moi et cette vieille dame, a eu l’air de faire plaisir.

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