Il est suffisamment tard ce soir. Il se décide à éteindre la télévision puis à monter se coucher. Sa femme est déjà monté depuis un moment. Il ne l'a pas suivie car le vendredi soir, il aime bien glander, prendre le temps de ne rien faire, prendre le luxe de pouvoir perdre du temps. Surtout, il ne veut pas voir cette journée se terminer.
Une journée qui se meurt c'est un brin de vie qui disparait, un présent qui devient un souvenir. Encore faut-il qu'il y a quelque chose à se souvenir.
Il saisit la télécommande et éteint la télé. Il se lève un peu raide, c'est comme ça depuis qu'il a la cinquantaine. Comme tous les soirs, il fait le tour de la maison et vérifie que les portes et les volets sont bien fermés. Dernier passage dans la cuisine, il ouvre le frigo pour voir s'il peut s'offrir un dernier encas, mais il pense à sa dernière prise de sang et à son médecin qui lui a demandé d'arrêter de déconner. Alors ce soir, il sera raisonnable. Il ferme le frigo et se satisfait de cette petite fierté, accompagnée de quelques regrets, fierté de la raison, celle des vieux cons.
Avant de monter les escaliers, il câline les chats. Il se dit que c'est incroyable d'autant aimer de si petites bestioles, animaux ingrats qui s'installent chez vous sans prévenir et vous ouvrent le cœur. Les chats sont blottis, chacun à sa place. Il les embrasse en enfonçant son visage dans leurs poils et profite quelques secondes de leurs ronronnements. Ils sont chauds, doux et bizarrement, ont une odeur qu'il trouve réconfortante.
Les chats, pense-t-il, c'est comme les gosses, on aime que les siens.
Sans bruit, il gravit les escaliers. L'étage est calme. Les filles doivent dormir même s'il pense que la petite dernière est encore réveillée et s'occupe dans le secret de sa chambre avec les occupations de son âge. Il décide de ne pas aller l'ennuyer.
Un peu de liberté, même surveillée, c'est toujours la liberté.
Une fois dans sa chambre il se déshabille dans la pénombre. Il se dirige vers le lit, vérifie que le velux est entrouvert pour que la nuit ne soit pas étouffante. Il se glisse dans les draps et regarde sa femme qui dort. Elle lui tourne le dos, lovée en chien de fusil. Il l'embrasse doucement dans le cou, derrière l'oreille. Elle bouge un peu et tourne la tête pour lui rendre son baiser. Ce soir, il décide de se coller contre elle. Il sait qu'elle adore ça et il se demande pourquoi il ne le fait pas plus souvent. Il passe son bras sous l'oreiller, doucement lui soulève la tête et se glisse contre elle, épousant parfaitement la forme de son corps. Elle, lui saisit son bras gauche pour le serrer contre sa poitrine, ainsi ils ne font plus qu'un. Il sent la chaleur de son corps, l'odeur de sa crème de nuit.
C'est peut-être ça l'amour.
L'amour c'est peut-être vivre ensemble, se préparer un bon repas, c'est un regard, une main qui glisse sur ses hanches quand ils se croisent dans la cuisine, l'amour c'est enregistrer la fin du film qu'elle aurait vu si elle ne s'était pas endormie sur le canapé, c'est préparer l'anniversaire des enfants et passer des heures pour choisir la couleur des décorations, parce qu'il voit bien qu'elle aime ça.
Collé contre elle, il arrive qu'il commence à bander et pourquoi pas ce soir la réveiller un peu plus et s'offrir une petite baise ? Mais finalement ce soir, il se ravise.
C'est bien comme ça.
L'amour ce n'est pas la baise, même si la baise c'est un peu d'amour.