Soirée en terrasse (2) - Béatrice Rocherie

Par Pouiny

Quand William alla chercher son fils à la fin du lycée, attendant sans un mot dans sa voiture noire, il s’attendait à tout. La première journée avait toujours été une épreuve qui mettait les nerfs d’Alexandre à l’épreuve. Il avait prévu des chocolats dans la boîte à gant, ainsi qu’une petite réserve de mouchoir, et écoutant résonner faiblement une musique irlandaise sur les enceintes de sa voiture, il ne pouvait s’empêcher de sentir une pointe de nervosité agiter le bout de ses doigts. Il s’était attendu à tout, mais quand il vit arriver son fils sortir de l’établissement en rayonnant littéralement de bonheur, il comprit qu’il s’était surtout attendu au pire.

« Salut, papa ! S’écria joyeusement le jeune homme en entrant dans la voiture.

– Bonsoir, mon grand. Tout s’est bien passé ?

– Honnêtement, ça va ! Tu te souviens de Béatrice ?

– Ton amie d’enfance ? Oui, je m’en souviens, pourquoi ?

– Elle est dans ma classe ! »

Et en voyant son fils presque trembler de joie, un immense sourire aux lèvres, William comprit immédiatement ce qu’il n’avait pas pu prévoir : la possibilité que son enfant devienne grand. Prit d’une bouffée de soulagement, il lui passa sa main dans les cheveux avant de redémarrer. D’ordinaire, Alexandre aurait pris le temps d’exprimer une désapprobation, mais il volait tellement haut, sur un nuage tellement confortable qu’il se laissa caresser comme un chat, sans un commentaire. William laissa le moteur de sa voiture ronronner pour eux, et alors qu’il s’éloignait lentement, il fini par dire :

« C’est super, Alex. Vraiment super ! Il faut fêter ça. Tu peux ouvrir la boite à gant, s’il te plaît ?

– Papa… ça valait vraiment pas la peine, souffla le jeune homme avec néanmoins un grand sourire.

– Bien sûr que si, car ça nous fait plaisir à tous les deux. Tu m’en donnes un ? »

En se partageant la boîte, Alexandre et William discutèrent de la journée avec une douce légèreté. Le trajet sembla ainsi beaucoup plus court qu’à l’aller. Une fois rentré à la maison, il soupira en voyant que Charlie les attendait en faisant semblant de tromper son impatience.

« Pama ! Comment s’est passé ta journée ? Demanda Alexandre avec un sourire en l’embrassant.

– C’est plutôt à moi de te poser la question ! S’exclama le parent. Alors ?

– Tu ne vas pas le croire, mais cette année, personne ne m’a parlé de toi, répondit le jeune garçon avec un air malicieux.

– Tu veux dire que je perds en popularité ? Quel désastre, quelle tragédie !

– Il y a toujours l’éternel papier, pour nous présenter, où on nous demande ce que font nos parents, où j’ai du barrer « mère » pour écrire « parent », donc peut-être qu’on m’en parlera demain ou mercredi, si ça peut te consoler.

– Ah, donc tu as quand même fais en sorte que je puisse rester dans la postérité.

– Eh oui, tu es ancré dans l’histoire des petits papiers, et peut être que dans dix siècles des archéologues retomberont sur toi !

– Non, mais sérieusement, souffla Charlie avec un petit rire. Tu sais que tu n’es pas obligé de faire ça, si ça te met dans des situations compliquées avec tes professeurs ?

– Je ne pense pas que mentir dès le premier jour de la rentrée soit une situation plus enviable, répliqua Alexandre d’un mouvement d’épaule. »

Si pour son fils, la réponse semblait évidente et qu’elle restait inchangée malgré les années, pour Charlie, l’obstination qu’il mettait dans ce choix semblait irréaliste, bien qu’inespéré. Et plus Alexandre grandissait et plus il sentait que malgré ce qu’elle disait, elle avait besoin de son soutien, affirmé et sans faille. Si bien que ça ne l’étonna pas, quand son parent le pris dans ses bras sans un mot. Il resta également silencieux un moment, profitant de l’étreinte pour fermer les yeux et sentir l’amour qu’il avait pour son parent résonner dans son cœur.

« Tu te souviens de Béatrice ? Demanda-t-il pour mettre fin au silence.

– La petite danseuse de l’école primaire ? C’était ta meilleure amie, non ? Pourquoi ?

– Comment tu peux t’en souvenir aussi bien encore aujourd’hui ! S’étonna Alexandre.

– Est-ce que tu as idée ne serait-ce que du nombre de fois où tu m’as parlé d’elle quand tu étais enfant ? Je dois la connaître par cœur !

– N’exagère pas, non plus, grommela Alexandre en rougissant.

– Ah, petit homme de peu de foi, tu penses que je survends mes capacités ? Fais bien attention à toi, alors, répliqua Charlie en se détachant de son fils pour s’asseoir face à lui. Béatrice est une petite fille avec des grandes lunettes rondes et des yeux noisettes. Elle a, selon tes dires, des reflets oranges dans les yeux qui brillent comme des flammes, comme si ces noisettes se faisaient griller par les flammes de sa passion, discrètement, car même si c’est aux yeux de tous, il faut prendre le temps de le remarquer. Ses parents sont assez riche, avec une situation assez distinguée, presque noble, ce qui fait qu’on lui demande beaucoup de tenue, sur tous les points de sa vie, même pour une petite fille de son âge. Même si ce n’est pas toujours évident pour elle, elle cherche quand même à faire plaisir à ses parents, qu’elle aime profondément malgré cette sorte de négligence qui font qu’ils ne la regardent pas en dehors de son apparence. Elle parle avec une voix mélodieuse, toujours très soignée et assez maniérée, comme si elle venait directement d’une famille de gentillhommes du dix-neuvième siècle. Mais au niveau de ce qu’elle aime vraiment, elle peut sortir de cette image-là, en s’attachant à des vauriens comme mon fils et admirant ceux qui sortent des cases qu’on leur a donné. Ah, j’oubliais, elle passe beaucoup de temps à s’attacher les cheveux, qui sont presque blonds, ou châtain très clair. Elle aime particulièrement les tresses et elle connaît toutes les manières d’en faire : classique, poisson, hybride… Si elle ne voulait pas être danseuse, elle serait sans doute coiffeuse. Mais maintenant que tu me mentionnes son nom, je pense qu’elle est restée sur son premier rêve et que tu as du la croiser au lycée ! J’ai bon ? »

Choqué, Alexandre eut un mouvement de recul. Il regardait Pama comme si c’était la première fois qu’il réalisait sa mémoire exceptionnelle et son écoute attentive, malgré les années qui passaient.

« Tu as oublié le chien, fit remarquer le jeune homme, pour se rassurer.

– Ah, le petit Cookie ? C’était… Un berger australien, si je me souviens bien ! Il avait tendance à sauter partout et à s’enfuir de la maison. Béatrice avait souvent peur que ses parents finissent par s’en séparer car il n’était pas assez obéissant, bien que malgré tout assez bien élevé et empathique, car il était toujours très doux et très gentil avec elle. Effectivement, j’avais oublié d’en parler, pardonne cette légère erreur de ma part, bien qu’immédiatement rattrapée ! »

Alexandre resta sans voix. Il repensa alors à ce que lui avait dit Béatrice sur son pama, sur ses capacités d’écoute. S’il avait toujours confiance sur l’attention que lui accordait Charlie, il n’avait jamais eu conscience de son implication et de sa profondeur. Cette écoute, discrète mais tout autant présente que son débit de parole, donna à Alexandre l’image de profondes racines, cachées dans le sol mais qui permettaient à un grand et bel arbre de survivre et s’épanouir. La jeune fille avait raison, Charlie aimait écouter les autres tout autant, si ce n’était plus peut-être même, que ce qu’il pouvait aimer parler. C’était parce qu’il aimait profondément écouter les autres qu’il ressentait le besoin de transmettre leur histoire et ainsi leur donner voix au chapitre, et non l’inverse. En voyant la tête sidérée de son fils, le parent éclata de rire en tendant un chapeau retourné qu’elle tendit vers lui.

« Je vois que vous avez retrouvé votre religion envers votre parent et maître, le dénommé Charlie ! N’hésitez pas à faire don dans votre paroisse locale, nous sommes actuellement sur le projet de créer une église dans la salle de bain et un confessionnal dans les toilettes, le moindre centime pour ces magnifiques projets serait le bienvenu…

– Arrête ça, répondit Alexandre en lui jetant le chapeau dessus avec un sourire. Tu te rends compte que c’est très bizarre que tu décrives aussi bien une personne que tu n’as jamais rencontré ?

– Je ne vois pas en quoi ça le serait. C’est une déformation professionnelle : si je ne devais parler lors de mes veillées que de personnes que j’ai personnellement connu, ça deviendrait vite assez compliqué et ça limiterait mon stock d’histoire !

– Tu ne vas quand même pas parler de Béatrice en veillée !

– D’où le terme « déformation professionnelle », petit rêveur, répliqua Charlie. Tu as encore des progrès sur ton écoute… A moins que ton audition se déforme !

– C’est ça…

– Mais assez parlé de mes dons exceptionnels ! Tu as donc retrouvé Béatrice ? C’est super, mon grand ! Je me demandais ce qu’elle était devenue, depuis le collège… Elle est dans ta classe ? »

Alexandre resta silencieux un moment. Il n’avait plus vraiment envie de parler d’elle. Charlie avait attisé l’admiration et la curiosité de son fils sur un sujet qui comptait tout autant pour lui. Mais il se devait de répondre aux questions de son parent, notamment parce que c’était lui qui avait amorcé le sujet.

« Oui, elle est dans ma classe, répondit-il alors simplement de manière évasive. Mais, dis-moi…

– Oui ?

– Est-ce que tu ne pourrais pas décrire Béryl, comme ça ? »

Charlie perdit un peu de son sourire. Il alla chercher une tellière et la remplit d’eau sans répondre immédiatement.

« Tu en veux ? Fini-t-il par demander en lui montrant ce qu’il avait en main.

– Du thé ? Pourquoi pas… Tu en as du bon ?

– Pour qui me prends-tu ? Tout bon conteur se doit de maîtriser les boissons qu’il peut proposer à son auditoire, pour ne pas qu’il s’endorment ! Évidemment que mon thé est de qualité !

– Fais-moi goûter du bon thé pour personne qui n’y connaît rien, répondit Alexandre avec un sourire amusé.

– Crois-moi que je ne choisirai pas au hasard. Je sais parfaitement tes goûts et celui que tu aimeras.

– Fais attention, si tu te trompes et que je n’aime pas, je serai déçu.

– C’est cruel, mais honnête, répondit Charlie en riant. Sois sans crainte cependant, car je ne peux pas me tromper. »

 

Quand Charlie versa le thé dans deux tasses, il fini par soupirer en en tendant à Alexandre, qui le regardait avec les yeux brûlants de ceux qui n’oubliaient jamais leurs questions.

« Oui. Oui, je pourrais. Mais j’ai toujours du scrupule à parler au nom de personnes que je n’ai pas connu.

– Comment ça ?

– Béryl, ce n’est pas juste un prénom comme ça, une chimère dans l’eau ou une sorcière des bois. C’était une vraie personne, la sœur jumelle de l’un de mes meilleurs amis. Tu sais… Bastien et Aïden sont sur un projet d’écriture, tous les deux. Ils écrivent chacun un morceau de leur histoire. Ce qu’ils ont besoin de garder et de ne pas oublier. Et ils m’ont demandé déjà, d’une certaine manière, ce que tu viens de me demander. Ils voulaient que j’écrive moi-même la voix de Béryl. Que moi seul serait capable de redonner vie à cette voix qui s’est éteinte il y a si longtemps. Je comprends la demande et j’aimerai pouvoir la réaliser, surtout pour Aïden qui a ce besoin-là, mais… Je me sens coupable, de faire ça à quelqu’un que je n’ai pas connu, et qui n’est plus là pour exprimer ce qu’elle pourrait en penser. Est-ce que Béryl serait vraiment d’accord avec le fait qu’un total inconnu, peut-être très beau et talentueux, mais inconnu quand même, prenne toute son histoire, tout un bout d’elle-même, pour l’exposer ainsi au grand jour ? Honnêtement, je n’en sais rien. On peut m’assurer que ce serait le cas… Rien n’est moins sûr. S’il est facile de décrire physiquement quelqu’un, on peut toujours se tromper sur ce qu’elle est vraiment. Sur son caractère, ce qu’elle pense, ce dont elle veut, ce dont elle a besoin. Car la personne concernée, même elle pourrait se méprendre sur ses besoins.

– Je pense que je comprends, murmura Alexandre en jouant avec son sachet de thé. Mais…

– Mais ?

– Bastien a déjà composé une pièce de guitare pour elle, a son nom. Il m’avait expliqué qu’ils l’avaient écrite ensemble, et qu’elle lui avait dit « j’espère que tout le monde l’entendra ». Alors… Je ne vois pas pourquoi une histoire sur elle serait différente. Je pense qu’elle avait vraiment envie d’être reconnue, et qu’elle avait profondément peur d’être oubliée.

– C’est vrai. Je suis d’accord avec toi, répondit Charlie après un silence, je dois également me chercher un peu des excuses. Il y a beaucoup de raisons qui me font hésiter. J’hésite sur le fait de parler de quelqu’un que je ne connais pas. J’ai peur en faisant des recherches de tomber sur des secrets de famille, sur lesquels je n’aurai jamais du tomber. Imaginons, par exemple, que j’interroge les parents d’Aïden pour en apprendre plus sur leur fille, et qu’ils me dévoilent quelque chose qu’Aïden n’a jamais su, comme par exemple… Je dis n’importe quoi et j’en suis bien conscient, c’est simplement pour te donner une idée : si jamais sa mère me révélait qu’Aïden et Béryl n’était pas jumeaux et qu’elle avait adopté Aïden pour se consoler de ne pas avoir eu un enfant « normal »… Qu’est ce que je serai censé faire de cette information ? Garder le secret pour le bien de mon ami ? Lui révéler qu’il y avait quelque chose dont il n’était pas au courant pendant des décennies ? Ou alors me contenter de sa version, de sa façon de la voir, qui sera forcément biaisée et incomplète ? Fouiller le passé, chercher la véritable histoire… ça peut être quelque chose d’assez terrifiant. A titre personnel, j’aime laisser ce genre de choses derrière moi.

– Je… Je pense que je vois. C’est vrai que ça peut être assez effrayant.

– Alors, ce thé ?

– C’est vraiment super bon. Je comprends toujours pas comment tu fais, murmura Alexandre presque pour lui-même.

– Je t’aime et je t’écoute, c’est comme ça, répondit Charlie avec une tendresse amusée.

– C’est donc pour ça… »

Alexandre se tut pour profiter de sa boisson. En la buvant, il voyait son parent le regarder en silence. Si Charlie parlait beaucoup, il savait également se taire et n’avait pas besoin de mots pour transmettre tout l’amour qu’il pouvait porter à son enfant. En fixant ses yeux verts, où il avait l’impression de deviner les ondulations des algues de l’Irlande dans l’eau bleu de la mer, il fini par demander :

« Et toi ?

– Comment ça, et moi ?

– Est-ce que tu pourrais, toi, te décrire comme tu as décrit Béatrice ? »

Pris par surprise, Charlie se redressa légèrement sans parler. Puis, Alexandre remarqua les doigts de son pama s’agiter de la manière dont ceux-ci bougent quand elle réfléchit.

« Je pourrais, fini-t-il par répondre, très certainement, et en théorie. Mais… en pratique, ça dépendrait avec qui. Ça dépendrait comment on me le demande. Ça dépendrait de pourquoi.

– Et si c’est moi qui te le demande ?

– Me demander quoi, par exemple ?

– Pourquoi « Charlie » ? Qu’est-ce que ça signifie ? C’est bien toi qui l’a choisi, non ? »

Il but un peu de son thé avant de répondre, peut-être pour masquer sa gêne. Mais, intraitable, Alexandre attendait qu’on réponde à ses questions. Alors, elle soupira.

« Charlie, c’est un prénom d’origine germanique, qui vient de Charles. Et Charles, lui-même, venait de Karl. C’est une dérivation du mot « homme ».

– Mais… Tu n’es pas…

– Je ne suis pas un homme, oui, coupa Charlie avec un peu d’amusement. Pas entièrement, tout du moins. Tu sais, les significations et les étymologies de prénom, ce n’est pas forcément très important. Tu sais l’origine du tien, Alexandre ?

– Je … Non.

– Je te la dirai, tiens, ça peut toujours être bien à savoir. Et d’ailleurs, Andrée et Andréa veulent dire ’’masculin’’, pourtant ce sont des prénoms aujourd’hui qui sont porté par des femmes. Tout ça pour dire qu’avec les mots, on peut bien faire tout ce qu’on veut et tordre leur sens pour correspondre à ce qu’on voit. Et moi, dans ce prénom, je voyais cette théorie qui disait que le prénom pouvait également signifier ‘‘guerrier’’. J’ai vu un prénom mixte, porté tout autant par des hommes que par des femmes, avec lequel il me serait facile d’exister pleinement de la manière dont je voulais. Je voyais ce prénom être porté par un très grand acteur que j’aimais beaucoup, qui exprimait beaucoup de choses sans parler. Je voyais également ce petit personnage de bande-dessinée, avec son chien qui était toujours à l’envers par rapport au monde qui l’entourait. Le petit Charlie Brown. Et surtout, je ressentais que j’aimais profondément ce prénom. Qu’il me correspondait parfaitement, par sa sonorité, par son aspect. J’avais fait des essais avec William, qui était le seul à m’appeler à l’époque. Quand il m’appelait Charlie… Je ressentais une immense joie. Moi qui avais eu pendant si longtemps l’impression qu’on passait a travers moi en m’appelant… Cette fois-ci, avec ce prénom-là, c’est comme s’il me touchait. Alors je l’ai gardé, et désormais, je suis Charlie. Satisfait ?

– Et ton ancien prénom ? Il est devenu quoi ?

– Il a disparu dans les limbes de l’oubli. Ce n’était de toute manière pas une grande perte. Ne sois pas trop curieux là-dessus, ça n’en vaut pas la peine. Considère qu’avant Charlie, il n’y avait rien. Ce n’était pas si faux, après tout.

– D’accord…. »

Même s’il avait parfaitement compris qu’il ne valait mieux pas insister, ni même oser poser la question, Alexandre ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine curiosité, ainsi qu’une petite pointe de déception en son cœur. Quoi qu’il puisse dire, quoi qu’il puisse demander, et avec toute l’écoute dont il était capable, il y aurait toujours quelque chose, au moins une chose, qu’Alexandre ne saurait jamais sur son pama. Elle qui le connaissait par cœur, sans aucune hésitation, ce rapport ne serait jamais équivalent. Et même si c’était normal et évident, Alexandre senti sans le vouloir qu’un mur se formait entre eux deux. Un mur qui existait depuis longtemps, qu’ils s’efforçaient tous les deux de démonter pierre par pierre autant qu’il pouvait, mais qui resterait quand même, par la force des choses.

« Mais aussi, fini-t-il par demander à nouveau… Tu as dit qu’Aïden était un de tes meilleurs amis, mais… Tu as des vieux amis ? Je veux dire… A part Bastien et Aïden, qui sont tes amis ?

– J’ai toujours été très solitaire, tu sais. Je n’aimais pas m’attacher aux gens, et j’ai souvent été trahi ou déçu.

– Tu veux dire, que…

– Aïden et Bastien ne sont pas mes premiers amis, mais… C’est les seuls que j’ai depuis longtemps. J’ai William, j’ai toi et ça me suffisait, donc je n’ai pas vraiment cherché non plus. Même si je suis très heureux de ma vie actuelle, avec Aïden, Bastien et Célia. Je ne me sens vraiment pas seul, tu n’as pas besoin de faire cette tête là !

– Mais… c’est triste ! Et papa ?

– Il est plus sociable que moi. Il a des amis au boulot, dans son école de musique, il s’entend bien avec certains parents d’élève. Il avait de vieux amis en Irlande, avec qui il communique encore aujourd’hui, même si ça fait longtemps qu’ils ne se sont plus vu. Fatalement, je connais ces gens et je les croise de temps en temps, mais je ne dirai pas que nous sommes ’’amis’’, plutôt des connaissances communes. Tu vois ce que je veux dire ?

– Oui, mais…

– Ne t’en fais pas pour moi, petit, répliqua Charlie avec douceur en lui caressant la tête, je vais bien ! Et si tu n’as plus de question, tu veux la signification de ton prénom ?

– Ah, oui !

– Alexandre est un prénom grec, qui signifie « l’homme qui défend ».

– Encore un prénom avec « homme » en étymologie ?

– Oui, mais cette fois-ci, ça te correspond bien, non ? »

Pensif, Alexandre resta silencieux, pendant que Charlie rangeait la vaisselle. La soirée passa doucement, avec un entraînement physique et un peu de yoga, reprenant un rythme de travail. Mais quand le jeune homme croisa son reflet dans le miroir de la salle de bain avant de se croiser, la signification de son prénom lui revint en miroir.

 

Quand il était tout petit, à un âge dont il ne se souvenait pas, il s’appelait simplement Alex. Un prénom mixte, pouvant devenir aussi bien Alexandre qu’Alexandra, ou tout simplement rester ce qu’il était déjà. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait demandé à ce qu’on l’appelle Alexandre, en entier, sans vraiment comprendre pourquoi il avait fait cette demande. Peut-être qu’il rêvait tout bêtement de devenir aussi légendaire qu’Alexandre le Grand, dont lui avait parlé son pama. Il avait tellement insisté, avec son insistance d’enfant, que ses parents avaient fini par faire les démarches administratives pour qu’il change de prénom officiellement. Il se souvenait parfaitement de l’euphorie de voir sur sa carte d’identité, son visage à coté de son prénom complet. Il était peut-être un peu long, si bien que ça ne le dérangeait pas quand ses parents ou d’autres personne qui lui étaient proche utilisait son diminutif. Mais pour toute personne qui ne le connaissait peu, il était Alexandre. Il comprenait ainsi parfaitement ce qu’avait expliqué Charlie : ce prénom était le seul qui lui correspondait, en vrai et en entier.

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