C'était ça. C'était ce qu'il me fallait. Le point d'entrée, le point de départ. Le sourire. Le premier depuis bien longtemps. Celui qui mène là où on se sent bien. C'est comme ça que je me suis retrouvée à flotter au dessus du vide sans avoir une once de peur. Je me suis retrouvée à tomber sans avoir la sensation de tomber et en pensant que je ne m'écraserai jamais. Je me suis retrouvée coincée, collée, engluée dans des champs de nuages faits en barbe à papa. Je suis tombée dedans, je n'ai plus pu en sortir. Mais je ne me débattais pas, j'étais bien, c'était ce qu'il me fallait, sur le coup. A cet instant précis. Un gros nuage de barbe à papa, doux, gluant, collant, étouffant.
Un nuage tout blanc dans un ciel tout rose. Alors j'y ai plongé, j'y suis allée, tête baissée, sans écouter, sans m'arrêter. On m'avait prévenue, on m'avait dit "Tu sais, tout ça... je le sens pas. Tu diras pas que je t'aurais pas prévenue, tu viendras pas pleurer. " Mais une fois, deux fois, trois fois, j'ai fermé mes écoutilles, je n'ai rien dit et j'y suis allée. J'en avais besoin, il me le fallait.
Qui aurait pu prévoir, qui aurait pu le dire ? Mais qu'en fait j'allais dans un mur ! C'était le nuage le plus collant, le plus étouffant. Et il s'est grisé, au fur et à mesure. Si lentement, en prenant son temps. Je n'ai rien vu venir. Avant que je ne puisse me retourner, il était gris foncé, presque noir. C'était un nuage dégoulinant d'horreur, si sombre, si triste. Il me faisait peur. C'est allé si vite et pourtant c'était si lent. Et je n'ai rien vu, je n'ai rien écouté... du coup je n'ai rien dit. Je n'avais plus le droit. J'avais fermé mes oreilles, mon coeur et mon esprit.
Et c'était trop tard déjà, il n'y avait plus rien à faire. A part se laisser dévorer, manger, avaler par ce nuage tout gris, tout noir, tout plein de suie. Ce nuage qui suintait la douleur et le mépris. Avaler, recracher et recommencer. Qu'est-ce qu'il restait à la fin ? Des petits bouts de moi éparpillés, dans ce nuage, tout collés. Et un peu de fumée qui s'en échappait. Et qui s'envolait. Loin au dessus. Je l'ai vu partir et je n'ai pas pu la retenir, la rattraper, ma petite fumée.
A partir de là j'ai voulu m'enfuir. Je me suis débattu, j'ai couru. Mais mes pieds glissaient, s'accrochaient et restaient collés dans cette guimauve fondue, tout ce sucre durcit. Je ne voyais pas d'issue et on m'avait déjà prévenue. Alors je ne disais rien, je ne pouvais pas. Je ne suis pas venue pleurer, je n'ai juste pas écouté. Je n’ai pas cherché de l’aide, je l’ai même refusée.
Et j'ai commencé à manquer d'air, j'ai commencé à étouffer. Le tout en silence. Mon coeur s'est emballé, il cognait et cognait et cognait encore. "Laisse moi sortir ! Tu m’étouffes, tu ne vois pas ? " Il voulait s'enfuir, lui aussi. Si je ne pouvais plus bouger, coincée entre le sucre noir et brillant, et le coton gluant qui coule et fond, alors lui il voulait sa chance de pouvoir s'échapper. Au moins lui. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais rien faire, il devait rester.
Et je continuais de suffoquer.
Au moment où je pensais que j'allais y rester, que le nuage m'avait mangé, avalé, digéré, j'ai percuté le sol. Je me suis fracassée. J'étais démembrée, les poignets retournés, les genoux cassés, les chevilles brisées. Ma poitrine s'est ouverte et mon coeur a tenté de s'échapper. Il est resté bloqué. Entre deux côtes, les vaisseaux comprimés. Et j'ai attendu là. Sans bouger.
Mais ce n'était pas fini. Le gros nuage gris s'en est allé. Le ciel rose est revenu. Mais je n'ai pas bougé. Je me suis dit que j'aurais du écouter parce que maintenant je ne peux plus venir pleurer.
J'ai attendu, attendu et attendu. Que quelqu'un ou quelque chose me remette debout. Mais personne n'est venu. Et le temps est passé et les nuages ont glissés. Il a plu, venté et neigé. Des feuilles se sont accrochées dans mes cheveux, des poussières se sont incrustées dans mes yeux, des brindilles sont venues me piquer la peau.
Et puis un nuage. Il n'était pas blanc, il était étrange. Et il m'a intriguée. Et je ne savais plus ce qu'il me fallait.
Péniblement, je me suis relevée. J'ai ébouriffé mes cheveux, les feuilles se sont envolées. J'ai frotté mes yeux, les poussières sont tombées. Et je me suis dégagée de cet endroit plein de branches et de brindilles piquantes.
J'ai levé la tête vers ce nuage rosé. Un gros coton brillant et doux. Je me suis demandé ce qu'il cachait. C’était comme ça que tout avait commencé, la première fois. Méfiance, ce n’est pas une bonne idée. Ce nouveau nuage si étrange. Il attendra, ce n’est pas la mer à boire.
J'ai tourné les talons et j'ai marché. Au moins, je m'étais relevée. J’ai avancé droit devant, sans me retourner, sans le regarder.
J'attendrai que ce soit le moment. J'attendrai d'avoir percé son mystère. Derrière le sourire, cette nouvelle porte d'entrée, ce nouveau monde qui m'attire.