Soirée en terrasse (11) - Rouge et Noir

Par Pouiny

Après de longs mois de travail acharné, dont Alexandre n’avait qu’à peine révélé à ses parents, le soir de la représentation arriva. Alexandre portait un costume entièrement noir au pantalon droit. Il avait enfin l’occasion de porter ses toutes nouvelles chaussures de danse, noires et blanches parfaitement cirée. Il rejoint Béatrice en coulisse, qui avait pour l’occasion mis des lentilles et coiffé ses cheveux en un chignon tenu par une fleur rouge vif. Sa robe rouge et noir renforçait l’intensité de son caractère. Bien qu’il l’ait vu plus d’une fois lors des dernières répétition, il ne pouvait s’empêcher de la trouver sublime. Collée au corps jusqu’aux jambes, terminant par des froufrous, les deux adolescents étaient restés très traditionnels dans leur tenues, tenant à surprendre plus par leur danse que par leurs apparences. Toujours pour appuyer la couleur écarlate de sa robe, Béatrice portait des boucles d’oreilles de la même couleur et s’était fait des yeux de chats avec le rimmel. Bien que ses cheveux n’était pas libre, elle agissait comme une femme fatale, profitant d’en avoir terminé pour tourner autour d’Alexandre, sûre de son parfum enivrant.

« Tu es prête ?

– On ne peut plus prête, mon cher. »

Il lui sourit alors qu’elle lui tendit la main. Il l’embrassa comme s’il était Don José et elle une Carmen moqueuse. Ils arrêtèrent bien vite leur théâtre quand un des surveillants de leur lycée arriva pour leur demander de monter sur scène. Le véritable spectacle n’avait pas encore commencé.

 

Alexandre avait tout calculé, bien que tous les pas n’étaient pas planifiés. Il avait rallongé l’introduction avec l’aide de Bastien pour pouvoir faire une vraie fausse entrée en flamenco, où il arrivait d’abord d’un pas lent et elle ensuite. A la voix du chanteur, la danse sorti de ses carcans classiques pour prendre une forme plus moderne et singée. Ils n’étaient que des danseurs, comme l’interprète dans son clip, ils devenaient des acteurs qui représentaient en des mouvements les paroles de dispute de couple comme s’ils les avaient connues. Leurs corps s’éloignaient, se tournaient le dos, et Béatrice virevoltait autour d’Alexandre qui menait la danse. Sa main attrapa son avant-bras, et le corps de la jeune fille bascula quand la voix du chanteur, par ordinateur, tombait dans l’outre tombe. Pour le refrain, ils s’étaient inspirés de ce qu’ils avaient vu, pour des mouvements vifs, tournant la tête d’un coté, puis de l’autre. Un mouvement ample suffisait à Alexandre pour l’enfermer et un autre suffisait pour elle de s’en sortir. Tout s’enchaînait sans qu’ils y aient à réfléchir. La musique coulait dans leurs veines.

 

Leur travail était si abouti, qu’il en devenait instinctif malgré les règles de l’art. La publicité pour l’établissement fut une réussite : tout le public était en émoi face à ce jeune couple le regard perdu dans les yeux de l’autre, s’assurant d’être chacun accordé puis désaccordé. Et William, perdu dans la foule, sentait son cœur battre de fierté jusque dans ses oreilles. Pour rien au monde il n’aurait voulu perdre un instant de ce moment d’apothéose, où toutes ces années de travail de son fils, qui avait tant lutté, arrivaient enfin à un terme, la fin d’une étape. Et pourtant, il ne vit pas les derniers pas. Seul Bastien vit la représentation d’Alexandre dans son entièreté , n’ayant pas, contrairement à Aïden, tourné la tête en sentant un mouvement étrange derrière eux. Malgré toute l’importance de cet instant qui ne serait jamais revenu, Charlie s’était enfuie en courant et William après lui. Il les aurait bien suivi, mais la musique qui résonnait très fort dans les enceintes et l’enfant qui se démenait sur la scène lui fit pitié. Il n’avait raté que quelques secondes, après tout. Mais cet instant d’inattention l’inquiéta bien plus qu’il n’aurait du.

 

Alexandre se figea dans son mouvement quand la chanson arriva à sa fin. Le public avait été tant pris qu’ils réussirent à obtenir peut-être presque une seconde de silence avant le tonnerre d’applaudissement. Le jeune homme n’en pouvait plus de sourire. Il regarda Béatrice qui était en nage à ses côtés : ils l’avaient fait, et c’était un succès formidable. Les cris du public, provenant peut-être de certains élèves, était comme une mélodie aux oreilles d’Alexandre. Ils saluèrent plus d’une fois, avant de s’enfuir dans les coulisses, et ce fut au spectacle de continuer.

 

Quand ils furent seuls, enfermé dans la pièce au grand miroir, ils éclatèrent de rire. La pression redescendait, ils étaient fier d’eux, heureux de tout.

« Tu as vu ça ! C’était génial ! S’écria Alexandre.

– Pas une erreur, ajouta Béatrice, tu te rends compte ? On ne l’avait jamais fait aussi bien !

– J’ai hâte de savoir ce qu’en auront pensé mes parents…

– Ils vont te dire que c’était génial, c’est certain ! Merci, Alexandre, merci beaucoup.

– Merci à toi, Béatrice ! J’aurais jamais pu croire que je pouvais faire un truc aussi fou, sans toi. »

Les yeux brillants d’émotion, la jeune fille enlaça son partenaire de danse, luttant contre les froufrous de sa robe rouge. Heureux au-delà du possible, Alexandre lui rendit son étreinte avec force et sans gêne. Mais en voyant l’homme qui se présenta à la porte, Béatrice le repoussa avec presque autant de force.

« Papa ! »

C’était la première fois que l’adolescent le rencontrait. Mais il correspondait parfaitement à tout ce que Béatrice en sous-entendait. Il avait l’air rigide et le regard sinistre. Pas un sourire se dessinait sur son visage malgré tout l’émoi du public. Grand et imposant, il s’approcha de sa fille avant de lui prendre fermement le poignet. Ils quittèrent la pièce en grande hâte, alors qu’Alexandre avait pu à peine le saluer d’un signe de tête. Avant de sortir des coulisses, emporté par le pas de son père, elle lui jeta un dernier regard. Toute la joie avait quitté ses yeux noisettes. L’humidité qui en sortait semblait désespérée. Tout en elle criait de la retenir, comme si Alexandre avait un quelconque pouvoir. Mais l’adolescent, avant même de trouver le mot à prononcer, vit la porte se fermer et les pas s’éloigner dans un bruit se confondant avec le rythme de la musique suivante. Seul, immobile, choqué, ne restait de sa joie passée les battements vifs de son cœur, qui n’avait pu se calmer.

 

Il quitta les coulisses, s’éloignant du bruit assourdissant sans même se changer. Désormais ne lui importait que de retrouver sa famille. Il sorti à l’extérieur du bâtiment où tout s’était passé. Par message, Bastien lui avait assuré qu’ils étaient tous sortis, mais il était impossible de les retrouver dans la rue. Il resta un moment son costume appuyé contre un mur sale, les yeux rivés sur son téléphone. Il fixait le numéro de Béatrice, hésitant à l’appeler. Mais il savait que ce ne serait qu’empirer la situation. Rongé par la culpabilité, il avait envie de se recroqueviller et de disparaître. Les passants qui semblaient le fixer au passage lui donnait envie de hurler, parasitant toutes ses pensées.

« Alexandre ! On est là ! »

Il se retourna vers les cris. Bastien et Aïden venaient tout juste de sortir. Soulagé, le jeune homme se précipita vers eux.

« Où sont les parents ? »

Les deux hommes se regardèrent avec un regard gêné. Par cette réponse implicite, Alexandre senti à nouveau tout se corps se tendre.

« Ils ont du partir avant, lâcha Bastien, je suis désolé Alexandre…

– Quoi ?

– Charlie a eu un problème, manifestement, précisa l’homme. Ils ne pouvaient pas rester.

– Mais… Et ma danse ? Ils l’ont vu ?

– Le début, je pense… »

En voyant le visage d’Alexandre se décomposer, Aïden posa sa main sur son épaule. Cherchant du regard les yeux de l’adolescent qui fixaient le sol, il déclara d’une voix douce :

« C’était un super spectacle, crois-moi. Nous, on en a pas raté une miette et j’ai pris plein de photo. Je te les montrerai, si tu veux.

– Mais… Mais ils sont où ?

– Je ne sais pas, repris Bastien. William parlait d’hôpital, ou de pharmacie… Je n’ai pas bien entendu, il y avait tellement de bruit là-dedans. En tout cas, ce n’est pas de leur volonté, s’ils ont raté ton passage. D’accord ?

– Oui… mais… Ils vont bien ?

– ça va aller, Alex, je te le promet, assura Aïden. »

Le monde entier semblait tourner autour de lui. Quelque chose venait de vriller. Les larmes montèrent à ses yeux bien trop vite, alors que sa tête s’écroula contre Aïden, qui ne sut pas s’il aurait du s’y attendre ou non. Plutôt gêné par le contact, il choisi de le laisser faire quelques instants. Passant au-dessus son malaise, même s’il ne pouvait s’empêcher de vérifier si quelqu’un les regardait, il caressa doucement le dos de l’enfant qui se mordit la langue pour ravaler ses sanglots.

 

Il s’allongea à l’arrière de leur voiture, à moitié endormi après à peine quelques secondes de trajets. Bastien et Aïden discutaient entre eux, assez doucement pour qu’Alexandre n’en entende rien. Du jour le plus important de sa vie, il n’avait plus envie d’en garder le moindre souvenir. Il enfila son casque, passant une des musiques de son père, avant de s’endormir sur le peu de trajet qu’il restait.

 

Cette soirée amorça l’été le plus morne de sa vie. Pour cette nuit-là, il dormi mal dans le hamac d’Aïden et Bastien. Il n’avait aucune nouvelle, ni de ses parents, ni de Béatrice. Il était seul, l’écran de son téléphone allumé dans le vide. William ne vint chercher son fils qu’un jour plus tard. Il n’avait pas bougé, amorphe, vidé. Il se traîna jusque dans la voiture noire, rejoindre sa maison en pierre froide. Il ne vit pas Charlie pendant plusieurs jours. Elle était enfermée dans sa chambre, il avait l’interdiction d’en approcher. Personne, dans sa maison, ne félicita ses premiers résultats au bac, qui étaient plus que correct. Très vite alors, il retourna chez Aïden et Bastien. En ne dansant plus, ses douleurs s’amoindrirent. Il continua d’avancer dans la musique et dans son écriture avec les deux hommes, mais Aïden ne lui disant pas tout au sujet de sa sœur, il lui était compliqué d’avancer comme il le voulait.

 

Alors il tournait en rond. Pendant des jours, des semaines. Il vivait dans cette maison sans porte, qu’il avait tant admiré, et où maintenant il lui semblait impossible de se cacher. Plus de musique en terrasse, plus de batailles à la rivière. Il allait parfois rendre visite à Célia et son chien pour s’égayer autant qu’il le pouvait. Mais il n’avait rien à dire à la jeune femme, puisqu’on ne lui disait rien. Parfois, son père l’appelait. Il disait que tout allait bien. Il mentait, très naturellement. Il avait tenté de le consoler, de le féliciter pour ce spectacle dont il n’avait quasiment rien vu. Mais Alexandre avait coupé très vite court à ces propos qui lui semblait faux. Ainsi, il arrivait à la sonnerie de sonner dans le vide. Pris de pitié, il arrivait à Bastien de décrocher, sous le regard douloureux de l’adolescent. Mais quand il n’était pas présent, le téléphone sonnait jusqu’à s’arrêter, allant jusqu’au bout de sa petite mélodie. Alexandre le regardait, sans bouger. Ses pensées l’engourdissaient : même s’il avait voulu répondre, il aurait été incapable de bouger.

 

Il découvrit qu’Aïden était également un menteur. Même les plats de Bastien ne pouvait battre ce démon qui prenait toute la place dans son ventre et l’empêchait de manger. Inlassablement, les deux hommes lui présentait des assiettes, lui demandait son avis, mais rien ne lui donnait envie. Tout semblait fade, sans couleur. Même l’écran blanc de son téléphone était vide. Rien ne pouvait le nourrir, le contenter. Alexandre lui-même était bouffé par l’angoisse.

 

Il pouvait alors passer des heures à taper. Aïden lui avait montré son punching-ball, mais il se contentait de son cajon en bois. Il pouvait taper sur lui des rythmes pendant des heures, jusqu’à s’en faire saigner les doigts. Bastien, attentif à la moindre de ses blessures, le pansait dès qu’il sortait du studio. Mais même avec la douleur, Alexandre recommençait. Il avait appris à constamment faire avec, à tel point qu’il ne savait plus comment faire sans.

 

Ainsi, éloigné de tout, ne faisant rien, il passa son été ainsi. Malgré tout, il était reconnaissant envers les deux hommes, qui faisaient tout pour le sortir de la morosité. Des films, des musiques… Ils essayaient de reproduire une vie de famille qu’il avait brusquement perdu. Parfois, malgré tout, il pouvait passer des bons moments. Bastien était adorable, Aïden compréhensif, Célia amusante. Elle passait parfois la nuit en leur compagnie, sachant que son chien Fripouille était une merveilleuse peluche. Malgré toute la solitude et le mutisme dans lequel Alexandre s’était muré, il était entouré.

 

Il quitta la maison d’Aïden et Bastien quelques jours avant sa rentrée au lycée. Revoir Charlie lui fit un choc bien plus qu’il ne le pensait. Il s’attendait à des excuses, ou une explication. Mais il le prit dans ses bras comme si rien ne s’était passé. Il ne parla de rien. Il raconta ses histoires sans histoire, préparant sa rentrée, son bac. Il s’inquiétait pour lui, il lui portait un véritable intérêt : mais pour la première fois, il passait à côté de l’essentiel. Le regard interrogateur de son père, surveillant de près leurs interactions lui laissèrent entendre que tout cet évitement était volontaire. Alors, il ne creusa pas. Il retrouva sa chambre jaune, comme s’il ne l’avait jamais quittée. Il colla sur son mur quelques photos d’Aïden, et rangea celle de son spectacle au fond d’un tiroir, qu’il n’ouvrirait plus jamais.

 

A la rentrée, Béatrice et Alexandre, qui avaient les mêmes options, se retrouvèrent à nouveau dans la même classe. Mais elle ne s’assit pas à coté de lui. Elle lui jeta un regard triste et intense derrière ses lunettes, avant de s’asseoir ailleurs. Elle espérait peut-être qu’il vienne à lui : il en était incapable. S’étant imaginé le pire, il avait peur de redonner à nouveau à Béatrice ce qu’elle avait toujours craint. Le cours commença dans le plus grand des silences. Alexandre s’accrochait aux yeux rouges de sa Béryl, représentée sur le côté de sa feuille, le contemplant sans détour.

 

Lui qui s’était tant ouvert lors de son année première, s’était à nouveau complètement fermé. Il ne donnait plus l’exemple, aussi irréprochable qu’il pouvait l’être. Il se faisait le plus discret possible, cherchant à provoquer le moins de vagues possible. Béatrice avait retrouvé son rôle unique de lumière, désormais définitivement plus atteignable. Les choses étaient à leurs place, la lumière sous les projecteurs, l’ombre à l’écart. Il leur arrivait de se côtoyer, de danser ensemble, de s’échanger des mots. Mais la saveur n’était plus la même. Il n’y avait plus de devoir sur la table à l’extérieur du lycée. Béatrice rentrait seule, dans le froid de l’hiver qui s’annonçait, désormais accompagnée par un soleil couchant, alors qu’Alexandre la voyait partir, attendant son père dans un temps qui, désormais, lui semblait long.

 

Il craqua le jour de son anniversaire. Une journée comme une autre, où même ses parents lui donnait l’impression d’avoir oublié. Toute la journée, il gribouilla ses feuilles jusqu’à les déchirer de rage. Il ne pensait qu’au moment où il allait voir son père. Il ne savait pas s’il voulait simplement le confronter ou lui hurler dessus. Mais il fallait absolument que quelque chose se passe. Sa vie lui semblait désormais être un morne enfer. Le soir, quand il entra dans la voiture de son père, son cœur battait à tout rompre. Il savait déjà que sa voix allait trembler. Mais au moins, il allait parler.

 

« Bon ! Qu’est-ce qui se passe ? »

William, qui allait démarrer la voiture, se figea dans son mouvement. Alexandre affichait une expression qu’il ne lui avait jamais vu. Il semblait aussi apeuré qu’en colère. En une fraction de seconde, il comprit ce dont son fils voulait parler, pourtant il ne put s’empêcher de répondre :

« Comment ça, qu’est-ce qu’il se passe ?

– Tout ! Tout, qu’est-ce qui se passe ! Pourquoi vous m’avez abandonné deux mois chez Bastien, pourquoi vous me dites plus rien, pourquoi pama fait semblant que tout va bien, pourquoi elle a arrêté de travailler, pourquoi tout ce que je fais ne vous intéresse plus ! Qu’est-ce qu’il s’est passé, lors de ce foutu spectacle ?! Réponds-moi ! »

William coupa le moteur de sa voiture. Les yeux d’Alexandre brillait dans la nuit. Pour le bien de sa famille, malgré l’interdiction de son époux, il ne pouvait plus se taire. Il prit une grande inspiration, tremblante.

« Il était tombé enceinte. »

 

De tout ce qu’avait imaginé Alexandre, rien n’avait ressemblé de près ou de loin à ce qu’il avait entendu. Sa colère s’effaça face à un authentique effarement.

« Quoi, mais… comment, mais… Comment ça, était ?

– Ce… Ce n’était pas volontaire. On ne s’y attendait pas. »

William avec les yeux rivés sur son volant. Mais la culpabilité se lisait même dans l’ombre de son visage. Il fut incapable de prononcer un mot de plus, jusqu’à ce qu’Alexandre demande d’une voix blanche :

« Qu’est-ce qui s’est passé ?

– Je ne sais pas… ça faisait plusieurs jours qu’on s’inquiétait. Les nausées sont venues dans la foule… Peut-être que ça s’était mélangé au stress…

– Mais… Mais après, qu’est-ce qui s’est passé ?

– Il… Il n’a pas voulu le garder. »

Il ferma les yeux sur le mouvement de recul de son fils. Il baissa la tête, comme pour mieux encaisser les reproches. Mais, choqué, Alexandre resta silencieux. Il ne savait même plus quelle question poser.

« Mais… Pourquoi ?

– Pourquoi quoi ?

– Ne pas le garder. »

Par découragement, la front de William rencontra le volant de sa voiture.

« J’en sais rien. C’était son choix, voilà tout.

– Tu voulais le garder, toi ?

– Qu’est-ce que ça change ?

– Mais tu voulais le garder ?

– Je sais pas, Alexandre, c’était pas mon choix… Ce n’est pas mon corps.

– Mais tu as ton mot à dire ! C’était ton bébé !

– Ce n’était pas un bébé. Pas encore.

– Mais tu en voulais ?

– Je n’aurais pas voulu d’un enfant dont il ne voulait pas. »

Le père d’Alexandre jeta un regard droit à son fils. Mais aux yeux du jeune garçon, il signifiait bien plus que ce qu’il voulait en dire. Il senti sa main trembler, la panique l’envahir.

« Mais il en a fait quoi, alors ? Qu’est-ce qu’il a fait !

– Et bien… Il a avorté, Alex.

– Mais pourquoi ?!

– Parce qu’il n’en voulait pas, c’est tout.

– Mais pourquoi il a rien dit, alors !

– Parce que ce n’est pas si simple…

– Pas si simple de quoi ? De se débarrasser d’un bébé ?!

– Alexandre. Ce n’était pas un bébé.

– Ah oui ? Et c’était quoi alors ?!

– Juste… Un amas de cellule, qui n’avait pas encore de forme. Je pense que tu le sais aussi bien que moi, ça.

– Non ! Je ne sais rien, moi ! Vous ne me dites rien ! »

Se noyant dans la colère, tremblant de tout ses membres, il se recroquevilla sur les questions qui lui restait. William, désolé, voulu poser sa main sur l’épaule de son fils, mais celui-ci le rejeta violemment. Il démarra alors la voiture dans un silence glacial.

 

Une fois rentré, il ne salua pas son pama. Il s’enferma directement dans sa chambre, sans manger. William dut prévenir Charlie de la situation, car celui-ci ne vint pas lui demander si tout allait bien. Il resta seul, dans l’obscurité, entre les larmes et la haine, jusqu’à l’arrivée du sommeil.

 

Il trembla la journée entière. Il ne pouvait qu’à peine prendre ses cours en note. Son cœur explosait dans sa poitrine. Il était nerveux. Il avait mal. Mais il ne savait plus ce qu’il pouvait bien faire pour arranger la situation. Parler ne lui semblait plus envisageable. Tout ce qui lui restait était de s’enfoncer, de se noyer le plus possible, jusqu’à ce que ne serait-ce que le souvenir d’une terrasse enjouée ne puisse plus l’atteindre.

 

Pour une fois, son père vint le chercher dès qu’il fini les cours. Mais ils ne dirent rien une fois dans la voiture. Alexandre tremblait toujours. Mais pas même la musique de son père ne pouvait l’atteindre. Il était seul, son casque bloqué sur du vide. Il entra dans sa maison de pierre d’un pas lourd, s’installant à table pour manger mollement une tranche de pain, avant de s’enfermer chez lui. Alors qu’il jetait un œil à son téléphone qui ne montrait rien, son pama s’installa en face de lui et lança :

« Tu veux me dire quelque chose ? »

L’adolescent se redressa vivement sur sa chaise. Son pama le regardait avec un petit sourire qu’il trouvait odieux. Malgré tout, il semblait faire semblant. Dans la tête d’Alexandre sembla alors se défaire un boulon dans un bruit de clic.

« Oui, tiens. Pourquoi t’es tombé enceinte ? Lequel de vous deux avait oublié la capote ? »

Surpris par la violence de son fils qui, d’un seul coup, le foudroyait du regard, Charlie resta silencieux.

« Et pourquoi t’en voulais pas, de cet enfant ? Parce que t’avais la possibilité de t’en débarrasser ? C’est vrai que c’est plus facile, comme ça ! Plus de parasites dans les pattes, on peut continuer ses histoires comme si de rien n’était ! »

Choqué, Charlie blemit. William, alerté par les cris, se rapprocha de sa famille en essayant de prévenir Alexandre de se calmer. Mais il était trop tard. Les tremblements s’étaient arrêté, tout ses mots désormais se déliaient en une horreur sale.

« Et moi, alors ? L’erreur vient de qui ? C’est papa qui avait oublié la capote, ou toi qui avait arrêté la pilule ? Ça va finir par se voir, que vous êtes irresponsables !

– Alexandre, tonna William, tu vas te calmer tout de suite !

– Ah ouais, et pourquoi, hein ? S’exclama Alexandre encore plus fort. Qu’est-ce que je risque ? On ne peut pas se débarrasser de moi d’un coup de pilule, manifestement, alors bon !

– Ce qui s’est passé ces derniers mois n’a rien à voir avec toi, tenta Charlie d’une voix tremblante.

– Et tu penses vraiment que je vais croire ça ?! Cinq mois, que vous me cachez ça ! Cinq mois ! Et je devrais pas le prendre personnellement ?! Alors, admet-le, que tu ne voulais pas de moi ! Que t’aurais préféré ne pas vivre ce que t’as vécu avec moi ! Et que tu ne voulais surtout pas reproduire cette erreur que tu as faite !

– Alexandre ! »

Charlie avait crié. Mais Alexandre n’écoutait plus.

« Ah, si seulement l’avortement était légal en Irlande, hein ! Et pourquoi ce ne serait pas pour ça, plutôt, que vous avez déménagé ?! Qu’est-ce qui me prouve que tout ce que vous avez pu me dire jusque là n’était pas qu’un mensonge bien élaboré ?! Toutes ces années à me dire que je n’avais jamais été un poids pour vous, mais un choix ! Pourquoi j’y croirai ? J’ai bien vu, comment ces gens te regardent quand tu es avec moi, depuis toutes ces années ! Si vraiment tu étais sincère, tu ne te serais jamais débarrassé de ce bébé !

– Je suis qu’un être humain, Alex ! »

Et sous le regard sidéré de son enfant, Charlie explosa en larmes. Il serait tombé à terre si William ne l’avait pas rattrapé. Désormais plus capable de prononcer la moindre phrase, sa voix se déchirait en des sanglots incontrôlables. Choqué, l’adolescent fit un pas en arrière. On ne lui accordait plus un regard : Charlie n’en était plus capable. Ce qui s’était dévoilé se perdait de nouveau. Alors, Alexandre s’enfuit. Il couru dans les escalier, attrapa son sac, prit la porte et s’enfuit aussi loin qu’il le pouvait. William le regarda partir, impuissant : Charlie ne tenait plus seul.

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