Sauvé ?

Par jojotte

I Sauvé.

 

Uriel sortit des toilettes, se lava les mains et les essuya avec une serviette en papier qu’il jeta dans une poubelle.  Avant de sortir,  il jeta un coup d’œil dans le miroir accroché au dessus des lavabos. Son reflet lui renvoya l’image d’un homme d’une trentaine d’années, à la peau hâlée due à un métissage. Il enleva l’élastique qui retenait ses cheveux, qu’il coiffait  habituellement en catogan, et sa chevelure noire  tomba sur ses épaules. Son visage  était marqué par la fatigue,  ses yeux marron étaient cernés. Il conduisait depuis plusieurs heures et il n’aspirait qu’à rentrer chez lui, et retrouver son atelier.

Il n’avait pas l’habitude d’accepter un chantier si loin de chez lui mais il n’avait pas pu refuser celui-là. Il était tailleur de pierre et il venait de passer plusieurs semaines  à restaurer un escalier dans un château. A 28 ans, c’était une chance pour lui de se faire connaître et comme sa relation avec Simon s’était dégradée, ce travail avait été pour lui un moyen d’y voir plus clair en s’éloignant de son amant tout en privilégiant sa professionnelle.

Simon… Ses pensées s’égarèrent un instant sur celui qui partageait sa vie depuis presque 3 ans. Une rencontre chez des amis communs, une attirance immédiate, un rendez-vous suivi de plusieurs autres, et il avait cru que cette fois-ci, c’était le bon. Simon lui avait avoué que lui aussi avait vu en lui celui avec qui il partagerait sa vie. Mais malgré une entente parfaite, au pieu comme ailleurs, les choses s’étaient dégradées.  D’une part par les absences de son amant qui travaillait dans l’import-export, et d’autre part, lui qui avait décidé de s’affranchir professionnellement en créant sa société de restauration de bâtiments anciens. Il était aussi sculpteur et les heures passées dans l’atelier étaient du temps perdu pour la stabilité de leur couple. Ils s’étaient éloignés  doucement l’un de l’autre, sans rompre néanmoins, cohabitant plus comme des amis que comme un couple.  Dès le retour de Simon, ils devraient parler, en finir avec cette situation qui les rendaient malheureux.

 Il sortit des toilettes et regagna son véhicule où Max, son chien, un berger belge croisé avec un labrador, lui fit la fête. Il démarra puis s’engagea sur  la voie qui rejoignait l’autoroute. Il avait  à peine parcouru quelques kilomètres que le panneau lumineux surplombant les voies afficha un signal d’avertissement. Un accident venait d’avoir lieu, bloquant l’autoroute, et les automobilistes étaient priés de la quitter et de se détourner vers les routes secondaires.

Une heure plus tard, Uriel dut se rendre à l’évidence, il tournait en rond. Les panneaux indicateurs  étaient rares et les noms des petits villages ne lui étaient d’aucune aide. Il ne connaissait pas la région et il n’avait pas de GPS pour le mettre dans la bonne direction.Il scruta l’obscurité à la recherche d’un endroit où s’arrêter, rouler sur cette départementale lui demandait beaucoup d’attention.

Il étouffa un bâillement, Il était temps pour lui de faire une petite pause s’il ne voulait pas finir dans un fossé pour s’être endormi au volant. Un regard en coin sur son passager lui confirma que lui aussi avait besoin de ce petit arrêt.

 Celui-ci s’agitait sur son siège montrant son impatience de sortir du véhicule.
A la sortie d’un virage, les phares balayèrent l’entrée d’un petit chemin sur lequel il s’engagea prudemment. La pluie qui était tombée la veille avait rendu la terre boueuse et il n’avait aucune envie de s’embourber.

Une surface recouverte de gravier, qui devait servir à entreposer les coupes de bois, lui permit de faire demi-tour sans problème.  Il arrêta son véhicule, coupa le moteur et sorti de la voiture suivi par Max. Celui-ci n’avait pas eu la patience d’attendre que son maître lui ouvre la portière passager.  Le chien flaira un instant le sol avant de suivre la lisère de la forêt qui longeait le chemin.


Uriel soulagea sa vessie, puis fit quelques pas autour de la voiture pour se dégourdir les jambes. Il frissonna, il ne portait qu’un pull léger, son blouson était resté dans le break dans lequel il remonta quand la morsure du froid se fit plus vive.
A la lueur du plafonnier, il consulta la carte et chercha dessus le dernier village traversé.  Suivant du doigt le tracé sur la carte, il comprit son erreur, il aurait dû rouler sur la nationale depuis longtemps. Il avait, à tort, tourné à droite un peu trop tôt. Rassuré, en sachant qu’il pouvait la rejoindre en quelques minutes, il rangea la carte dans la boîte à gants, baissa la vitre et siffla le chien qui n’était toujours pas revenu.

 Alors que d’habitude celui-ci accourait à son appel, cette fois-ci il n’eut aucun effet. Ce ne fut qu’à la troisième tentative qu’il le vit apparaître entre les arbres. Max s’arrêta à quelques mètres de lui, et insensible à l’ordre de son maître de grimper dans sa voiture, repartit dans la forêt.Il devina qu’il se passait quelque chose d’anormal, son fidèle compagnon n’agissait pas ainsi pour rien. Il revêtit son blouson, prit une lampe torche dans le coffre, verrouilla les portières et suivit l’animal.

Sa progression entre les arbres n’était pas chose aisée et il manqua de tomber en se prenant les pieds dans des ronces. Au bout de quelques minutes, la forêt se fit moins dense et la masse sombre d’un mur se dressa devant lui. Max l’incita à poursuivre son avancée par un aboiement auxquels répondirent ceux de plusieurs chiens de l’autre côté de l’enceinte. Sans savoir pourquoi, Uriel eut soudain la chair de poule, il n’était pas peureux de nature, mais il avait hâte de quitter cet endroit.

Le chien longea le mur sur quelques mètres avant de s’immobiliser, attendant qu’il le rejoigne. Ils se trouvaient à la lisière de la forêt, sur un chemin qui devait être parallèle à la route. Le mur faisait un angle droit sur la gauche et Max reprit sa course dans cette direction avant de s’arrêter devant une forme allongée par terre. Avec effroi, Uriel constata que contrairement à ce qu’il pensait trouver, ce n’était pas un animal blessé, mais un homme.

Il s’agenouilla devant le corps inanimé, qui était nu et transi par le froid. Il était vivant, mais son pouls était faible et il souffrait probablement d’hypothermie. L’homme avait besoin de secours au plus vite. Uriel réfléchit rapidement, son portable était resté dans la voiture et de toute façon, il aurait été incapable d’indiquer l’endroit  avec exactitude. «Il avait également l’étrange sensation que ce qui se passait derrière ce mur n’était pas sans rapport avec l’état de l’inconnu.  Il n’avait pas d’autre solution que de le porter jusqu’à sa voiture.

Le chemin du retour fut encore plus pénible qu’à l’aller.

La lampe torche, qu’il avait coincée dans une des poches du blouson qu’il avait passé à l’inconnu avant de le prendre dans ses bras, assurait un éclairage suffisant pour guider ses pas. Mais sans Max, il aurait été incapable de retrouver son chemin.Il fut soulagé quand il aperçu la lumière des phares du break, qu’il avait laissé allumés.

 Il installa sa charge le plus confortablement possible sur la banquette arrière, sous la  couverture, puis mit le chauffage à fond. Quelques minutes plus tard, il roulait à la recherche d’un hôpital en ayant l’impression d’avoir d’arraché son passager à l’enfer.
 

 

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez