Et un jour, étrange et brillant, la porte s’ouvrit de manière inhabituelle. Avant même de le voir, je savais de qui il s’agissait.
« Tu es venu.
– Oui. Je t’avais dit que je reviendrai, me répondit une voix douce. »
Il s’était assis en posant un sac, comme il l’avait toujours fait. Il resta silencieux. Malgré toute l’attente, l’impatience de ce fameux jour que j’avais pu ressentir, quand Aïden fut à coté de moi, en chair et en os, je n’osais plus le regarder. Comme si, brutalement, je ne savais plus communiquer avec les êtres humains.
« J’avais tellement peur de mourir avant que tu ne reviennes, finis-je par murmurer.
– Mais tu ne meurs pas, Béryl. Tu es beaucoup trop forte pour ça. »
Je ne pus m’empêcher d’avoir un rire gêné. L’idée de tout lui avouer me traversa l’esprit. Un mur me retint. Je demandai plutôt, toujours sans le regarder :
« Alors, ça va mieux, ta cheville ?
– Tu veux vraiment parler de moi, où c’est une formule de politesse ? »
Surprise, je le fixai. Aïden avait un léger sourire. Ses yeux bleus ne reflétaient que de la compassion, de la sollicitude à mon égard. Malgré tout ce que j’avais pu lui faire subir, Aïden m’aimait encore.
– Je ne sais pas trop, répondis-je alors. Papa est venu, souvent. Il m’a raconté un peu ce qui se passait dans ta vie. Mais je pense que j’aurais préféré que tu viennes me l’expliquer toi.
– Je sais… »
Il baissa les yeux, je fis de même. Nous étions tous les deux mal à l’aise. Voulant passer au-dessus de ça, j’essayai encore :
« Tes photos de soleil m’ont manquées.
– C’est vrai ? Je croyais que tu ne les aimais pas.
– Si, je les aimais. J’étais juste triste, quand je t’ai dit ça.
– Je m’en doutais un peu, mais tu avais raison. Ces photos de soleil, ce n’était pas une bonne idée, ce n’était pas positif pour toi.
– Mais ça te faisait plaisir, non ?
– Oui, et j’ai continué d’en faire. J’ai fait pleins de photos de toute sorte. Mais pour toi, je préfère mettre en avant ce que tu as déjà. »
Il ouvrit doucement son sac et posa sur mon lit une petite pile de photo. Je mis mes lunettes, avant de les prendre avec hésitation et de les regarder attentivement, une par une. Je pensais qu’il ce serait des photos de soleils, mais ces photos représentaient tout l’inverse. Tout était sombre ; la nuit, des livres, un bureau, des fleurs, beaucoup de fleurs. Mais cette obscurité n’était jamais unie. Et avec surprise, j’y découvris mon ciel noir, celui que j’avais observé tant de fois, et que je redécouvrais dans toute sa beauté, sur chacun des clichés de mon frère. Plus je regardais ces photos, et plus mon cœur battait fort. En chacune d’entre elle, j’y reconnaissais une partie de moi, que j’avais du subir, mais je ne pouvais totalement détester. M’arrêtant sur une photo, je demandai :
« C’est ta chambre, ça ?
– Oui. Tu as vu, elle ressemble à la tienne.
– C’est joli... »
Tout en moi s’emballait. Je regardais les photos, de plus en plus vite ; j’avais presque envie d’être capable de les regarder toutes en une seule fois. Et avec cette obscurité là, la connexion qu’il y avait entre nous, et que je pensais avoir perdue tant de fois, m’apparut à nouveau, claire et brillante. Nous étions sur la même longueur d’onde, même sans se voir pendant des jours et des jours.
« Je ne savais pas que l’obscurité pouvait être aussi belle… murmurai-je presque pour moi.
– Évidemment que si ! Ton monde aussi peut être beau, et on peut faire plein de choses dans le noir !
– Ah bon ? Et quoi donc ?
– On peut… Se raconter des histoires qui font peur ! Déclara mon frère avec assurance.
– Mais je ne connais aucune histoire qui fait peur !
– Bastien, une connaissance à moi, il en connaît plein ! J’ai pris certaines de ces photos dans le noir avec lui. Il a un vélo, du coup on peut se déplacer rapidement et sans danger dans la nuit. Si tu veux, il pourrait venir ici, de temps en temps… »
Surprise d’entendre un nom inconnu, j’acquiesçai. Aïden semblait vraiment rayonner comme un soleil. Même dans son enfance, je ne l’avais jamais vu aussi épanoui et sûr de lui. Ne pouvant deviner la raison de ce changement, je me doutai que ce Bastien n’en n’était pas étranger.
« Et même si tu n’en connais pas, continua mon frère avec amusement, tu n’as qu’à en inventer ! C’est pas si dur, il suffit de dire ce que tu as par la tête avec un ton menaçant.
– Par exemple… ‘‘Voici l’histoire terriiible de Barry le boucher’’ ?
– Exactement ! Fit-il en claquant les doigts. Hé, imagine, une salle dans le noir où les gens se réuniraient pour écouter des histoires, et ou tu raconterais tout, en rajoutant des effets sonores et de la musique d’ambiance ? Je suis sûr que pleins de gens viendraient pour t’écouter !
– Mais je n’aime pas vraiment les histoires d’horreur…
– Alors raconte ce qu’il te plaît, assura mon frère d’un ton plus sérieux encore. L’obscurité, c’est un vecteur de sentiments. On vit beaucoup plus intensément ce qu’on ne voit pas. Tu sais… C’est grâce à ton monde dans l’obscurité que j’ai réussi à trouver ce qui m’anime aujourd’hui. Et comme toi, avec le développement, je passe beaucoup de temps dans le noir. Et pour ça, je ne pourrais jamais assez te remercier assez, parce que tu as éveillé ma vie. Grace à toi, j’ai expérimenté et compris pleins de choses que je n’aurais sans doute jamais soupçonnées sans. Donc, Béryl… Merci. »
Il eut un sourire irrésistible. Les larmes qui me venaient aux yeux, pour une fois, n’étaient pas causées par la tristesse. Mais je tentais de garder mon calme. Aïden continua :
« L’obscurité et la lumière ne sont pas deux mondes distinct. Je suis sûr que tu pourrais coexister, ne serait-ce qu’un petit peu, avec le reste du monde. Il suffit de trouver les bonnes façons.
– J’aime bien cette idée. »
Pendant un instant, j’oubliais le cancer, l’abandon du traitement, le peu de temps qu’il me restait à vivre. Je partageai un rêve étrange et inédit, avec mon frère heureux de me connaître. Pour quelques secondes, je crus qu’il me restait encore à voir, à faire et découvrir. Puis, l’obscurité me rappela bien vite à la réalité. Tout ceci n’était que des fantasmes chimériques, comme il y avait pu en avoir durant mon enfance, quand j’ai cru qu’il m’était possible de retrouver ma vie de famille. Tout ceci, malgré toute leur beauté et l’espoir qu’il apportait, n’était pas réel. La réalité n’était pas aussi chaleureuse. Alors, je demandai douloureusement :
« Mais Aïden… J’aimerais voir le soleil, au moins une fois. »
Toute l’assurance, l’espoir et la chaleur dont illuminait Aïden sembla se briser en quelques secondes. Il bégaya :
« Mais… Béryl… Tu me demandes ça, à moi, alors que tu as déjà un cancer de la peau…
– Mais j’aimerais tellement… Au moins une fois… Tout le monde le sait, de toute façon, que je ne vivrais pas longtemps, alors, ça me fera perdre quoi… Dix ans ? Un mois ? Trois jours ? J’aimerais juste être à l’extérieur, avec toi, au moins une fois avant de mourir. Si je ne fais pas ça, je suis sûre que je ne serais jamais comblée. »
Peut-être en disant ceci, j’espérai qu’il comprenne ce qui m’arrivait en ce moment. Mais Aïden, tout frère jumeau qu’il m’était, n’était pas devin. Je vis ses yeux bleus parcourir toute la pièce, en proie à une réflexion intense. Puis, à mon plus grand étonnement, il dit :
« D’accord.
– C’est vrai ? »
A aucun moment je m’attendais à ce qu’il accepte. J’eus presque l’impression que mes bras allait se détacher du reste de mon corps suite au choc.
« Oui. On va aller voir le soleil ensemble. Laisse moi juste un peu de temps pour préparer tout ça, et je te dirai quand.
– Génial ! Tu es incroyable Aïden ! »
Je le pris dans mes bras, emplie d’un espoir nouveau. Le monde me laissait la possibilité de découvrir encore un peu avant de disparaître. Mais Aïden prit du temps avant de réagir. Quand il reprit la parole, ce fut pour changer de sujet.
« Béryl, tu n’as toujours pas retrouvé ta pierre précieuse ?
– Non... »
– Et bien, j’ai la solution ! Des lunettes de vision nocturne ! C’est la mairie qui me l’a prêté. Je ne l’ai que pour aujourd’hui, mais ça devrait suffire, non ?
– Tu veux dire qu’avec ça, on peut retrouver ma béryl ?
– Et bien, normalement, oui. A toi l’honneur. »
Nous partîmes en quête de la pierre disparue, dont je n’espérai plus rien. Mais après un temps de recherche, la vision améliorée des lunettes retrouva la chaîne cassée de ma pierre. Celle-ci n’avait pas bougée, avait pris la poussière, mais était encore brillante.
« Je ne vais pas pouvoir la remettre, soupirai-je… La chaîne est brisée.
– Laisse-moi faire. Tu vas voir que cette fois-ci, elle ne partira plus ! »
Alors qu’il me rattachait ma béryl au cou, avec manifestement quelques difficultés, nous revînmes sur ce qui avait pu m’arriver et nous séparer. Je lui expliquai tout, du mieux que je le pouvais. Il m’écouta avec douceur, malgré la colère qu’il semblait ressentir envers l’infirmière aux cheveux noirs et sa frustration de n’avoir rien vu. Puis, nous continuâmes à parler de choses et d’autres. Bastien revint dans la discussion et j’en appris plus sur ce mystérieux inconnu ; un ami poète et sportif avec qui Aïden s’était entraîné durant tout ce temps sans me voir. Je crus sentir chez Aïden une passion étrange quand il me parlait de ce garçon, mais je ne pus déterminer si j’avais rêvé. Puis, après une courte éternité, il s’en alla. Les particules de l’obscurité me semblèrent, même après son départ, très légères.
Il ne me fallut pas longtemps pour en apprendre plus sur ce garçon. Dès le lendemain, quand la porte s’ouvrit à nouveau, j’eus le droit à une surprise.
« Tu es venu ! Oh ? »
Alors qu’Aïden s’avançait dans la chambre, un autre jeune homme, légèrement plus grand qu’Aïden, rentra dans la pièce avec timidité. Aïden déclara :
« Salut, Béryl. Je te présente Bastien. C’est mon coach sportif, celui dont je t’avais parlé. Bastien… Ma sœur, Béryl. »
Il avait de longs cheveux blonds, négligemment attaché en une queue de cheval, et ses yeux brillaient d’un vert éclatant. Néanmoins, il avait l’air ahuri, comme s’il ne savait pas vraiment ce qu’il faisait ici. Voyant qu’il fixait d’un air perdu ce qui l’entourait, je dis avec amusement :
« Et bien, Bastien, c’est un honneur… »
Je lui tendis la main, pour faire comme si la situation était tout à fait normale. Il sembla récupérer son aise en un instant en voyant mon geste, et me serra la main avec vigueur.
« Tout le plaisir est pour moi ! Je ne pensais pas que je rencontrerais un jour en chair et en os cette fameuse sœur…
– Et moi dont ! C’est la première fois que Aïden me présente quelqu’un… Je suis touchée ! Tu dois être vraiment exceptionnel.
– N’exagère pas, non plus, grommela mon frère, gêné.
– Qu’est-ce que tu racontes, évidemment que je suis exceptionnel ! »
Je ris de bon cœur. Je trouvais qu’Aïden brillait comme un soleil, mais l’énergie de Bastien la surpassait en intensité. Bastien semblait être le genre de personne toujours heureuse, qui ne se laissait jamais ébranler par rien ni personne. Il possédait une force tranquille et agréable, qui me fit l’apprécier dès la première rencontre. Il semblait bien plus à l’aise qu’Aïden avec les mots, et une discussion avec lui coulait tranquillement, comme de l’eau, de manière continue et naturelle.
A partir de cette rencontre, il me fut presque difficile de voir Aïden sans Bastien. Ils ne venaient pas tous les jours, mais ils venaient assez régulièrement. Un jour, mon frère poussa le jeune homme vers moi. Il avait quelque chose d’étrange dans le dos et semblait atteint d’une timidité qui ne lui ressemblait pas.
« Allez, Bastien, grommela Aïden avec amusement, un peu de courage, que diable !
– J’en ai, du courage ! J’en ai énormément, d’ailleurs, de venir jusqu’ici avec tout ça…
– Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Aïden s’éloigna, alors que Bastien s’asseyait sur la chaise en posant a coté de lui son immense sac.
« Et bien… Comme il a déjà été dit, je suis poète et musicien. Et… Il paraît que m’entendre jouer de la musique te ferait plaisir.
– Quoi ? »
Bastien, gêné, eut un regard en arrière, mais Aïden lui fit un signe d’encouragement. Avec un soupir, il sorti alors de son énorme sac quelque chose que je n’avais jamais vu en vrai jusqu’alors, une guitare. Et avant même que je puisse poser la moindre question, il fit résonner les cordes. Le son qui en sorti me fit me taire instantanément. Tout en lui me captiva alors : la mélodie, douce et fragile, nouvelle sensible, qui sorti de son instrument. La dextérité des ses doigts, qui a aucun moment, même dans l’obscurité, ne doutaient. Et son air passionné, concentré, qui n’aspirait qu’à bien jouer, aussi bien pour lui-même que pour moi. Tout me marqua profondément par la douceur et la sensibilité, a tel point que j’en eus les larmes aux yeux. Pourtant, quand sa musique s’arrêta et qu’il sembla revenir dans le monde réel, il sembla étonné de me voir ainsi. Aïden lui tapa doucement l’épaule et murmura :
« Tu vois, je t’avais dit que ça lui plairait.
– Ça va, Béryl ? Demanda Bastien, presque inquiet. »
Je ne fis que hocher la tête, ne pouvant pas supporter l’idée d’émettre un autre son.
« Je suis ravi que ça te plaise, déclara Bastien d’une voix douce. Je pourrai revenir avec d’autres chansons, si tu veux. »
A nouveau, je hochais la tête. Il me fallu un moment avant de reprendre contenance et de pouvoir a nouveau communiquer correctement. Il me fallut davantage de temps pour que j’arrête d’entendre la douce mélodie dans ma tête. Alors que Bastien quittait la pièce et qu’Aïden n’allait pas tarder à le rejoindre, je demandais doucement :
« Tu n’oublies pas de me montrer le soleil ? Tu as promis.
– Oui Béryl. Si tu veux compter, ce sera dans dix jours à partir d’aujourd’hui.
– Dix jours ?
– Oui ! Je viendrai te chercher. Tout sera prêt. C’est promis, Béryl, tu verras le soleil. »
Et bien que je ne savais pas à quoi m’attendre, les pétales me permirent de compter les jours, avec impatience. Bien que ces fleurs continuaient de souffrir avec leurs pétales arrachées, j’avais arrêté de trouer leurs restes, tout comme j’avais arrêter d’écrire des dates sur des pages blanches. En revanche, j’avais accroché a coté de chaque photo de soleil que j’avais des photos d’obscurité. En superposant les deux photos, j’obtenais de quoi alimenter mes pensées et mon imagination. Je me créais sur les photos, d’une certaine façon, un soleil qui illuminait le ciel noir. Et plus le temps approchait de la date donnée par Aïden, plus il me semblait pouvoir imaginer ce soleil d’un orange couchant de manière tangible.
"Malgré tout ce que j’avais pu lui faire subir, Aïden m’aimait encore." J'ai adoré cette phrase courte au début. Leur histoire ne s'alourdit pas des moments de bas qu'ils ont connus et ça lui donne une légèreté vraiment forte.
Et le moment où Bastien vient jouer pour Béryl ! Je crois y reconnaître de toi là-dedans, dans ce que j'ai pu lire aussi des Musique Capsules : ton ressenti et ton amour de la musique, et les émotions qu'elle dégage. J'adore ces envolées.
Et puis c'est un plaisir de découvrir Bastien depuis le point de vue de Béryl !