Il avait décliné l'invitation de sa mère de le conduire en voiture, préférant les retrouvailles dans le bus. Attendre à l'arrêt dans la matinée glacée et humide pour se faire accueillir à grands cris une fois sa carte validée, c'était ça les vraies prémices d'une rentrée pour Ismael. Ça plus que les réunions qu'enchaînait sa mère, le réveil insolent après deux mois de grasses mat' ; ça avant l'apparition de Priestlands School sous le ventre bombé des nuages gris.
Il fit le trajet coincé entre Damian et Lucy, s'efforçant de parler naturellement à Alejo qui se retenait à la barre de sécurité. C'était toujours ridiculement douloureux de faire face à l'hispanique – avec lequel Damian s'était lié d'amitié l'année précédente, le conviant chez lui autant que les autres pendant juillet et août. Ridiculement honteux pour Ismael de devoir reconnaître qu'il le trouvait attirant. Il s'estima au moins heureux que la rentrée marque le retour des pull-overs, des écharpes et des manteaux ; il avait été très très dur de détacher son regard d'un Alejo en maillot de bain.
En fait il sentait aussi le parfum de rentrée dans leur application à avoir tous enfilé leur uniforme. Dès le lendemain ils profiteraient de leur statut de dernière année pour s'habiller comme bon leur semblait, conservant juste le sweat réglementaire.
Quand ils arrivèrent à l'école, la pluie qui menaçait leur matinée semblait prête à se retirer. Le ciel n'était plus lourd et assombri, mais plutôt sur le point de se dévoiler. L'herbe encore verte du terrain de sport paraissait s'illuminer d'avance à l'annonce du soleil, aussi timide soit-il.
Le bus vomit sa flopée d'élèves, en même temps que les deux autres véhicules arrivés juste avant, et Ismael se dirigea d'un bon pas, encadré de ses amis, vers les escaliers déjà pris d'assaut. Plus tard, Ismael ne se souviendrait pas exactement de quoi ils avaient discuté : des vacances certainement, et des profs qu'ils espéraient avoir ou éviter. De leurs souhaits de copains de classe aussi, sûrement. Non, le jeune homme se rappellerait plutôt la façon dont le ciel s'était éclairci au moment où ils avaient atteint le haut des marches, de la brise qui possédait déjà le goût de l'automne et du profil d'Alejo qu'il ne pouvait s'empêcher d'observer avec un plaisir coupable.
Les listes de classe étaient placardées sous le préau. Des files d'élèves déjà au jus rebroussaient chemin pour rejoindre la salle où on les attendait ; sur un coup d'œil entendu, le petit groupe se fractionna. C'était l'instant « chacun pour sa pomme » de la rentrée. Ismael fendit la foule massée et bruyante, s'excusant à chaque pied écrasé sans ralentir l'allure.
La première liste ne lui apprit rien et il s'apprêtait à se décaler vers la suivante quand on l'y poussa maladroitement. Le temps qu'il réalise, on lui maintenait l'épaule collée contre quelqu'un, et il lui fallut encore quelques secondes pour reconnaître ce quelqu'un. C'était le nouveau de l'année précédente, celui qui avait débarqué vers la fin, Larson ? Liam ? Non, Lysander.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, ce dernier baissa les yeux vers lui. Manifestement, l'été lui avait pas fait de bien ; l'image du grand échalas au teint maladif dont Ismael se souvenait soudain se superposa à la vision du présent. Lysander avait les pommettes saillantes, des oreilles en pointe, une peau blanche et des cernes monstrueux.
— Coucou, lança tout de même Ismael en tentant de dégager son bras.
La pression sur sa droite ayant disparu, il put établir une distance plus conventionnelle avec l'autre. Celui-ci fronça les sourcils, chose qui accentua la force de ses étonnantes prunelles. Elles n'étaient pas seulement marron : un peu de doré y dormait. Mais avant qu'Ismael ne pousse son analyse, Lysander tourna les talons et se fraya rudement un chemin dans la cohue. C'était pas la politesse qui l'étouffait, ce type. Ismael l'ignora – après tout, ils se connaissaient pas vraiment – et s'intéressa à l'alignement de noms devant lui. Il repéra inconsciemment celui de monsieur je-dis-pas-bonjour – Lysander Lancaster – avant de noter le sien plus bas.
Ismael attendit jusqu'au dernier moment pour monter en classe. Damian, Lucy, Alejo et lui traînèrent sur un banc en surveillant l'heure, tout à leur joie d'être ensemble cette année. À force de rire et d'assurer qu'ils ne pourraient pas être en retard, ils se trouvèrent obligés de courir jusqu'au troisième pour atteindre la 308 avant que la porte ne se referme. Il sembla à Ismael avoir croisé sa mère durant sa cavalcade, nul doute qu'elle ne le lâcherait pas de la soirée avec ça...
Leur nouveau professeur principal les toisa mais dut bien les autoriser à entrer. Sur promesse, bien sûr, que ça ne se reproduirait pas. Leurs camarades les fixaient, certains hilares (les blagueurs), d'autres affligés (les pète-sec qu'Ismael se jura de ne pas côtoyer). Ils pouvaient rêver pour dégoter quatre places libres côte à côte. Damian et Alejo se hâtèrent au fond de la classe où demeurait une table de deux, Lucy en nota une autre et Ismael faillit la suivre quand son regard tomba devant.
Au tout premier rang, seul à son bureau double, côté fenêtre, Lysander Lancaster contemplait le vide. Jamais Ismael n'avait vu quelqu'un aussi plongé dans ses pensées, aussi déconnecté de la réalité. Lancaster se tenait droit, une feuille devant lui et la trousse sortie, il avait croisé ses mains comme un élève modèle – qu'il était certainement – et attendait. Ses drôles d'iris n'étaient pas tournés vers lui, n'avaient rien suivi de leur entrée fracassante, ils n'étudiaient pas plus le tableau où se détachait le nom de leur prof. Il observait le néant avec un tel sérieux, une telle gravité...
La lumière se septembre se déversait sur lui, l'auréolait, une lumière hésitante, un peu froide, chargée de nostalgie. Une lumière triste qui accentuait la pâleur de son épiderme, rehaussait l'éclat de ses cheveux sable – blonds aux pointes, sous cet angle – et soulignait une espèce de mélancolie dans laquelle Lancaster se drapait.
Ismael le trouva beau, tout simplement. De cette beauté un peu surréaliste que les peintres d'avant savaient capter. Et pour une fois, il put se le formuler sans rougir, sans que son cœur lui pèse abominablement. Il put formuler « Lancaster est beau sous cette lumière » sans que le débat intérieur sur sa bisexualité le reprenne.
Beau et triste. Triste et mystérieux. C'était ça, Lancaster paraissait tout droit sorti d'une époque révolue, transbahutant sur ses épaules des sacs pleins de secrets. Une année pour décrypter ses secrets, pour comprendre pourquoi ce gars avait l'air de porter toute la misère du monde sur ses épaules. Sans qu'il ne puisse vraiment l'expliquer, Ismael voulait connaître Lancaster et, pourquoi pas, en faire un ami.
Alors il alla s'asseoir à côté de lui, le tirant de ses songes en envahissant son espace. À la mine plutôt hostile qu'il lui renvoya, Ismael pensa que ce serait pas de tout repos d'essayer de s'entendre avec lui.
C'est sûrement un avis mal vu, mais je trouve qu'il ne faut pas trop pousser l'assistance au lecteur inattentif...
Concernant ce flash-back plus précisément, il est très utile et très bien écrit ! On se croirait avec eux en ce jour de rentrée chaotique, c'est très réaliste.
Et je trouve juste magnifique la description qu'Ismael fait de Lysander avant de prendre place à ses côtés. Il a un sens de l'observation très aiguisé, et même s'ils ne sont qu'amis, c'est difficile de ne pas croire qu'il y avait un peu plus pour Ismael face à cette vision ensoleillée et mystérieuse... : )
En tout cas, j'étais tellement fière de le voir choisir cette place plutôt que celle du fond de la classe !
Deux coquillettes seulement (et en passant - même si je me répète -, ton style est très agréable à lire, et même si je prends un malin plaisir à traquer les coquilles, j'en prends encore plus à lire ton écriture travaillée, fluide et précise) :
- « La lumière se septembre se déversait sur lui… » -> de septembre
- « Ismael pensa que ce serait pas de tout repos d'essayer de s'entendre avec lui. » -> que ce ne serait pas (l’absence du « ne » est un peu bizarre…)
Mais je suis ravie si on les identifie sans problème ! Je pense aussi que trop insister peut être dommage, néanmoins il serait encore plus dommage qu'on passe à côté.
Mais je me fie aux commentaires, à ce niveau-là, et j'ai l'impression que ça commence à aller, pour les identifier !
Merci pour cette description ♥ Ce n'est pas exclu qu'il y ait eu quelque chose ce jour-là qui a pris une toute autre direction, mais je ne mets pas de mots parce que ça va dépendre de la sensibilité de chacun. Y a des gens, comme ça... Et c'est une chose que j'aime beaucoup.
Par contre, je dois être bizarre mais ces flashbacks ne me dérangent pas du tout. A la limite, je ne suis pas contre du tout de créer un élément déclencheur dans le chapitre précédent, du style Ismael qui évoque leur première rencontre et PAF! on l'a en flashback juste après. Mais je ne suis pas du tout perdu dans la narration présent/passé. Pour moi, la mention des dates suffit amplement pour démarquer. Ceci n'étant que mon opinion personnelle.
Je vois leur rencontre comme un coup de foudre… amical pour Ismael mais reste à savoir comment ça s'est passé pour Lyz. Il a paru froid et assez sauvage sous le préau. Les débuts ne peuvent pas être tout rose, tout joli non plus. Il faut bien quelques difficultés ci et là.
En tout cas, à très vite pour la suite ! :D
Moi ça me va si la majorité de mes lecteurs sont bizarres comme toi "xD Je vois très mal cette histoire sans les flash-back, d'autant qu'on peut expliquer leur présence à la fin du tome. (merci ♥)
Un coup de foudre amical, exactement. Je suis intimement persuadée que ça existe, au moins le pressentiment de "là, ça peut coller !"
Tu lis vite ! Merci Dé !
Ce qui devait arriver arriva.
Jusqu'à présent je me disais : nooon, allez, il est amoureux d'Alejo, voilà...
Bah non BIM. J'avoue que j'espère quand même voir perdurer une amitié plutôt que de l'amour (parce que ce serait une très belle amitié, le genre où le désir ne vient pas mêler son nez).
J'ai un peu de mal avec les passages entre flashback et histoire principale... il faudrait peut-être un truc plus fort, pour faire encore mieux comprendre la démarcation... je ne sais pas.
Par contre j'ai lu que tu voulais peut-être supprimer ce flashback : moi je le trouve vraiment bien. On découvre une autre facette d'Ismael, qui n'existe pas que par/pour Lysander, et ça me plait bien !
Bon ces flash-back m'ennuient. J'avais espéré que la démarcation serait assez clair s'ils étaient les seuls à avoir une date. Ça m'embêterait d'écrire en gros "FLASH BACK" au début xD
Je vais continuer de mouliner, chercher des astuces, une démarcation encore plus appuyée.
Peut-être que le format web aide pas non plus ? No se...
Ah mais cool pour ton retour sur son utilité ! J'ai besoin de ce genre de choses ! J'en prends très bonne note, je te remercie ! (entre le moment où j'ai écrit cette réponse et maintenant, je me suis retrouvée à supprimer (dans la suite) des flash-back effectivement moins utile)
Encore merci Zig, tu lis beaucouuup
L'écriture est agréable, c'est fluide et tu ajoutes toujours des détails intéressants qui rendent le récit plus riche.
Au niveau de la temporalité j'ai un peu du mal, autant le flash back quand il est petit c'est facile à intégrer, autant sur l'année scolaire je trouve ça difficile et je me perds sur les chapitres du présent et du passé.
Je trouve aussi qu'il y a une scène qui revient : celle d'Ismael qui court derrière Lysander pour savoir ce qui va pas. la première fois au début après la bibliothèque, la seconde fois quand il va le voir chez lui et la après le cinéma. Ça me donne une impression de redondance.
En tout cas j'ai hâte de savoir quand la principale intrigue va commencer. Est-ce que les autres loups vont le contacter ? Ou le loup intérieur de Lys va t il prendre le dessus? Ou peut-être Lysander va t il prendre lui-même l'initiative de rencontrer la fille?
Rendez vous au prochain chapitre donc :)
Pour t'y retrouver, quand même : l'histoire principale se passe en février/mars 2014. Donc ça, c'est la rentrée.
Je prends bonne note de cette redondance. Sur le principe ça ne me dérange pas (Ismael qui va chercher Lyz, c'est un peu là où en est leur relation : Lyz qui s'éloigne et Ismael qui s'acharne) mais ce qui serait chiant ce serait la répétition des scènes.
Noté !
Au prochain chapitre, avec plaisir !
J'aime beaucoup comment tu as dépeint l'ambiance de rentrée, sans s'attarder sur ce qu'on connaît tous, en jouant bien avec, au contraire, avec des petits détails cool (genre le fait que sa mère soit prof et aimerait pas le voir en retard)
Petite suggestion : je sais pas si c'est dû à la mise en page FPA, mais je me perds très très légèrement entre les différentes temporalités. Genre quand je vois une année, je sais pas tout de suite à quoi ça renvoie... Sinon je trouve ça très bien l'ordre des chapitres comme tu les a mis !
Merci encore, Hinata ! Je tiens beaucoup à ces détails et que tu apprécies me fait dire qu'ils ne ralentissent pas l'ensemble, ce qui est rassurant.