Scène 3

Son vélo était en réparation, aussi, elle se dirigea vers la station de métro. Elle entra sveltement dans la rame au moment où les portes se refermaient sur une alarme stridente. Un jeune homme se leva immédiatement.

— S'il vous plaît, mamy.

Elle le remercia, s'installa et s'adonna à son activité favorite dans les transports : observer la multitude. Son regard se posa sur le costard cravate assis sur la banquette opposée. Un quelconque homme d'affaires, sosie de tous les hommes d'affaires. Sa position relevait légèrement les jambes de son pantalon et laissait entrevoir, au-dessus de ses chaussures noires cirées, une paire de chaussettes. Un ours jaune ventripotent aux bajoues avenantes. Moumi sourit et inspecta le costard cravate avec plus d'insistance. Il n'était plus un quelconque homme d'affaires. Il avait une famille, des enfants, une gamine qui, à Noël, brisait sa tirelire licorne pour offrir à son papa une paire de chaussettes Winnie l'Ourson qu'il portait fièrement sous son costume trois pièces pour se rappeler son autre vie. Sa vraie vie. Celle où il existait. Il y avait des gens comme ça qui n'existaient pas tant qu'une paire de chaussettes ne venait pas leur donner corps. Les hommes d'affaire. Les vieux. Un vieux, ça n'a pas de vie, ça n'a pas de chaussettes rigolotes, ça n'a pas été amoureux, espion ou auteur de livres pour enfants. Quand on vieillit, on tombe dans le domaine public. On devient mamy pour tout le monde. Jusqu'à ce qu'on monte sur une corde pour que les projecteurs crient "Regardez, je suis une femme".

L'annonce de sa station sortit Moumi de ses pensées. Gustave devait certainement l'attendre chez elle.

Les lampes du salon qui éclairaient le jardinet à l'avant lui indiquèrent qu'elle avait raison. L'ombre des dernières roses de la saison se dessinait sur le sentier qui menait à la porte d'entrée blanche, fraîchement laquée par Patrick pendant l'été. On sentait encore l'odeur piquante de la térébenthine. Moumi introduisit sa clé dans la serrure et vit une silhouette à travers les vitraux.

— Bonjour mon amour.

Gustave se tenait dans le hall, un tablier vert pré autour de la taille, et il lui tendit un verre de Bourgogne.

— Installe-toi, le repas sera prêt dans un instant.

Moumi ne demanda pas son reste et s'enfonça dans le vieux canapé de cuir. Il était déchiré en certains endroits, dissimulés sous des coussins bariolés et des couvertures en granny. Elle n'avait jamais pu se résoudre à s'en débarrasser, au grand agacement de Patrick. Il ignorait qu'il y avait été conçu.

La voix de Gustave s'échappa de la cuisine.

— Ton fils a appelé. Il n'avait pas l'air dans son assiette.
— Je lui ai annoncé pour le spectacle.

Seul un petit "ha" compréhensif lui répondit. Moumi s'absorba dans la contemplation de son rouge. Une couleur dense, amarante qu'elle fit danser entre ses doigts. Elle regarda les larmes glisser le long des parois du verre. Un détail la turlupinait. Quand Nico avait allumé la lumière dans la salle de répétition, elle était tombée. Ce n'était pas seulement l'éblouissement. L'espace d'une seconde, elle avait eu une sensation de vertige, envolée quand elle avait touché le matelas.

— Tu crois qu'il va s'y opposer ?

C'était Gustave à nouveau. Il disposait les assiettes dépareillées sur la table en formica.

— Je discuterai avec lui. Qu'est-ce qu'il t'a dit au téléphone ?
— Pas grand-chose. Il voulait savoir si tu étais rentrée. Tu n'as pas répondu à ma question.

Moumi pinça les lèvres en un sourire et plongea le nez dans son vin. Des notes de sous-bois et de champignons. Les effluves de terre mouillée la requinquèrent.

— Où as-tu trouvé le vin ?
— Une nouvelle caviste a ouvert à côté de la boulangerie. Très sympathique. Et connaisseuse, on dirait. Tu peux te mettre à table, c'est prêt.

Il revint avec une lourde cocotte bordeaux. Quand il l'ouvrit, ses fines lunettes argentées se couvrirent de vapeur. Moumi se pencha pour humer le fumet de veau mariné, de crème et de bouquet garni.

— De la blanquette et un bon cru. On fête quelque chose ? demanda-t-elle.

Gustave rosit, essuya ses lunettes et s'éclaircit la gorge.

— Oui. Ma demande en mariage.

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Pluma Atramenta
Posté le 31/10/2020
Salut Espelette !

Comme promis, me voilà pour ce commentaire <3 Et avant tout... bah... wouah ! Tu as déjà un style bien ancré, très léger, un peu comme ce ballon de baudruche sur la couverture ! Il y a encore quelques petites choses à retravailler, notamment la forme de ton texte, je pense que parfois, tu pourrais plus aller dans la précision. Je trouve également que tu gagnerais à plus t'essayer au-delà de ta zone de confort avec des tournures de phrases plus complexes, plus de métaphores, etc. Et juste dans la scène précédente, je crois avoir repéré cette coquille : "Chaque premier pas, elle avait huit ans." Je crois que tu as oublié le « A » en début de phrase, non ? (A chaque premier pas, elle avait huit ans) ?
Enfin bref, juste quelques p'tits problèmes qui ne nuisent pas en somme à la beauté de ton texte ;)
Je suis sérieuse, je trouve ton récit super fluide, et le fait que nous suivons une vieille femme me charme beaucoup. En fait, c'est surtout l'originalité du scénario qui a principalement titillé mon intérêt en lisant le résumé... Et pis c'est fou combien, en quelques paragraphes, on peut trouver ce texte entraînant !
La profondeur des sentiments de Moumi est touchante, tu gères vraiment côté émotionnel. On ressent, on sait, on devine sa passion avec tant d'efficacité... C'est poignant. Lumineux. Dans sa légèreté, tes mots transportent un message qui selon moi portera de la puissance.

Puisse ton récit émouvoir la Lune !
Pluma.
Espelette
Posté le 16/11/2020
Wouaw. Un grand merci pour ton commentaire Pluma. Ca fait chaud au cœur. Je me sens un peu bloquée avec ce texte-là mais ça va passer. Moumi a encore des choses à dire ;)
Est-ce que tu peux me dire à quels endroits tu aurais voulu plus de précision ou c'est une forme générale ?
Pluma Atramenta
Posté le 17/11/2020
D'après mes souvenirs, c'est plutôt une forme générale ^^
Alice_Lath
Posté le 29/10/2020
"entra sveltement " => Je pense pas que ça soit le mot adéquat haha
Et sinon, j'adoooore la demande en mariage, aaaaah, c'est trooop cool ! (ui, je suis 0 romance, je n'aime pas ça SAUF quand ça concerne un couple de petits vieux trognons, là je suis toute en mode choupinance maxiiii)
Hum hum, je vais tâcher de reprendre mon calme à présent haha. Tu as en fait une écriture très dense et parfois tu mets des détails au même niveau d'importance que des faits cruciaux pour nous lecteur haha, tu leur accordes la même visibilité. Je pense que c'est vraiment le petit défaut que je repère, car du coup je suis toujours aux aguets de peur de manquer LE petit mot qui explique tout haha
Espelette
Posté le 30/10/2020
Oui, je pense que la densité de mon écriture vient de l'habitude d'écrire des textes très courts. J'ai aussi très peur de verser dans le mièvre et le pathos alors j'épure au maximum.

Quels sont, pour toi, les détails et les faits cruciaux ? C'est très intéressant comme remarque.
Moumi est quelqu'un qui porte beaucoup d'attention aux détails, c'est sa façon d'appréhender le monde (c'est la mienne aussi). Mais je ne veux bien sûr pas noyer le lecteur.

Encore un énorme merci pour tes commentaires. C'est motivant et instructif.
Alice_Lath
Posté le 30/10/2020
Par exemple, la présentation de Gustave haha, il est vraiment survolé le pauvre, surtout quand il arrive. La porte a le droit à plus de détails que lui haha
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