Shimmering Manor, vendredi 21 septembre 1877

Par Beatrix

  

Mon cher cousin,

 Ma plume ne me semble pas glisser assez rapidement, tant j'ai hâte de vous raconter en détail ma première rencontre avec lady Shimmering. 

 C'est une dame d'une très grande distinction. La nature de sa maladie l'oblige à demeurer dans ses appartements, dans une quasi-pénombre, avec pour seul éclairage quelques lampes à demi voilées. Son séjour, cependant, est vaste et luxueux ; le mobilier m'a paru fort ancien, tout comme les tableaux au mur, qui représentaient de très belles dames en costumes d'époque, depuis, le seizième siècle jusqu'à notre époque. Je pense que le plus récent d'entre eux doit représenter lady Raffaella avant sa maladie, mais je ne saurais l'affirmer puisque je n'ai pu voir ses traits.

  En effet, pour dissimuler les ravages de son mal, elle cache son visage sous un voile. Quand je l'ai rencontrée, elle portait une robe de satin noir à col haut et même ses mains étaient gantées. Il me faut avouer que l'effet avait quelque chose de mystérieux et de dramatique. J'ai même craint brièvement, il me faut l'avouer, qu'elle ne cachât les ravages d'un de ces maux exotiques et mystérieux qui dévorent le corps encore vif. 

 Devinant sans doute mes craintes, elle m'a d'emblée rassurée en m'expliquant qu'elle souffrait d'une affliction de naissance, qui l'affaiblissait et marquait son corps, bien avant l'âge, des signes de sa mortalité. C'était la raison pour laquelle elle se dissimulait désormais aux regards et avait même fait voiler les miroirs de sa chambre.

  Et pourtant, elle m'a adressé les plus belles paroles que j'aie jamais entendues : « Ce n'est pas parce que j'ai perdu ma beauté que vous devez avoir honte de la vôtre. La simple vue d'un charmant visage allège considérablement mon cœur. »

  N'est-ce pas fort généreux de sa part ? Certes, je ne vous cache pas que j'aurais préféré entendre un beau jeune homme me faire une telle déclaration, mais jamais il ne m'était venu à l'esprit que je pouvais être jolie... et belle, moins encore.

  Lady Rafella ne me retiendra chaque jour que deux heures de mon temps ; pour le reste, je suis parfaitement libre de circuler à ma guise, d'utiliser la bibliothèque ou la salle de musique. Je peine à mesurer cette chance...

  Et ne froncez pas les sourcils, je vous vois d'ici ! Soyez plutôt heureux pour moi !

 Votre dévouée cousine,   Elisand Hartley     

 

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