Süanesh • « Échec... »

À des milliers d'années-lumière de ce que nous connaissons, bien au-delà de la ceinture de Kuiper et du Nuage d'Oort, à peine accessible à l'œil magnifique de Hubble, se trouve encore une multitude d'étoiles, de galaxies, de systèmes et de possibles vies. L'un de ses systèmes renferme en son sein des trésors de connaissances, de culture, de peuples inconnus des humains. Ils vont et viennent dans une paix relative.

Pour les intraitables et redoutables Urruds, les célébrations des Sentinelles de Cristal font sûrement partie des plus importantes et des plus révérées. Ces festivités honorent le courage et le sacrifice de l'Escadron Blanc et sont une date clé de leur calendrier. Il y a deux cents ans, la guerre contre les Akoni était à son apogée, et d'autres nations, opportunistes, en ont profité pour rejoindre le conflit. Entre carnages innommables et retraites humiliantes, la population civile, première victime de ce massacre, a choisi de se soulever.

Les Urruds qui ont vécu cette période s'en rappellent encore. Il faillit y avoir un point de non-retour et toustes ont craint la chute de leur capitale, Gara, la fière cité de cristal. L'Escadron Blanc a permis, par son action et son renoncement, un retournement de situation. Avec des attaques menées simultanément à des endroits stratégiques du conflit, ces honorables Urruds ont permis à leurs pairs de pouvoir reprendre l'avantage, mais aussi de calmer les revendications des autochtones. Depuis, l'on honore la mémoire de ces militaires tous les vingt ans et, à l'occasion de ces célébrations, l'Eklérarque se doit de faire un discours honorifique.

Cette année, Süanesh Twimaren est bien alerte quant à l'importance que ces fêtes auront sur le plan politique. Des dissensions ont été notées, il y a trois semaines de cela, et le pacte de non-agression établi entre les deux peuples ennemis a été violé. La guerre est plus que jamais aux portes d'Alaba.

L'Urruds sait que son discours va être analysé, décortiqué, par toutes les autres nations.

Mais ce qu'el veut, c'est la paix : la fin des conflits. Seul le Conseil de Famille, restreint qui plus est, connaît la teneur de ses propos. Ses mots entérineront le statu-quo... ou plongeront son peuple dans le chaos d'une guerre civile. Süanesh connaît son peuple, el le sait impulsif. Mais, la confiance demeure dans son cœur : l'Eklérarque agit en ce sens aussi, et surtout, pour ses enfants, pour leur assurer un avenir sûr et paisible. El n'a aucune raison de craindre quoi que ce soit. N'est-ce pas ?

***

La capitale de cristal, Gara, resplendit encore plus que d'ordinaire. Le joyau de toute l'eklérarchie brille de mille éclats colorés. Sur les parois des bâtiments, construits à mêmes les excroissances massives de pierres précieuses, défilent encore de nombreuses publicités tandis que les ultimes retardataires quittent leur emploi à toute hâte. Se préparer, et vite ! C'est presque la pensée unique qui anime chaque Urruds. Et, surtout, il ne faut en aucun cas manquer le discours de l'Eklérarque Süanesh. Le nom de læ vénérable monarque est sur toutes les lèvres, l'excitation est à son comble.

Pendant ce temps, dans le cocon intime et protecteur de sa chambre, bordée de rouge et d'or, dissimulæ à l'ombre des regards par un paravent, Süanesh se prépare. El regarde les portes-fenêtres, profite encore de l'air frais qui caresse ses joues. Sa longue chevelure de cristal brille d'une légère teinte grise. Ses pupilles verticales violettes se rétractent quand l'angoisse étreint sa gorge et s'empare de son être. Calme-toi ! El n'a jamais craint qui que ce soit ou quoi que ce soit ! Nombreuses sont les batailles qu'el a menées, les fronts vaincus vaillamment. Alors, pourquoi avoir peur ?

Ce n'est pas de la peur. C'est simplement de l'appréhension. La lourde couronne, ornée des pierres précieuses extraites d'Alaba, leur planète, lui rappelle son devoir. Süanesh ne peut pas se défiler. l'Eklérarque sourit : après son discours, el ira dans les jardins avec sa progéniture et profitera du feu d'artifice. Ewa tirera sa tête des mauvais jours tandis qu'Uhadi s'émerveillera devant la beauté du spectacle.

De légers coups portés à sa porte tirent læ monarque de sa rêverie et attirent son attention. C'est l'heure ! Süanesh se relève, le tissu riche et soyeux de sa tenue officielle glisse le long de ses jambes et retombe en un mouvement fluide. Les derniers bijoux dont el se pare décorent son dos dénudé. Puis, de ses longs doigts, Süanesh prend sa couronne et la pose sur sa tête. Quatre-vingt-huit années de responsabilité... Et c'est loin d'être la dernière ! Un sourire sûr, arrogant, étire les lèvres de l'Urruds tandis qu'el termine de se préparer. Un collier de diamants se pose sur son torse, les longues manches de ses gants recouvrent ses avant-bras et protègent les petits cristaux de ses poignets : El est præte.

D'une démarche assurée, Süanesh s'avance sur le balcon. En contrebas, El y voit sa famille. Uhadi lui adresse un large sourire encourageant tandis qu'Ewa, son adelphe... se fait remarquer par son absence. l'Eklérarque secoue la tête : la Légataire doit sûrement encore bouder dans son coin. Ewa ne viendra donc pas au discours.

Encore quelques pas. Maintenant que Süanesh est à proximité de l'amplificateur de voix, aucune marche arrière n'est possible. El sait que son peuple est réuni et qu'il ira célébrer les Sentinelles de Cristal en bonne et due forme. Sauf, si le discours opère l'effet inverse et provoque un tollé monstrueux. Intérieurement, Süanesh prie les Grands Seigneurs de les protéger du moindre trouble.

— Mes très chæres compatriotes ! Aujourd'hui est un jour historique !

Historique, en effet. Dès demain, El enverra saon plus efficace ambassadeurice apporter ce message de trêve, cet armistice. Ce sera la première étape dans la reconstruction des relations diplomatiques entre l'arrogant peuple de cristal et les courageux guerriers akoni. Il est désormais temps que les guerres ancestrales s'achèvent. Un léger soupir s'échappe des lèvres de l'Eklérarque, qui reprend de sa superbe.

— Il y a deux cent ans, nombreuxes sont les Urruds à avoir sacrifié leur vie pour sauver les nôtres ! Deux cents ans que nous les célébrons et honorons leur mémoire. Et en ce jour de célébration des Sentinelles de cristal, j'ai une annonce capitale à vous faire !

Süanesh doit leur laisser le temps d'assimiler, de se préparer, de comprendre l'information. Les Urruds doivent se préparer à la moindre éventualité. Dans les jardins, les premiers murmures d'interrogations s'élèvent. l'Eklérarque se rapproche du garde-fou du balcon et ouvre à nouveau la bouche, déterminæ à reprendre la parole, à planter le clou qui sèmera les graines de la paix… ou celles de la discorde. Mais, aucun mot ne s'échappe de ses lèvres : un sifflement attire son attention. Une douleur aiguë lui tiraille l'épaule. Puis une autre, au milieu de la gorge. Hébétæ, Süanesh lève les doigts, voit un liquide ambré teinter sa peau. El tremble. Porte la main à sa gorge.

Un autre sifflement.

Une autre douleur. À la tête, cette fois.

Læ monarque tombe à genoux, l'esprit plongeant dans des limbes dont nul ne réchappe. Les secours n'arriveront pas à temps.

***

La chambre est plongée dans la pénombre. Les mains dans le dos, an Urruds se tient debout, face à sa porte-vitrée. El n'entend pas les cris de la foule. Trois coups brefs sont portés au chambranle. El ne se tourne pas, ne dit rien et n'entend que le bruit de l'ouverture qui coulisse. Un soldat se tient à l'entrée. Le silence plane encore quand cellui à la fenêtre daigne prendre la parole.

— Est-ce fait ?

— Oui, répond laconiquement le soldat.

— A-t-el souffert ?

Pas de réponse. Tant pis. Au moins, le contrat a été rempli. Aucun des deux Urruds ne bouge.

— Tu peux disposer, reprend læ commanditaire. J'ose espérer avoir ta loyauté.

La réponse se fait attendre. Un peu trop longtemps au goût de l'Urruds près de la fenêtre, dont les cristaux se teintent d'un rouge, précurseur d'une colère qui l'envahit. Læ militaire finit par répondre.

— Ma loyauté ira à l'Eklérarque désignæ par le Conseil de Famille.