Souvenir de la route Eïntir - partie 3

Par cirano

Je me suis réveillé en pleine forme, toujours couvert de sang et attaché au sac à dos de mon maître qui marchait entre les montagnes. Il était silencieux, triste, et bien qu’il eût senti que j’avais émergé, il continua à cheminer, impassible comme un cheval de trait. En plus d’être mon maître, il était aussi mon père, il portait son habituelle chemise blanche en lin très ample et cintré de partout par des lanières de cuir. Ma tête reposait sur la sienne, il avait des cheveux courts et blonds dans lesquels, si on regardait bien, il était possible de repérer des cheveux blancs. Sa respiration était rauque et grave, elle faisait vibrer tout mon corps, il ne soufflait pas comme cela, car il était essoufflé à cause de la marche et de mon poids, il était fatigué. Je suis resté comme ça très longtemps, rassuré et attristé par le balancement désespéré de mon père qui me portait sur ses épaules. Je savais pourquoi il était fatigué, et je savais pourquoi il continuait à marcher. Il s’arrêta environ neuf heures après mon premier réveil, neuf heures pendant lesquelles j’ai alterné entre l’éveil et le sommeil. Il me déposa délicatement avec son sac à dos près d’un point d’eau glaciale pour que je puisse laver mes vêtements pendant qu’il partit chercher un endroit pour passer la nuit et s’abriter du froid.

 

Autour du feu il me raconta ce qu’il s’était passé après que j’ai perdu connaissance, le sang m’avait recouvert puis était rentré dans mon corps comme l’eau rentre dans une éponge. Il était alors allé discrètement au village pour ranger nos affaires en prétendant que moi et Dhalar étions toujours en train de couper du bois. À son retour, il avait constaté que je ne faisais que dormir, il avait creusé une tombe pour mon ami, puis il me prit sur son sac à dos et partit. Il ne laissa pour explication aux nains qu’un mot qui racontait les circonstances de la mort de Dhalar et leur transmettait toutes nos condoléances. Il avait marché très longtemps, dans le feu je remarquai le lexique d’Ayatolien qui alimentait les flammes, je n’ai rien dit, je comprenais.

 

Nous avons continué de marcher dans ce silence gêné et alourdi par la profonde tristesse de mon père pendant près d’une semaine avant d’arriver à la falaise. Il était tôt dans la journée, nous nous étions réveillés de bonne heure pour pouvoir parcourir plus de distance. Nous fûmes frappés par une vague de chaleur, au bord de ce précipice le soleil se levait sur une immense étendue de sable et il était possible de distinguer à l’horizon les tours de ce qui ressemblait à une gigantesque cité. En se penchant dans le vide, on voyait l’équivalent d’un fin chemin qui plongeait vers le désert et qui semblait monter vers le nord. La descente prendrait certainement un bon cinq jours, et une fois en bas, rejoindre la ville prendrait une bonne semaine. La grande question était de savoir comment survivre. Nous avons donc longé la falaise pour trouver le début du chemin tout en continuant à scruter l’horizon, afin de ne rien manquer de ce spectacle incroyable. C’était la première fois pour moi que je voyais un désert autrement que sous forme des dessins dans les anthologies de l’université. Après une bonne journée de marche, l’entrée du sentier qui menait à la mer de sable se présentait devant nous, on installa le campement. J’étais impatient et Eïntir n’avait jamais été tant déprimé. On passa la nuit à lire des réflexions philosophiques — faites par un illustre professeur de Naurore — que mon père avait prises avec lui pour tuer les heures. C’était un auteur que je ne connaissais pas très bien, aussi, Eïntir dû m’expliquer une grande partie des réflexions et me les recontextualiser. J’aurais vraiment aimé que cette nuit dure plus longtemps, mais peu avant le lever du soleil je sombrai. À mon réveil il était mort, les yeux fermés avec son même visage impassible comme s’il dormait et qu’il pouvait émerger à tous moments. Je n’eus pas besoin de l’examiner pour savoir ce qui l’avait tué, c’était la malédiction des géants. Sur son torse étaient posées deux lettres, une qui était scellée et sur laquelle il était noté d’une écriture parfaite « à mon lieutenant général », de la paperasse administrative. Et une autre, non scellée, sur laquelle on pouvait lire « à toi » d’une écriture un peu plus tremblante. Dans cette lettre, il me remerciait de l’avoir accompagné et il me demandait de poursuivre le voyage vers la cité des sables. Il me demandait aussi de donner son nom à la route que nous avions empruntée pour parvenir jusque-là (très géant comme demande). Une fois finie, je rangeai le papier d’une main peu assurée dans la poche de ma chemise et essuyai mes larmes. J’ai consacré le reste de la journée à ensevelir le corps de mon père sous des pierres (chose qui fut très difficile compte tenu de sa taille et du fait qu’une tâche aussi physique est très compliquée à réaliser en pleurant hystériquement comme c’était mon cas). L’enterrement terminé, j’ai fait un sac avec toutes les provisions qu’il nous restait, mon nécessaire d’écriture et le livre qu’Eïntir et moi avions lu la veille. J’abordais le voyage vers la cité du désert de manière beaucoup plus confiante maintenant que j’étais seul.

 

Descendre la falaise me prit bien cinq jours, mais arriver à ce qu’on croyait être une cité fut beaucoup plus rapide que prévu. Un jeu de perspective donnait l’impression qu’elle était immense et extrêmement loin, mais elle n’était en fait qu’à six jours de marche du pied de la montagne. C’était une ville tout à fait modeste du nom de Verydryze, tous les bâtiments étaient faits de briques de la couleur du sable avec une texture rugueuse. Il y régnait une ambiance de fête et de marché, la population allait dans tous les sens en criant dans une langue que je ne comprenais pas bien. J’appris plus tard que ceux-ci étaient des Sabuls. Ils avaient tous l’air incroyablement jeunes et étaient petits (environ ma taille) avec un corps fin. Lequel était enroulé dans d’innombrables bandes de tissus. La seule chose que l’on voyait de leur visage était leurs yeux jaunes aux pupilles rectilignes et leurs bouches sans lèvres aux dents limées (contrairement à ce que cette description pourrait laisser penser, je n’ai pas trouvé que les Sabuls étaient spécialement désagréables à regarder). Ce qui me choqua aussi au premier abord était que tous les habitants portaient des armes, principalement de longues épées de fer vert. Ce fut une assez bonne nouvelle, car cela signifiait que je pourrais certainement rencontrer des Orcs avec qui je pourrais communiquer. Il existe beaucoup de communautés d’Orcs qui voyagent autour du monde en se faisant engager comme gardes du corps ou mercenaire, et de manière générale ceux-ci parlent un continental tout à fait correct. En explorant encore la ville pendant plusieurs heures, je constatai que les armes des Sabuls étaient des armes émoussées, destinées à faire des combats « pour s’amuser ». Cette culture de la guerre omniprésente chez ce peuple pourrait paraître barbare aux premiers abords, mais ces combats sont rarement très violents. Ils sont toujours faits dans le respect et la bonne humeur, et je dois avouer que leur technique proche de la danse est très agréable et impressionnante à regarder. De plus cette coutume est très importante socialement, tout le monde se bat contre tout le monde et pour toutes les raisons. Le nombre de combattants est aussi complètement aléatoire. Pendant mon premier jour dans Verydryze j’ai vu trois enfants se battre avec toute la hardiesse du monde contre deux vieillardes qui semblaient beaucoup s’amuser.

 

À la nuit tombée la ville se transforma, des feux d’un rouge irréels s’allumèrent sur les toits et les écharpes, qui étaient en fait là pour protéger du soleil et de la chaleur, tombèrent. Ce que je pensais être au premier abord une population constituée exclusivement de Sabuls se révéla être un mélange de Sabuls et d’Orcs, en proportion trois-quarts un-quart. En cherchant quelqu’un qui me comprenait, je rencontrai un couple de Sabuls avec un accent particulier qui m’invitèrent chez eux pour passer la nuit. Ils étaient tout à fait charmants et avaient deux fils très tapageurs. Après avoir expliqué au père (celui qui parlait le continental) les raisons de ma venue dans ce désert et le fait qu’il faudrait que je reparte pour faire un premier rapport à l’université, ils me proposèrent, avec toute l’amabilité du monde, de me loger le temps qu’il me faudrait. Ce fut une véritable aubaine qui me permit de noter un nombre phénoménal de choses sur ce pays-sable qui se nommait Dansang. J’appris aussi grâce au père de famille la grammaire et le vocabulaire de base de la langue Sabul, ainsi que quelques phrases types qui m’aideraient à me débrouiller. Contrairement à ce que je pensais, le continental n’était pas courant du tout ici.

 

Après avoir passé deux semaines à Verydryze, je fis le retour vers l’université Naurore. Les nains de Grèlierre m’accueillirent avec un mélange de gène et de tendresse qui me fit mal au cœur. Une fois à destination, je rendis les notes d’Eïntir à son supérieur (en n’ayant pas oublié d’écrire son nom sur la carte que nous avions dessinée) et j’ai préparé une deuxième expédition avec deux amis de mon département. Objectif : Khoten-Hark, la capitale du désert. Le trajet alla beaucoup plus vite que la première fois, et à Verydryze, nous avons pris ce que les Sabuls appelaient des chars à vent pour nous rendre dans la fameuse ville. Après deux jours de route assez inconfortable, nous étions arrivés à Khoten-Hark, gigantesque et magnifique. Toute en sable blanc avec des fontaines d’eau froide à tous les coins de rue et des arbres exotiques qui donnaient de l’ombre si bien que même par une chaleur étouffante à l’extérieur, l’atmosphère de la cité restait fraiche. D’ailleurs la population n’était pas enroulée dans leurs innombrables bandes de tissus. Moi et mes amis sommes allés parler au conseil des familles (le groupe dirigeant le pays). Avec l’aide d’un traducteur, nous avons réussi à faire autoriser dans la capitale la création d’une ambassade de l’université, dont j’ai eu la responsabilité. Depuis ce jour je n’ai plus quitté le désert de Dansang. Jusqu’à la fin de ma vie, j’ai fait des recherches sur le désert et la culture sabuls. À peu près tous les ans, j’envoyais un papier qui résumait mes découvertes à mes supérieurs. J’ai continué en parallèle (et un peu en cachette du département) à faire des tests sur la magie, tout en l’apprenant aux habitants de Dansang. J’ai d’ailleurs ouvert une école que j’ai léguée à un de mes plus brillants élèves. C’est assez amusant de voir à quel point la pratique de cet art mystérieux peut changer d’un individu et d’une culture à l’autre. Quand on croit commencer à cerner les ficelles qui sous-tendent cette puissance obscure, un enfant qui n’y comprend rien entre, fait des expériences qui n’ont aucun sens et leurs résultats détruisent toutes les certitudes. Mais bon, je m’y suis habitué. Maintenant les élèves de mon école arrivent, en chantant et en dansant, à faire tomber la pluie, à rendre plus fort et plus rapide, à aiguiser les épées au-delà de l’imagination ou encore à former des flammes sous leurs pas. Je pense que je n’y comprendrais vraiment jamais rien.

 

J’ai été amoureux de ce pays, de cette capitale, et pour cause, j’ai épousé la plus belle Sabule que ce désert a fait naitre. J’ai eu deux filles que j’ai aimées plus que tout au monde. Une des deux a pris la route Eïntir avec le livre de pensées philosophiques de mon père pour aller à l’université de Naurore. Et l’autre est devenue une des plus talentueuses danseuses de Dansang (les danseuses sont des sortes de prêtresse et de porte-parole de la philosophie locale, elles ont un rôle social et politique très important.)

 

À part quelques curieux, la route Eïntir ne vit que très peu de passage. Certainement que plus personne ne traversera les montagnes d’ici quelques années. Les papiers qui ont été faits vont se perdre dans l’immensité des connaissances des géants, puis un jour, deux soldats de l’université vont trouver un bout de carte déchirée et jaunie. Et ils vont marcher dans les pas d’Eïntir et moi, à la redécouverte de ce formidable désert.

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Draguel
Posté le 30/09/2019
J'adore vraiment ton univers et le faite qu'il ne soit exposé que par nouvelle. Ca lui donne une impression d'immensité en ajoutant sans cesse de nouvelles races et cultures tout en faisant le lien avec une ou plusieurs déjà existantes. Déjà le traitement des races est assez différent de ce qu'on à l'habitude pour les orcs et les Géants notamment. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé la culture des Géants qui me fait penser, par leur cité cyclopéenne et leur connaissance élevé, aux Anciens de Lovecraft (Mon avis est sans doute influencé par les adaptations mangas que j'ai lu récemment xD).

Ensuite reprenons dans l'ordre.
Au 1-3 j'ai remarqué deux petites fautes d'orthographes : mois paragraphe 4 et éco paragraphe 6
Au 2-3 je n'ai vu que "je tentais fuir" au dernier paragraphe.
Les fautes c'est fait maintenant je vais pouvoir te lancer une myriade d'adorations xD
Les Sirènes grises, qui n'ont jamais connus la mer !
Des Nains des plaines qui modèle les arbres !
Ces mêmes nains et leur "rite" funéraire !
Une langue qui s'est imprégné de la puissance de sa civilisation !
Mais c'est génial tout ça !
Plus j'en apprend sur ton univers plus je trouve qu'il a un potentiel immense et qu'il n'est pas nécessaire d'écrire une grande histoire pour y pénétrer et l'aimer.

Je finirais juste en disant que le nom Ayatolien me dit quelque chose mais je ne sais plus quoi :p Il va falloir que je retrouve ça pour voir s'il y a un lien :D
cirano
Posté le 01/10/2019
Et bien tu n'imagines même pas à quel point ton commentaire me fait plaisir !!! Si tu me lance un peu d'adoration, laisse moi t'en donner un petit peu aussi :D
Merci pour les corrections, déjà ^_^
Merci de pense que c'est un univers qu'on peut aimer même s'il n'est qu'en nouvelles.
Merci d'avoir remarqué que j'avais essayé d'être originale dans le traitement des races.
Merci pour la comparaison avec Lovecraft !!!

Voilà, juste un très grand merci, j'espère que l'univers continueras à te plaire. Il me reste encore deux nouvelles à corriger, j'ai la pression xD

Je sais pas si tu as remarqué sinon, mais j'ai tenté de glisser un petit message contre l'idée que la connaissance apporte le bonheur et que le but de la science est atteignable, tu l'as ressentit ?

PS: en vrai c'est tout à fait possible que je me sois inspiré du mot "Ayatolien" quelque part sans m'en rendre compte ^_^
Draguel
Posté le 01/10/2019
Pourtant j'en ai une bonne idée ! :p
Tu me lancera un peu d'adoration quand je me serais sorti les doigts de la trousse et que j'aurais pondu un texte xD (Et si l'univers te plait bien sûr :p)

Oui on voit bien que ce message est incarné par les Géants ^^ Je te rassure le message est visible mais pas envahissant :D

Je viens de regarder d'où me venait cette sensation de familiarité et j'ai retrouvé ! Elle me vient de l'Ayatollah Khomeini qui a été un jour dit dans un cours d'histoire (je crois :p). L'Ayatollah étant un rang religieux élevé dans la hiérarchie chiite je doute qu'il y ai un lien ^^
cirano
Posté le 01/10/2019
Et bien pour le coup j'aurais hâte de pouvoir lire un de tes textes :D ! Je suis super content qu'on ressente le message (tout le monde ne l'a pas perçut :/ )
Et pour ce qui est de l'Ajatolien (ou Ayatolien) pour le coup c'est possible que le mot m'ai "un peu" guidé xD mais pour le coup il n'a absolument pas le même sens !
En fait je me suis amusé à développer un peu en dehors de la nouvelle et j'ai vraiment crée un petit lexique d'Ajatolien (d'ailleurs il faut que je pense à le mettre sur mon JdB !) du coup le mot "Ajatolien" en Ajatolien veut dire "l'écriture des beaux et forts insectes" ^_^ (petite info en supplément :D)
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