Sixième partie : La quête. Chapitre 29 - L’équipe d’exploration

Par Keina

Il ne parvint pas à pleurer. Pas en s'éveillant, et pas plus le lendemain. C'était comme si… cette mort n’était pas réelle, pas entière. Il avait erré longtemps dans l'obscurité, espérant retrouver une trace, un indice, quelque chose qui le mettrait sur la piste de ce qu'il s'était passé. Il eut beau constater l'absence, le silence, le vide qui ne mentait pas, ne pouvait mentir, pourtant… quelque chose en lui continuer d'espérer. C'était stupide, il le savait. La mort était inexorable, implacable. Il ne le savait que trop bien. Il avait perdu Lisa, et Owen, et Tosh… Mais cette fois-ci, tout était différent. Lui-même ne pouvait pas mourir, et il avait cru, il avait espéré…

Mais non, il n'y avait plus rien dans l'autre univers.

Il ignorait comment se portait Jack, il ignorait si Gwen, ou Rhys, ou Martha, avaient subi le même sort.

Tout à coup, tout ce qu'il avait (re)construit depuis deux ans s’était écroulé, comme ça, en une nuit, comme s'il ne s'agissait que d'un fétu de paille. C'était impensable, incompréhensible.

Il n'y croyait pas.

 

Alors, un jour, il prit une décision.

— Je veux rejoindre l’équipe d’exploration, déclara-t-il à Beve lors d'un rendez-vous de sa propre initiative, cette fois-ci.

Celle-ci le considéra par-dessus son bureau, des lunettes rectangulaires posées sur le bout de son nez.

— Jolies lunettes, commenta-t-il en les désignant.

Elle émit un petit gloussement et les redressa sur l'arrête de son nez.

— J'en ai besoin dès que je suis devant un écran. Pourquoi cette décision ?

Ianto haussa les épaules. Soupira doucement.

— Peut-être que j'arriverai… peut-être que je trouverai…l'autre monde.

Ça y est, il l'avait dit. Beve sembla le contempler avec un brin de perplexité.

— Est-ce que Jane est au courant ?

Il hocha la tête. Il lui avait parlé, après avoir perdu définitivement le contact avec son autre monde. Elle l'avait écouté, compréhensive, comme toujours. Mais elle n'avait pas vraiment su quoi lui dire. Elle lui avait conseillé d'écouter son intuition. Pour elle, s'il ne croyait pas à la mort de l'autre Ianto, c'est qu'il y avait autre chose, forcément. Elle ignorait tout de la mort, mais peut-être qu'il restait quelque chose, un écho, un résidu, quelque chose à quoi Ianto pourrait se raccrocher pour trouver son Imagineur… Peut-être même son double avait-il fait exprès de lui laisser une piste avant de…

Mais non. Non, non, non. L'autre était mort, sa raison le savait. Le lui hurlait.

Alors pourquoi son cœur n'arrivait-il pas à croire en sa raison ?

— Bon, tu as fait tes preuves dans le service actif, reprit Beve, le sortant de ses pensées. Nous pouvons envisager de t'intégrer dans une équipe. Et Angèle, Andrew, sont-ils d'accord ? À terme, il va falloir te trouver un remplaçant au bureau de Classification des Mondes…

Un sourire, discret.

— Angie a crié tellement fort que mes tympans s'en souviennent toujours. Elle me fait encore la tête. Mais elle s'en remettra ! Je crois qu'en fait, elle est jalouse comme un pou que je parte en mission sans elle.

Beve rit doucement.

— Ok, tu iras avec l'équipe d'exploration de Malik lors du prochain départ. Mais en attendant de trouver quelqu'un pour te remplacer, tu continueras à travailler au bureau de Classification des Mondes, mettons… de façon saisonnière. Ça te va ?

Il acquiesça. Il ne lui restait plus que cet espoir. Il ne pouvait pas passer à côté.

 

Il fit part à Jane de son départ imminent. Elle l'abreuva de recommandation, comptant sur lui pour être aux aguets : il se pouvait que des Collectionneurs les précèdent dans les mondes inconnus, ou qu'un Gardefé s’éveille lorsqu’il passerait à proximité. Elle comptait sur lui pour la prévenir dès qu'un cas suspect se manifesterait, ou s’il trouvait son monde ou son Imagineur. Il promit tout ce qu'il y avait à promettre, sachant bien qu'il suivrait d'abord son intuition.

— Oh, et… à ce sujet, fit ensuite Jane d'un air un peu embarrassé.

Ianto darda un regard curieux vers elle.

— Alonso, il… il a trouvé son Imagineuse, tu sais. C'est une jeune femme adorable, même si pour le moment il ne lui a rien dit de lui. Il est parti la rejoindre avant-hier. Il ne t’en avait pas parlé, n'est-ce pas ?

— Oh.

Ianto ne savait pas quoi répondre. Il aurait aimé que le jeune homme le lui annonce en personne. Ils avaient été amis, après tout…

— J'espère… j'espère que tout ira bien pour lui, maintenant, dit-il après une hésitation.

Jane esquissa un sourire doux, un sourire qui disait tout.

— Grâce à toi, Ianto, tout ira bien pour lui.

Elle posa une petite main blanche sur son genoux. Ils étaient tous deux installés sur un banc, dans les jardins du château. Un arôme de terre mouillée titillait les narines de Ianto. L’automne s’était installé au Royaume, et les feuilles mortes voletaient autour d’eux, emportées par un souffle déjà rempli du froid de l’hiver.

 

Un matin, il retrouva à la porte de l’aile Ouest les membres de l’équipe d’exploration, qui l’attendaient pour partir à l’aventure. Tout en caressant distraitement le front étoilé de Myfanwy, il observa chacun de ses nouveaux compagnons de voyage. Il y avait Malik, actuellement absorbé par un baiser intense avec Andy, une façon comme une autre de lui dire au-revoir, mais aussi Mårten, un grand Suédois osseux aux cheveux gris, Soufia, une petite ronde aux doux traits exotiques et aux grands yeux noirs soulignés de khôl, et Paul, l’intello-geek du groupe, affublé d’un barda high-tech censé exploiter toutes sortes de données sur les nouveaux mondes qu’ils allaient découvrir.

— Bon, les amis, déclara enfin le grand baraqué après avoir décollé ses lèvres de celles de son amant, pour cette fois, la donne change : nous avons un Gardefé avec nous. Je vous présente Ianto Jones. (Il désigna Ianto d’une main et lui fit signe de s’approcher.) Ça veut dire que Mårten, tu n’as plus besoin de jouer les éclaireurs, dorénavant, Ianto s’en chargera.

Mårten inclina la tête en direction de Ianto, comme pour lui signifier son accord. Le Gallois lui rendit son salut, un peu nerveux. Paul fit un pas vers lui, prêt à prendre le relais du chef d’équipe.

— Ce que tu dois savoir, Jones, c’est qu’une fois qu’on a traversé le Passage, on ignore complètement ce qu’il va y avoir de l’autre côté. J’arrive à détecter certaines choses avec mes instruments : le niveau de radiation, d’oxygène… mais c’est tout. Nous pouvons aussi bien nous retrouver au milieu d’une horde de zombie…

— Ce qui est déjà arrivé, compléta Soufia avec un sourire. Je m’en souviens encore !

— Je suis prêt, répondit Ianto avec assurance.

Bien sûr, qu’il était. Il avait travaillé à Torchwood. Dans les deux Torchwood. Il savait ce que le multivers était capable de produire, les horreurs – et les merveilles qui pouvaient en résulter.

Alors qu’il s’apprêtait à grimper sur le dos de Myfanwy, une furie passa soudain les lourdes portes de l’aile Ouest pour se jeter dans ses bras.

— Angie !

Déconcerté, Ianto passa ses bras autour d’elle, peu habitué à recevoir une telle marque d’affection. Avant de comprendre ce qu’il lui arrivait, il reçut un coup de poing dans l’épaule et s’écarta, confus.

— Crétin ! fulmina Angie, sans paraître toutefois en colère. Tu allais partir sans me dire au-revoir, c’est ça ?

— Angie, je suis déjà parti en mission, c’est pas la première fois que…

— Mais là, c’est pas pareil ! grommela-t-elle avec un reniflement sonore. La cellule d’exploration, c’est… c’est dangereux.

Elle avait tourné la tête pour prononcer les derniers mots, reportant son regard sur le pauvre Paul qui harnachait son équipement aux flancs de son elfide avec des mouvements nerveux, et Ianto dut tendre l’oreille pour les entendre. Il se mordit une lèvre pour ne pas sourire, sachant que ça vexerait la jeune fille.

— Je reviendrai, promis. Et on ira au cinéma voir ces films de super-héros que tu aimes tant.

Elle leva le menton et braqua ses deux grands yeux couleur chocolat dans les siens, l’attitude soudain menaçante, l’index pointé sur son plexus.

— T’as intérêt à revenir, Jones, et en un seul morceau. Sinon, Gardefé ou pas, je te tue ! Compris ?

— Compris, répliqua le Gallois d’un air sérieux.

Tandis qu'il grimpait enfin sur la jument qui s'ébroua dans un hennissement, Angie, dans une impulsion subite, lui prit la main.

— J'espère que tu le trouveras. Jack. Tu dois le trouver, d'accord ?

Et elle s'éloigna, aussi subitement qu'elle était arrivée. Ianto hocha la tête et sourit franchement cette fois-ci. Tandis que les autres s'éloignaient en bavardant, il fit également un signe à Andy qui était resté en arrière, les mains dans les poches de son jean, et, d'une pression du genou, les rejoignit au petit trot.

L'aventure l'appelait…

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