Scène XII - L'insatisfait qui ne voulait pas de deuxième chance

Vulcain avait chaussé un monocle qui lui donnait l’œil énorme, globuleux, un peu comme une baudruche décolorée. « Si un enfant passait par là, songea Julius, il aurait certainement une belle frayeur ». En effet, depuis de longues minutes déjà, le mécanicien s'était penché sur le comptoir en une position presque reptilienne, vertèbre après vertèbre, jusqu'à ce que son dos eût formé une bosse anatomiquement inhumaine. Son visage aux traits grotesques, fatigués, portait les poils hérissés de concentration, si bien qu'avec la densité de sa barbe, de sa moustache et de ses sourcils, il évoquait la face broussailleuse d'un fauve avant de sauter sur sa proie.

Et la proie, les proies, c’étaient ces petits rouages éparpillés sur le meuble, leur argent rutilant captant la lumière qui, de la fenêtre, atterrissait en plein sur eux dans un déluge de particules rougis. Le soleil tombait entre les plaines.

Vulcain était venu pour réparer la machine à écrire de l'antiquaire, vachement endommagée après avoir heurtée les dures briques de la route. Il avait parié pouvoir rafistoler tout engrenage en quelques minutes, mais vu l'état du mécanisme à encre, Julius se dit qu'il allait devoir se montrer patient. Très patient.

 -  Saleté de chat, grommela Vulcain, à qui Julius avait fait gober une histoire abracadabrante, comme quoi c'était Loupiote qui était derrière ces dommages. Z'êtes bien sûr que l'félin a pu arracher les touches rien qu'avec ses p'tites canines ?

 -  Certain. C'est moi qui l'ai surpris en pleine œuvre.

Julius risqua un coup d’œil vers ledit chat qui, de son rebord de fenêtre, interrompit dans sa toilette pour lui renvoyer un regard courroucé.

 -  Et vous, Vulcain, de votre côté... De bonnes nouvelles ? Mon flacon d’Enthousiasme prescrit a-t-il agi bonnement ?

Le nez dans ses réglages, armé d'un tournevis et de jurons extravagants, le mécanicien se fascinait tellement par son travail qu'il en oublia un instant de répondre. Ou alors, il négligeait seulement cette question qui nécessitait au moins une phrase bien construite – sans mâchure, froissure, craquelure. Vulcain était né silencieux, décidant instantanément de ne prendre part aux conversations qu'à une condition : si elles abordaient le sujet du « pognon ».

Julius se racla la gorge, répéta sa demande de cette voix douce et sèche qui donne l'impression d'avoir du velours dans la gorge. Une fois qu'il fût certain d'avoir bien saisi le sens de la question, Vulcain se gratta les pissenlits de la barbe, au coin des narines, puis esquissa une convulsion si énigmatique que Julius fut incapable de déterminer si elle tenait du sourire ou du rictus.

Sans doute un peu des deux.

 -  Z'êtes bien gentil, M'sieur Julius. Et vo'te émotion aussi, avait bien bon goût. Seulement, voyez-vous, j'ai besoin d'un vrai docteur, un homme aux références médicales, stratégiques et logiques. Un homme empreint de vastes connaissances grandioses. Inutile d'préciser que vous n'êtes pas cet homme.

 -  En... en effet.

Il ne s'attendait certainement pas à ça.

 -  J'ai rien cont'e vous, M'sieur Julius, hein. Z'avez une bonne bouille, des yeux compatissants et beaucoup d'qualités... Mais c'est fini, maintenant, avec vos flacons en porcelaine ciselée, vos bésicles de savant, vos conseils bidonnants. J'vous jure, en v'nant dans cette boutique, j'aurai même pas été étonné d'vous voir sortir un de ces pavés de cuir chatoyant, avec des feuilles couleur or qui réfléchissent la lumière et les sottises. Vous êtes un magicien, un fou, un rêveur, un beau-parleur, M'sieur Julius. Plein de choses. Pas un médecin, tout'fois.

Vulcain avait sorti ces phrases sans jamais relever le monocle de son travail, le nez pendant vers l'avant et les paroles épineuses.

Sans état d'âme, justement.

Et pourtant, le mécanicien ne semblait absolument pas se rendre compte de l'impact de ses grognements sur Julius. Lui avait la mémoire qui inscrivait mot pour mot ce discours afin de le ressortir plus tard, les jours de doute et de désespoir. C'était comme un poison lent.

Déjà piqué par ce venin verbal, l'antiquaire s'agrippa au coin du comptoir, tremblant, une sphère de douleur coincée en travers de la gorge. Il ne répliquait rien, en raison de cette étrange boule qui étouffait le moindre son produit par ses cordes vocales. Il avait les yeux secs – mais plus pour bien longtemps. Un filet de sueur en bordure de la tempe, il s'évertuait à garder son calme, à refluer sa tempête intérieure. Oh, combien de fois le Père Métal lui avait déjà proféré de telles phrases ? Combien de clients lui avaient déjà insinué quelques déceptions face à son in-expertise, par le passé ?

Et tous ces torrents verbaux venus de Vulcain, d'accoutumée si muet...

Sa maladresse, sa douceur, ses scrupules et sa réserve lui coûtaient définitivement trop chers. Il allait falloir les camoufler sous d'autres traits à présent – délicatement – les envelopper d'une couche de peinture neuve. Et parfumée, cela allait de soi. A l'aide d'un pinceau, sans conteste.

Julius se revoyait petit.

Petit, empêtré dans sa trop large chemisette de nuit qui, lui ruisselant jusqu'aux genoux, était maintenue par un gros cordon laineux. A moitié englouti par la bouche de l'escalier, une flammèche à la main, il observait discrètement son grand-père, penché à un petit bureau en cèdre noir. Muni de ses binocles et de ses deux furieuses moustaches qui s'évadaient de chaque côté de la tête, il était en pleine création, en plein embouteillage d'énièmes émotions. A ces moments, ses rides, ses vilaines rides tordues en sourires malsains brillaient sous le pâle halo de la Lune. Sa chemise se boutonnait jusqu'au cou, à la naissance de ses cheveux salés, coiffés en élégant mulet. Ses lèvres, engouffrées sous la pointe de son menton, grimaçaient de sévère concentration.

Le vieillard faisait peur.

Pourtant, c'était aussi à ces moments, et rien qu'à ces moments que le Père Métal avait le doigt fin, osseux, délicat et perfectionniste, sillonné de veines aux couleurs de la tendresse, de taches aux mélodies de la vieillesse. Il souriait même en survolant minutieusement ses éternels bocaux, repus de coquillages, de liquides pittoresques ou de pétales de fleurs.

Parfois, il arrachait aussi quelques feuillets, y faisait tousser sa plume par griffonnages mathématiques. Parfois, il hissait une œillade rêveuse vers la lucarne, aspirant une nouvelle goulée d'inspiration. Le Père Métal était fascinant.

Oh oui, c'était bien à ces instants, caché, et les douze coups qui disloquaient l'aujourd'hui du demain retentissant au-dehors que Julius Junior insérait un rêve, toujours plus profondément chaque nuit. Un rêve tortueux comme les branches d'un cerisier au printemps, fluide tel un cours d'eau claire. Car plus il mémorisait les doux gestes du Père Métal, plus il avait ce but présent, en permanence au creux de son esprit, et qui guidait son action, si étroitement imbriqué à son être qu'il était comme une deuxième âme dans son corps.

Dès ces huit ans, c'était devenu une obsession pour lui.

Comme toute une génération d'ancêtres avant lui, il deviendrait antiquaire à émotions, plus amoureux encore que son fou de grand-père déjà bien éperdu. Ces jolis flacons diamantés, ce seraient ses fées. Son jeune âge aidant, Julius le croyait indubitablement.

 -  Aah, M'sieur Julius... Dans la lune ?

Le retour à la réalité fut douloureux, un peu comme la souffrance d'un vieillard qui se brûle la barbe après s'être endormi sur sa pipe. Un peu comme quand on oublie son cœur sur un trottoir, et qu'il se fait écraser par des semelles usées.

C'est brisant.

L'antiquaire redressa fébrilement ses binocles. A travers ses deux verres, Vulcain fanfaronnait dans sa trop épaisse barbe, tout en claquant une impressionnante clé à molette devant son monocle. Une l'étincelle avait éclipsé la fatigue de son regard.

 -  Pardon. Vous disiez ?

 -  Vot'e Enthousiasme, quel arôme délicieux ! radota donc le mécanicien, pas mécontent pour un sou. Ça fait une sacrée bonne friandise qu'voilà. Si jamais il vous vient l'idée d'ouvrir une confiserie, comptez sur m'soutien !

Jamais il n'aurait pensé à enfoncer sa clé à molette dans la poitrine de l'antiquaire, non, mais le martyr avait exactement l'impression de recevoir cette arme en plein cœur – verbalement.

Pourquoi était-ce donc considéré comme impoli de quitter soudain la conversation, de s'enfermer dans une autre pièce ? Julius mourrait d'envie de se plonger le visage dans la fourrure nocturne de Loupiote, d'écouter battre contre son oreille son infime cœur de félin, son profond et velouté ronron de chat heureux.

L'antiquaire eut soudain envie de pleurer, de pleurer par larmes glacées, des larmes rebondissant sur le sol comme les perles d'un collier cassé.

 -  Je... je vous remercie, Vulcain. Merci pour la machine à écrire.

 -  Mais d'rien, mon p'tit !

Le mécanicien était dorénavant occupé à fixer les nouveaux rouages entre eux, avec une méticulosité telle qu'un battement de cils les aurait envoyés à l'autre bout de la pièce. Vulcain manipulait ces boulons dentés comme on manipulerait un nouvel espoir.

Il ressemblait un peu au Père Métal avec ses flacons, dans ces moments-là.

 -  Aller, hop ! Plus que deux-trois p'tits tours, plus que deux-trois coups d'ciseaux en bois et ce sera bon... ! Vot'e machine à écrire redeviendra comme neuve... ! Satisfait ?

 -  Vous ne pouvez imaginer comment.

 -  Tant mieux, haha ! Et pour ma difficile humeur, n'ayez crainte, M'sieur Julius. Nix m'a pris une consultation chez l'médecin. Toujours à mes petits soins, la jolie, héhé !

 -  Oui, en effet.

 -  Et pis t'connais pas la nouvelle !

Sa loupe d’expertise roula. Les yeux de Vulcain s'étaient maintenant faits brillants, pétillants, un peu comme du cidre. Julius craignait de connaître le goût de ce cidre-là, cela dit. Des univers si denses le séparaient du mécanicien... Dès qu'un événement ravissait Vulcain, l'antiquaire pouvait presque être sûr qu'il le répugnerait, lui. Mais voulait-il vraiment passer au chaudron ? Son angoisse grandissant, Julius scruta péniblement le regard de son compagnon – jaunâtre, abîmé et injecté de sang – puis ses lèvres – fines, flasques et molles – en guettant le moindre signe d'une poursuite d'idées.

Elle vint finalement, filée au cœur d'un jet de postillons :

 -  Nix va se remettre à danser ce soir, l'ballet se déroulant au Kiosque Abandonné ! Ah, si t'aurais pu l'voir, virevoltant dans le rouge sanglant de sa douce robe rococo, au milieu d'tailleurs et domestiques ! Magnifique ! La grâce incarnée !

 -  J'étais déjà au courant de cette nouvelle, articula Julius, à qui la mention du Kiosque Abandonné arrosait le souvenir du sourire de Danaé.

L'allumeuse de réverbères avait vraiment bien choisi son lieu de rencontre, et le fait qu'il coïncide avec les horaires de gala de Nix en plus n'était sans doute pas un hasard... Julius aurait dû y penser avant, ce n'était pas comme si des myriades et des myriades d'affiches rouges et dorées peuplaient l’entièreté de la ville. Ça lui apprendra de se montrer aussi rêveur, étourdi, songe-creux, lunaire ou trompe-réalité ! Une bulle d'excitation crut doucement en son for intérieur. Il en oubliait presque le rabaissement de Vulcain. La douleur coulait sur son âme sans l'attaquer.

Danaé, le fruit de ses joies ou de ses peines ? Il ne le savait plus.

Et ne cherchait plus à le savoir.

 -  Va-t-elle chanter, aussi ? demanda-t-il avec intérêt.

Il y avait une sensation, suave et sucrée, se glissant silencieusement – sans bruisser – entre ses entrailles. Elle filait dans ses veines, un peu au ralenti. Brûlante à en faire mal. Elle aspirait les étoiles du ciel, les épinglant aux plis de son visage. Comme pour que son sourire y reste gravé éternellement.

Julius se ressentait vivre, il regoûtait à nouveau au Bonheur de sa langue qui déteste parler. Quelle était donc cette source d'étincelles, le galvanisant de l'intérieur ? Rythmant son cœur, ses gestes et les poussières qui s'écrasaient sur les meubles, tout autour de lui ? La hâte. Une hâte folle, fluide, fatiguée.

L'antiquaire, les mouvements légers, pris en apesanteur, retira ses binocles afin d'essuyer la perle de salive due au trop grand enthousiasme de Vulcain. Vulcain, d'ailleurs, ayant ramassé sa loupe et les autres babioles tombées au sol, croisait maintenant ses mains devant son gros ventre d'un air pleinement satisfait.

 -  Pour sûr que Nix va chanter ! Avec ses intonations d'ange, en plus, j'te dis, ça va être d'gâteau !

Il se frotta les mains ; Julius l'imitant.

 -  Aaah, l'festival d'Noël... ! Vous souvenez-vous l'année dernière, d'ses lampions colorés, comme d'bouts de bonheur condensés, illuminés, chauffés ? Gilding en débordait... ! On en trouvait même sur l'sèche-linge ! Et ces duels d'ombrelles, de coqs... Ces concours d'la machine la plus extravagante de l'année ! On retrouvera aussi n'chères bières chaudes, comme le veut la trad'tion... oh oui, oh oui !

Les bières chauffées étaient effectivement l'emblème de la fête dans les contrées gildigiennes. On n'en buvait qu'à de très rares occasions, souvent afin d'exprimer et symboliser notre joie. Entre ces collines et celles environnantes, qui disait « festival de Noël » disait aussi « parement grandiose ». On s'y rendait resplendissants, enserrés dans des vêtements plus extravagants et épouvantables les uns que les autres. De satin, de cachemire ou en brocart rigide, on en trouvait également conçus à partir d'un plumage de colombes. Couverts d'ailes de corbeau cousues ensemble. Le bustier en fourrure, le corsage écailleux, les jupons couleur carapace de scarabée.

Le mois précédant le festival, les tailleurs se lançaient des œillades venimeuses dans les rues ; les chasseurs endossaient un plein-temps.

Une artère d'euphorie remonta l’œsophage de Julius à l'évocation de tout ces souvenirs. S'il s'en souvenait de ces merveilles... ? Quelle question !

Le sourire aux lèvres, il balaya la boutique des yeux. Il aima ses détails, soudain. Ses minuscules détails de guingois, bancals et ainsi parfaitement à leur place. La mince griffure en travers du comptoir. Les pieds de l'automate qui dépassait du rideau. La poignée dévissée du placard. Les bouchons mâchouillés qui coiffaient certains échantillons d'émotions. Le coussin au velours râpé sur la chaise à bascule. Sa pendule à coucou audit coucou défectueux. Les oreilles frétillantes de Loupiote, tandis qu'elle sommeillait. La particule de poussière posée juste là, au sommet de son doigt.

Les détails, c'est sacré. Plus encore que l'essentiel, lui semblait-il. C’étaient ces détails qui habillaient cet essentiel juvénile, nu et inoffensif. Sans eux, l'essentiel ne serait rien. Eux, ils savent paraître un peu fripons ; à gambader, galoper, loucher aux creux des visages, à se faufiler dans leurs fissures tantôt légères, tantôt profondes, tantôt gonflées. Ils farfouillent dans les cils, dans les gercements de la bouche. Ils abritent même les âmes au cœur des rictus les plus défectueux, comme cette moue étrange des gens qui ne souhaitent pas parler, pour ne pas trop en dire, pour ne pas trop en perdre.

Ils sont crapules et chatouilleux, gouapes et honnêtes.

Si honnêtes qu'ils dupèrent même Julius qui, en souriant, dévoila au monde cette tache de chocolat, collée à sa dent.

Danaé l'avait invité.

Danaé, la superbe, la coquine, la franche et flamboyante allumeuse de réverbères. Ce n'était pas avec du gaz et de l'huile qu'elle les allumait, ses lampadaires. Elle n'en avait pas besoin. Elle les allumait d'un rire, comme elle avait ensoleillé le cœur de l'antiquaire de la même façon.

Depuis deux semaines.

 -  Et... et Monsieur Vulcain de Forgeron, si jamais vous voulez essayer avec une nouvelle émotion, n'hésitez pas, hein ! débita Julius précipitamment, trop joyeux, pompette, pour retranscrire les supposées conséquences de ses paroles.

Il n'y en eut pas, heureusement.

Loupiote souleva une paupière ensommeillée, le mécanicien piocha dans sa boîte à outils, et Julius piocha dans son cœur une émotion pour en soulever le contenu. S'il arrivait à mettre des mots sur ce sentiment, alors peut-être deviendra-t-il la nouvelle mascotte de la boutique. Et il faudrait y trouver des ingrédients, aussi. Plein d'ingrédients.

Il cala sa paume contre son menton, un rictus songeur lui déformant les lèvres. Du sucre déjà, il lui faudrait du sucre. Une particule de brume. Du pollen de fleur de cerisier. Une fourmi rouge. Une larme de joie et de tristesse. Une vibrisse de félin.

Le binoclard s'appliqua à noter chacune de ses idées sur un vieux papier, chiffonné au fond de sa poche. De son côté, Vulcain venait d'achever les derniers ajouts de la machine à écrire.

 -  Vous m'rembourserez plus tard, déclara-t-il en interpellant Julius et ses flots de gratitude.

Le vieillard se détroussa les manches, lui tendit la main, bougonna entre les poils et les pissenlits de sa barbe :

 -  C'était un plaisir, M'sieur.

Julius s'empara de cette poigne en glissant discrètement un flacon à Douceur dans l'ourlet de sa chemise. Vulcain demeura impénétrable, ou du moins en apparence. Si Julius ne nageait pas dans le coton de ses nuages spirituels, alors peut-être aurait-il prêté attention à ce repli broussailleux au creux de son sourcil, un repli qui zigzaguait sur sa peau un peu comme une grimace, la grimace des gens qui ont oublié comment dire merci. Comment parler, autrement que de petites billes dorées, et assez lourdes, quand même. L'argent, l'argent. Et le détail ! Décidément, c'était quelque chose d'important.

 -  Pour payer, marmonna Julius d'une voix qui hésitait encore à se faire entendre.

Vulcain dodelina de la tête, presque timidement, avant de se chapeauter de son haut-de-forme, de s'emmitoufler dans son immense redingote de velours sombre et d'enfouir sa large gorge entre ses épaules. Julius l'observa, tandis qu'il ouvrait la porte à la volée, avec ses pissenlits bien peignés, la courbe larmoyante de son nez, l'éclat nostalgique de ses yeux dont l'eau s'enfuyait par les creux dessinés autour. Le mécanicien, remarquait-il, portait en lui une tristesse presque sèche, un brin râpeuse, la tristesse maléfique qui nous fait basculer chez les vieux, juste comme ça. De manière indéterminée.

Après un incliné de chapeau en guise de salut, Vulcain s'échappa définitivement dans la bouche du dehors, noire, gluante et glacée.

Il laissait Julius avec ses réflexions – noirs, gluantes et glacées.

Jusqu'à ce qu'une autre s'invite, cependant un peu par hasard et en sautillant : Danaé l'avait invité.

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noirdencre
Posté le 05/12/2021
Comme le disait un sage oriental, la vie est un don plein de mystères où se mêlent inextricablement douleur et bonheur. Toute tentative pour avoir l'un sans l'autre est inévitablement vouée à l'échec.
Tu abordes bien cet aspect dans ce chapitre où on se blesse sans savoir, ignorance ou maladresse... mais ce que j'apprécie particulièrement c'est que tu le fasses sans jugement. La vie est ainsi, ni mal ni bien, juste dosée de douleur et de bonheur.
Pluma Atramenta
Posté le 10/12/2021
Merci beaucoup (encore) pour vos commentaires !
A quoi bon juger la douleur ou le bonheur des autres ? Pour moi, il me suffit de les contempler.
dodoreve
Posté le 26/08/2021
Coucou Pluma,

J'ai dû m'éclipser quelques jours de PA, mais c'est avec grand plaisir que j'ai vu qu'un nouveau chapitre de Dominos m'attendait à mon retour. Tu nous fais patienter avec ce chapitre, parce que moi en tout cas, j'attends avec beaucoup d'impatience ce fameux rendez-vous avec Danaé ! Et pourtant je serais bien incapable de dire que ça me déçoit ou déplaît, car j'aime bien aussi voir les choses se préparer petit à petit, tout en douceur. On apprécie l'attente qui tient compagnie à Julius à un rythme équivalent, et même si je voudrais l'apprécier en ayant lu ton histoire d'une traite, puisque je vis dans une éternelle impatience (...ce n'est pas tout à fait vrai, c'est une impatience sage). Toujours est-il que j'ai bien apprécié revenir auprès de Vulcain, même s'il est cru(el) et blessant, car ça nous permet d'apprécier l'Après des fioles d'émotions. Cet Après est lui aussi blessant, mais il ne m'intéresse pas moins. J'aurais aimé que les choses soient plus développées en ce qui concerne le parallèle médecine du corps / médecine de l'esprit, mais en même temps, je ne sais pas si ce développement aurait vraiment eu sa place au sein de ce dialogue, vu les caractères des personnages. Je ne sais pas. Disons que ça me fait toujours un pincement au cœur de constater qu'on malmène et ignore tant son mental, que rester à ce constat ne m'indiffère pas ; mais pourtant ton histoire montre d'elle-même, au-delà de ce dialogue, combien les émotions sont importantes.

C'est si attendrissant de voir Julius s'impatienter et se réjouir de cette invitation, dont il ne prend conscience que maintenant. J'ai si hâte de lire ça !
(petite coquille : "tout ces souvenirs" tous*)
Je crois que la dernière fois tu m'as souhaité une "pluie d'inspiration étoilée", et j'ai bien retrouvé ta plume à cet endroit : "Elle aspirait les étoiles du ciel, les épinglant aux plis de son visage." - Je ne relève que cette phrase, mais comme toujours, je ne me lasse pas de ton style aussi stellaire et doux.

Belles inspirations à toi <3
Pluma Atramenta
Posté le 27/08/2021
Merci pour tes mots, Dodoreve <3

C'est (presque) toujours ainsi dans mes récits : quand un grand événement vient à pointer le nez, il faut toujours que je laisse passer quelques temps avant qu'il n'arrive réellement et dans toute son ampleur. Je ne sais pas si c'est une manie à garder ou non, c'est tellement instinctif pour moi que je les oublie un peu, mes "bobines" de lenteur... (et puis je suis déjà quelqu'un qui prend énormément son temps dans la vie en général, alors peut-être que tout cela est lié :))
"J'aurais aimé que les choses soient plus développées en ce qui concerne le parallèle médecine du corps / médecine de l'esprit, mais en même temps, je ne sais pas si ce développement aurait vraiment eu sa place au sein de ce dialogue, vu les caractères des personnages." C'est intéressant, ce que tu soulèves... Je pourrais toujours essayer de développer ce parallèle autrement que par mes personnages, mais là, tout de suite, je ne vois pas trop comment procéder... Si tu as certaines idées, je suis preneuse.

"comme toujours, je ne me lasse pas de ton style aussi stellaire et doux." <3 Encore des mercis tout neuf pour le temps que tu accordes à Dominos, pour l'intérêt que tu sembles développer vis-à-vis de l'histoire et merci d'être toujours aussi présente pour elle... Ca me touche immensément.

A très très vite, j'espère <3
Pluma.
dodoreve
Posté le 27/08/2021
"Je pourrais toujours essayer de développer ce parallèle autrement que par mes personnages, mais là, tout de suite, je ne vois pas trop comment procéder... Si tu as certaines idées, je suis preneuse." Je pense que c'est tout simplement la portée de son histoire, et qu'en y réfléchissant dans sa globalité à la lecture, c'est déjà loin d'être absent. Je crois que ça dépendrait aussi de l'issue que tu donneras à cette histoire, qui ne fonctionnerait sans doute pas très bien si elle se concluait sur un discours vantant les mérites de l'aspirine devant ceux des particules de brume mêlées à d'autres douceurs de Julius. :) À ce propos, je crois aussi que tu n'auras pas besoin de mes idées pour que ce soit très bien. <3
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