Scène 4

Patrick attendait sur un banc de bois. Tout autour de lui, les clients avaient pris d’assaut les mange-debout du bar à poissons. Patrick voulait penser que c’était à cause de la popularité de l’établissement qu’il n’avait trouvé que cette place mais, au fond de lui, il savait bien qu’il avait ralenti le pas en voyant un couple se diriger vers l’unique table libre. Il se sentait bien plus à l’aise posé sur son banc public à quarante-cinq centimètres du sol, les pieds bien ancrés, que perché sur un de ces tabourets géants et instables. Il verdissait devant un marche-pied. Déjà bébé, pour calmer ses pleurs, il n’était pas question de le promener en faisant les cent pas. Il ne s’apaisait que lorsque Moumi, assise en tailleur, l’installait entre ses jambes pliées. Elle avait passé des heures dans cette position, pratique pour les biberons puisqu’elle gardait une main libre. Tout de même, être acrophobe avec une mère funambule, c’était antinomique.

Moumi arriva pile à l’heure et se fraya un passage à travers la foule du dimanche midi. Patrick et elle se donnaient souvent rendez-vous dans cet endroit et Moumi sourit en observant la faune habituelle. Un bambin goûtait son premier maquereau et le recrachait aussi sec sous les regards attendris de maman-papa, un trentenaire présentait sa nouvelle copine à sa bande de potes et des touristes roucoulants écoutaient les conseils avisés des habitués et de leurs petits verres de blanc.

— Le musée du slip, visitez le musée du slip, vous adorerez, glissa Moumi à l’oreille des amoureux avec un clin d'œil avant d’arriver près de Patrick. Bonjour mon chéri. Tu vas bien ? Tu as déjà commandé ?
— Il faut qu’on parle, répondit-il d’un ton qui se voulait froid.
— Oui, bien sûr. Mais on ne peut pas bavarder le ventre vide et le gosier sec. Je passe vite au comptoir avant de m’asseoir. J’ai vu qu’ils avaient de l’anguille, je t’en prends une ?

Elle ne lui laissa pas le temps d'acquiescer et revint cinq minutes plus tard avec deux coupes de cava frais.

— Cette fois, c’est moi qui offre. Aux dimanches sans nuages !

Elle leva son verre pour trinquer. Patrick ne l’accompagna pas.

— Maman, j’ai réfléchi à cette histoire de spectacle. Tu te rends compte à quel point c’est dangereux ?
— Et tu te rends compte qu’on n’a qu’une vie ?

Cette petite phrase l’exaspéra. 

— Justement. C’est de la folie. Tu vas te rompre le cou en plus de te ridiculiser.

À ces mots, ce fût à Moumi de monter dans les tours.

— Me ridiculiser ? C’est donc ça qui te fait peur ? Que je me ridiculise ? Ou que je te ridiculise ? renchérit-elle en insistant sur le “te”. Que tes collègues brocardent parce que ta vieille mère exhibe sa chair flasque en public ?
— Arrête maman. Tu es simplement égoïste. Qu’est-ce que je dis aux enfants, moi ? Que leur grand-mère joue les acrobates à 10 mètres de hauteur…

Un haut-le-cœur le souleva.

— …mais qu’ils ne doivent pas s’inquiéter. Ils m’ont entendu en parler avec Martina et depuis, Thomas fait des cauchemars.

À l’évocation de son petit-fils, Moumi se calma. Elle réfléchit quelques secondes puis ses yeux se mirent à briller :
— Amène-les à la salle de répétition un jour après l’école. Je m’arrangerai avec Nico, il viendra avec sa fille aussi, elle a l’âge de Laetitia. On leur fera une petite démonstration et ils pourront essayer.
— Hors de question ! rugit Patrick. 

Quelques clients voisins le regardèrent, intrigués. Patrick vida d’un trait sa flûte de cava et toussota à cause des bulles de gaz carbonique. Moumi préféra se taire quelques instants pour qu’il s’apaise. Quand les joues de son fils reprirent une teinte plus humaine, elle reprit la parole.

— Parlons d’autre chose. J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. 

 Patrick ne réagit pas.

— Gustave m’a demandée en mariage. Tu veux bien être mon témoin ?

Moumi avait espéré alléger l’atmosphère avec un peu d’allégresse. Erreur. Échec. Fiasco. Elle n’avait pas prévu l’éruption qui suivrait. Toutes les vannes qui retenaient encore la colère de Patrick pétèrent sans prévenir. Une rancœur vaseuse se déversa à gros bouillon. Il explosa.

— Tu vas trahir papa ! Et tu penses vraiment que je vais participer à cette mascarade ? Que je vais fouler sa tombe sans rien dire pendant que tu batifoles avec son remplaçant. Tu rêves. Ne compte pas sur moi. D’ailleurs, ne compte plus sur moi. Tu n’as plus de fils, ni de petits-enfants. Tu es libre comme le vent maintenant. Sans attache. Va t’amuser avec ton amant et ton équilibriste, je m’en contrefous.

Il s’éloigna en courant, une boule de rage enflant dans sa gorge. Toutes les tables s’étaient retournées pour assister à la scène. Moumi, choquée, ne fit même pas un geste pour le rattraper.

À ce moment, le serveur, sortant les bras chargés de la poissonnerie, ignorant ce qui venait de se passer, cria d’un air enjoué.

— Deux anguilles pour Moumi et Patrick.

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Filensoie
Posté le 04/08/2021
Ouf... J'attend la suite... Vont ils se revoir bientôt ces deux là ?
C'est vif, c'est énergique, c'est bien dit la relation mère fils...on sent venir la colère mais on se demande ce qui va se dire
Alice_Lath
Posté le 20/01/2021
Beh alors mon ptit père Patrick, il faut péter un coup haha sa mère a bien le droit de vivre, non mais zut à la fin
Moumi est vraiment beaucoup trop choupi je dois dire, même si j'aurais peut-être aimé un poil plus de développement du texte qui semble se hâter, se précipiter même. Je pense qu'il gagnerait à respirer un poil davantage histoire de gagner en intensité
Et le pauvre gosse qui goûte du maquereau pour la première fois... Brrrrr, toute ma compassion sur lui
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