Tous les jours, Busra descendait la rue bordée d’ifs maigres et vacillants jusqu’au carrefour de l’arbre géant. La rue était pentue et elle se sentait poussé irrésistiblement vers le colosse d’écorce et de feuilles. Deux routes se rejoignaient à son endroit, et il était semblable à un îlot majestueux. Ces feuilles argentées se tendaient vers le ciel, une à une, comme si les gouttes inversaient leur course et que la pluie remontait le temps. Le vent se jouait des ifs, mais l’Arbre, lui, agitait ses branches immobiles. Certains jours, Busra se sentait saisi par la force et la sagesse du végétal ; il semblait être la source de la vie et la lumière, et suivant les étirements sculpturales de ses ramifications, elle voyait comme l’étendu même du monde et des âmes. Elle sentait autour d’elle, en elle, qui la traversaient, les lames d’or souterraines de l’humanité. Elle aurait voulu connaître chaque arbre, chaque forêt, chaque roc, chaque terre et chaque homme. Elle se sentait enfouis de milles mémoires et de milles avenirs. L’épaisseur du monde et l’impossibilité de se muer dans chaque strate l’envahissait tout entière et une brume de triste gratitude lui montait du coccyx jusque dans le ventre, la cage thoracique, la gorge et les épaules. Si elle ouvrait la bouche, elle aurait pu chanter alors là mélodie oubliée d’avant Babel. Si elle en avait eu le courage, elle eu lavé le monde de ses larmes d’apocalypse. Dans ces instants, la possibilité d’une beauté éclatante et splendide du monde la paralysait tout en l’envolant. Elle avait sur le bout des cordes la réponse. Et quand elle se détournait de l’Arbre, dans la rue grise de lumière, poursuivant son chemin, elle n’était plus que mélancolie et espoir mêlés, Spleen et Idéal d’un monde où tout brûle, ou bien tout de noie. Et chaque jour, quand la Révélation ne venait pas, son souvenir envoûtait ses pas. Le Souvenir guidait son Espoir.
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