Suite et fin

Pour l'heure, notre voyage s'assit par terre et regarda passer les pintades. Nous avions quitté notre village en rêveurs entêtés, la difficulté de l'effort nous avait superbement réveillé. Incultes en géographie, quelqu'un nous avait montré une carte immense de l'Afrique. Nous n'en avions pas cru nos yeux. Pour rejoindre Tripoli, il nous restait six mille kilomètres à effectuer, soit une éternité de pas de caméléon. La meilleure solution était de louer les services d'un chauffeur expérimenté. Mais comment pouvions-nous aborder un tel messie avec les poches vides ?

Ici, trouver un travail était caillou. La maman savait piler, mais elle aurait dû piler durant un siècle ou deux pour rassembler la somme folle qu'on nous demandait.

Pour économiser, la maman a dû remettre du vert or sur ses paupières et offrir l'éclat de ses dents blanches au premier venu. Après quelques jours de mojo, et de bouche à oreille, elle a fini par trouver une place de femme de ménage cuisinière chez le fier Amama Ssekandi.

Toujours superbe dans ses sapes colorées, Ssekandi avait beaucoup de mal à cacher son ambition. Il avait faim de réussite, de belles voitures et de diacres. Âgé de seulement vingt-trois ans, il portait déjà le nœud papillon, et se donnait encore cinq ans pour devenir millionnaire. Il passait beaucoup de temps devant sa glace à recoiffer sa vanité, et à chouchouter sa peau avec des crèmes anti-âge. Dans la rue, il marchait chaloupé, comme le paon se mire dans sa queue. Tous les soirs, il partait faire la vie, voir les filles, chauffer les coins. Mais à l'aube, il rentrait souvent ivre, souvent seul, à cause de sa réputation d'impuissant. Des mauvaises langues disaient qu'au pays de l'amour il était patriote, mais que son drapeau restait tristement en berne.

En attendant sa fortune, Ssekandi tenait une cantine-épicerie qu'il avait repris à la mort de son oncle. Son local était un vrai boui-boui couvert d'un toit de tôle, mais les gens prenaient plaisir à s'y retrouver pour déguster un matoké ougandais ou un fondant de patate douce. Car le talent de Ssekandi, c'était la cuisine expérimentale et les recettes oubliées de tous. Voyant en la maman une associée docile et peu coûteuse, il ne tarda pas à lui transmettre ses idées de modernité. Il lui apprit à faire le mafé végétarien, le saka-saka, et la cuisine au jus de baobab. Il lui apprit surtout à le remplacer lors de ses grasses matinées ou quand il faisait ses siestes à répétition.

Amama a tout de suite sympathisé avec la maman. Ses regards de braise n'arrêtaient pas de lui dire qu'elle était belle et ne faisait vraiment pas son âge. Me concernant, il était désolé, mais il ne pouvait pas m'héberger. La maman a insisté pour qu'il garde au moins les petites sœurs Nasha et Bahiya. Cela contrariait beaucoup Ssekandi, mais il a fini par céder en les faisant dormir dans un placard-réserve, bien calées entre des sacs de riz. Quant à la maman, elle était obligée de s'allonger dans le lit de Ssekandi, parce qu'il n'y en avait pas d'autre.

Alors moi, Modibo Keïta, je suis retourné au village précédent pour aider l'homme-cambouis à réparer ses moteurs. Bikila Bilo était plus généreux qu'il n'en avait l'air. Il me trouvait des qualités d'écoute et de discipline. Il sentait naître en moi l'homme qui irait loin. Avec lui, j'apprenais par cœur le métier de garagiste des rues. Il me donnait peu, mais c'était assez. Parfois, il m'offrait des vieux vêtements, des baskets usagées. Il me laissait aussi téléphoner à la maman tous les dimanches. C'est au téléphone que j'ai appris que le bébé de la maman était venu avant l'heure et qu'il n'avait pas survécu. Elle m'a dit qu'elle était triste, mais que c'était mieux ainsi car la petite n'aurait pas supporté le long voyage. Elle m'a commandé de ne pas pleurer. Je devais plutôt honorer sa mémoire, car la petite leur avait fait un cadeau en renonçant à sa vie. La maman l'a enterrée sous le prénom de Bintou.

Au bout d'un mois, Amama Ssekandi a proposé le mariage à la maman, mais celle-ci a refusé. Elle a préféré suivre la folle prédiction de Barkhaawar. Plus les jours passaient, plus l'idée du bateau faisait briller son impatience et son espoir. Toutes ses pensées naviguaient vers le bateau. Mais pas n'importe quel bateau. Pour nous éviter la noyade, la maman s'inventait la possibilité du paquebot. Chaque nuit, elle nous rêvait installés dans des cabines de luxe, allongés sur des transats, sirotant des cocktails de saharan martini. À notre arrivée en Italie, elle s'imaginait des blancs nous accueillir à bras ouverts, nous offrir les clefs d'une petite maison entourée d'aloés, la plante de l'immortalité. Elle me voyait garagiste de voitures luxueuses, porter de beaux costumes et une cravate. Elle se voyait devenir patronne d'une épicerie-cantine, avec en fond sonore la crème musicale africaine. Certains clients lui disaient qu'elle se jetait de la poudre dans les yeux. Mais d'autres lui disaient de s'accrocher à ses rêves, car ils ne coûtaient rien.

Nous avons mis six mois avant de nous constituer un pécule honnête pour repartir vers notre destin.

En un seul jour, il ne nous restait presque rien. Nous avions tout donné à Kamissa Sidibé, la passeuse, qui aimait l'argent plus que les gens. Sa cupidité n'avait pas été longue à reconnaître. Elle lui dévorait les doigts qui étaient de vraies machines à compter et recompter les billets. Même quand elle partait pisser derrière un arbre, elle ne pouvait s'empêcher de bigler sur ses chères liasses. Mesquinerie et rapacité étaient ses deux jambes. À côté d'elle tout le monde semblait être un cul-de-jatte.

Branchée à l'écoute du tam-tam des naïfs, elle nous avait repéré de loin. Elle s'était vantée auprès de la maman d'être une professionnelle des rêves qui se réalisent. Avec elle, promis-juré, aucun noyé en Méditerranée, sa filière était la plus sûre d'Afrique. Pour nous appâter, nous épater, elle nous avait montré sur son téléphone tous les messages de remerciements de ceux qu'elle avait sauvés de la misère. Se prenant presque pour une déesse de la bonté, elle nous avait donné sa parole que son tarif était celui de la charité.

Quand même, la maman un peu perplexe lui avait demandé :

- Et le bateau ?

- Un grand bateau, ne t'inquiète pas. Un chalutier avec des couchettes confortables et des plateaux-repas garnis d'agneau et d'ananas. Vous aurez dix litres d'eau par personne et un gilet de sauvetage par personne, lui avait encore vendu Kamissa.

- Mais pourquoi des gilets de sauvetage si c'est un grand bateau ?

- Mais parce que... parce que c'est obligatoire, ma chérie. Si tu doutes de moi, ne t'en fais pas, j'ai une liste d'autres clients longue comme mon bras. J'ai horreur qu'on doute de moi ! Alors que décides-tu ? Tu veux végéter dans ce bled pourri encore quinze ans ?

- Non. Je te fais confiance. C'est gratuit pour les petites, tu es certaine ?

- Je crois que tu n'as pas conscience de ma générosité, ma chérie. Si tu réussis là-bas, tu m'enverras un cadeau. Un parfum Dior, une jolie robe, ce que tu veux ! Je fais du 48, tu t'en souviendras ?

- Oui !

- Allez, donne ton argent. Tu ne le regretteras pas.

La maman lui avait donné tous ses billets durement gagnés. Et Kamissa les avait compté et recompté, tout en disant :

- Rendez-vous demain matin, ici même. Il y aura deux pick-up. Un conduit par mon mari, l'autre par mon beau-frère. Tu as compris ?

- Oui.

 

Dans le pick-up, nous étions vingt et un, serrés comme des sardines, en position du fœtus. La maman n'était pas du tout contente. Ses regrets étaient trop lourds. Elle en pleurait.

Kamissa Sidibé était venue s'excuser juste avant notre départ. Elle nous avait dit que le pick-up du beau-frère était tombé en panne en chemin, que ce n'était pas de sa faute, mais la faute à une bielle lunatique. Dès qu'il serait réparé, elle nous l'enverrait, promis-juré.

Pendant que le pick-up s'éloignait, Kamissa nous fit un chaleureux au revoir de la main. Pensant que nous étions hors de sa vue, elle arrêta enfin son geste hypocrite, mais moi, grâce à mes bons yeux, je la vis encore sortir de sa poche ses billets pour les compter et les recompter.

Au bout de trois jours, le mari de Kamissa nous a déposé dans un village grouillant d'enfants mendiants et de vendeurs à la sauvette. Sous le soleil féroce, nous avons dû attendre trois nouveaux jours l'arrivée de la camionnette promise.

Ensuite, ce fut la traversée d'interminables déserts et de postes frontières. Les deux conducteurs nous avertissaient à l'approche des barrages policiers. Ils nous laissaient sortir quelques centaines de mètres avant, et nous attendaient, ni vu ni connu, quelques centaines de mètres après. À notre grande surprise, ils considéraient cette diversion comme un service exceptionnel. Les mécontents se sont bientôt énervés, quand ils nous ont demandé à être rétribués, prétextant qu'ils étaient beaucoup moins chers que les policiers. C'est à ce moment-là qu'on a tous compris que l'on s'était fait piéger. La filière sûre de Kamissa Sidibé n'était rien d'autre que le prolongement de ses doigts crochus. C'est là surtout que les choses ont commencé à devenir bien cruelles pour la maman. Comme nous n'avions plus d'argent, le soir venu elle devait s'éloigner avec les deux chauffeurs, loin dans les dunes. Je n'aimais pas du tout ces promenades nocturnes. Elles me trouaient, me frappaient le ventre. Mais la maman savait adoucir ma colère en me disant à son retour : ça va, ils ont été gentils, j'ai fait en sorte que les deux prochains barrages soient gratuits !

Dans ces déserts, il arrivait que nous croisions des migrants égarés qui marchaient sans force comme des somnambules. À notre passage, ils nous demandaient de l'eau, sans trop y croire. Nous leur en donnions quelques gorgées, et nous repartions en nous disant que nous avions plus de chance qu'eux.

Un matin, par le plus grand des hasards, nous avons croisé bonnet violet qui était assis tout seul sur une pierre, loin de tout. Le regard vide pointé sur l'horizon, il semblait attendre l'autocar de sa mort. Il avait dû tomber durant la nuit de sa voiture, quand il dormait encore. Malgré notre insistance, nos chauffeurs n'avaient pas voulu s'arrêter. La maman leur avait parlé, parlé, parlé. Elle leur avait même crié dessus pour qu'ils prennent le garçon. Puis, ne pouvant retenir ses larmes de couler, elle leur avait promis de l'amour gratis. Mais ils n'avaient pas voulu.

En voyant bonnet violet devenir un petit point dans le lointain, j'ai versé aussi quelques larmes en pensant qu'il ne verrait jamais la mer. C'était le soleil maintenant qui déciderait pour lui.

Dans certaines régions, nous avons vu encore des centaines de tombes, des centaines de petits monticules de sable avec quelques cailloux autour. Là-dessous dormaient les plus pauvres d'entre les pauvres, ceux qui n'avaient pas été assez patients pour économiser. Avec la maman, nous avions l'impression de traverser un cauchemar sans fin. Nous commencions vraiment à regretter que le choléra n'ait pas voulu de nous. Notre fierté à vouloir survivre à tout prix nous faisait agoniser autrement.

Bientôt la chaleur a fini par ébouillanter nos pensées. Peu à peu, nous nous sommes transformés en grains de sable muets dans ce désert hurlant. Nous n'avions plus de sensations, plus d'émotions. Les chauffeurs nous auraient demandé de lécher une dune pour faire passer les roues, nous l'aurions fait.

Nous avons changé de véhicule à au moins dix reprises. Les premiers étaient plutôt rutilants, les derniers étaient de véritables épaves roulantes. Nous passions plus de temps à les réparer qu'à rouler. La maman ne comptait plus ces fois où elle devait suivre les chauffeurs dès la nuit venue, loin du campement. Elle faisait cela uniquement pour nous, pour Nasha, Bahiya et moi. Elle ne faisait jamais cela pour elle. Mais quelquefois, elle me disait qu'elle faisait cela en pensant au papa. Ainsi, cela lui faisait moins mal au cœur.

En traversant le Burkina, des agents nous ont demandé de leur donner 15.000 francs CFA. Comme nous n'avions pas cette somme, ils ont commencé à nous aboyer dessus, à donner plusieurs gifles à la maman. Ils étaient certains que nous cachions de l'argent quelque part. Alors, ils m'ont emmené dans une petite pièce sombre qui sentait fort les excréments et l'urine. Puis, ils m'ont ligoté sur une chaise et m'ont envoyé des chocs électriques un peu partout. Malgré mes pleurs et mes cris, ils ont continué à me torturer ainsi durant trente minutes. Je n'avais jamais rencontré des gens si mauvais. L'argent les rendait fous, sadiques et maléfiques. Nous n'étions plus des hommes à leurs yeux, mais des billets.

C'est surtout dans le sud de la Libye que le voyage s'est transformé en enfer. Des migrants rescapés, le visage et les mains brûlés, nous ont appris que les bandits rôdaient partout. Ils voulaient eux aussi de l'argent, ou sinon ils vous aspergeaient d'essence et menaçaient de vous mettre le feu. Chaque kilomètre parcouru était un supplice. La peur nous mangeait le ventre. À chaque instant, nous nous imaginions les rencontrer. Nous étions obligés de rouler dans l'obscurité, avec les phares éteints, quitte à nous éloigner de la piste. Par chance, notre chauffeur était lucide et très prudent. Une nuit, nous avons vu au loin une voiture en train brûler. Nous avons attendu patiemment jusqu'à l'aube. Nous avons dû faire un vaste détour, et nous sommes heureusement passés sains et saufs.

Nous avons mis plus de deux semaines pour traverser la Libye. Je n'ai jamais compris qui étaient vraiment nos derniers chauffeurs. On disait entre nous que c'étaient des rebelles. Ils portaient des foulards noirs qui leur masquaient le visage et ne laissaient voir que leur yeux. Ils n'ont jamais porté une seul regard vers la maman. Il ne semblaient pas avoir envie de la toucher. Ce qui l'arrangeait bien, car elle ne voulait plus être touchée. Ce qui m'arrangeait bien aussi, car je me sentais prêt à tuer le premier qui oserait encore la toucher.

À Tripoli, comme nous le pressentions, le chalutier de Kamissa Sidibé n'existait pas, ni dans ce coin du port, ni ailleurs. Après cinq jours sans réponse, nous avons enfin pu la joindre. Elle semblait étonnée que nous soyons toujours en vie. Nous étions si heureux d'avoir réussi cet exploit, que la maman n'a fait aucun scandale. Elle lui a redemandé le nom du bateau pour vérifier et Kamissa nous a encore menti en nous disant qu'il avait été coulé par les autorités portuaires. Elle n'était absolument pas responsable de cela. Elle nous reprochait de ne pas avoir mis plus d'argent pour prendre son assurance. Avec son assurance-bateau, elle aurait pu nous en trouver un autre. Et puis, assez agacée, elle a raccroché soudain, en nous souhaitant bonne chance et en nous rappelant de ne pas oublier son cadeau taille 48.

Toujours aussi misérables, nous avons subsisté durant deux semaines en faisant la mendicité. La nuit, comme il faisait chaud nous pouvions dormir dehors, cachés entre les murs de maisons en construction. J'avais réussi à voler un couteau pour nous protéger de certains migrants qui pouvaient aller jusqu'à tuer des rêveurs pour obtenir quelques billets de plus.

Après avoir obtenu des informations des uns et des autres, nous avons eu à choisir entre trois solutions pour gagner notre billet pour Lampédusa. C'était soit la prostitution pour la maman. Soit devenir esclaves à la campagne chez de riches propriétaires libyens, durant un an ou deux. Soit avoir « le voyage avancé et tu travailles là-bas pour rembourser », avec pour garantie de laisser Nasha ou Bahiya chez le généreux donateur.

Incapables de prendre la bonne décision, nous avons encore erré pendant une semaine dans les rues de Tripoli, avec la faim au ventre. Chaque soir, nous allions sur la plage pour voir si un bateau pneumatique n'aurait pas pitié de nous. Mais aucun bateau n'a eu cette pitié. La Méditerranée ne voulait pas de nous, même en tant que noyé.

Allongé sur le sable, c'est alors que moi, Modibo Keïta, j'ai vu la nuit se coucher sur la mer sous la forme d'un vampire immense aux ailes déployées. J'ai vu la lune baisser la tête, et se retirer doucement du ciel comme pour aller se recueillir derrière la brume grise. Avec la nuit, le silence s'est fait. C'était un silence étrange, un silence d'ancêtre, qui semblait tenir de l'enchantement. On aurait dit une oppression mystérieuse, d'infimes hoquets de suffocation et d'étouffement. Je ne savais pas si je rêvais les yeux ouverts, mais la mer, comme hypnotisée par les vastes ailes d'ombre, palpitait avec effort. Elle exhalait de longues plaintes, des râles d'agonie ou peut-être d'amour. J'ai cru voir encore des silhouettes de femmes, d'hommes et d'enfants qui sortaient au ralenti de l'onde nébuleuse et qui tendaient leurs bras suppliants vers l'horizon. Et puis, je crois bien que je me suis endormi.

Le lendemain matin, au lever du soleil, la maman s'est réveillée avec un tout nouveau visage. Elle souriait. Elle est venue nous entourer de ses bras. Elle nous a caressé à tous trois le visage, et nous a embrassés sur les lèvres. D'une voix douce et vibrante, elle nous a fait part des paroles profitables du papa qui lui avait encore parlé durant la nuit. Le papa n'était pas seul dans son songe. Il était en compagnie d'un homme qui se faisait appeler Léopold Sédar Senghor. Celui-ci avait soufflé à l'oreille de la maman qu'il avait versé beaucoup de larmes sur notre voyage insensé. Puis il lui avait soufflé aussi cette phrase optimiste de sa poésie : ils nous disent les hommes de la mort, mais nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur !

La maman ayant cru comprendre ce que voulait dire ce message, elle nous a dit que la vie était une danse, qu'avec elle rien n'était jamais figé. Elle nous a demandé de lui pardonner pour toutes les souffrances qu'elle nous avait fait endurer. Elle nous a dit qu'elle s'était trompée, lourdement trompée. Qu'il valait mieux une mort douce sur sa propre terre plutôt qu'une triste agonie sur la terre des autres. Elle nous a dit que ce long voyage nous avait rendu riches, riches de beautés, riches de temps sacré et d'oxygène, puisque nos cœurs battaient toujours au fond de nos poitrines.

Après cela, la maman s'est campée face à la mer. Elle a regardé cette mer insensible en effaçant ses restes de maquillage. Puis, laissant remonter en elle sa fierté endormie, elle a ôté tous ses bijoux, son collier tribal, ses boucles dorées, ses bracelets futani.

Alors, elle est venue prendre Bahiya qu'elle a enroulée délicatement dans son dos. Et moi, Modibo Keïta, j'ai compris ce qu'il me restait à faire. J'ai soulevé la petite sœur Nasha pour la mettre sur mes épaules.

Nous avons dit adieu à Tripoli.

Et nos jambes ont commencé à marcher.

Comme par miracle, nos jambes n'étaient plus nos jambes. Nos jambes étaient devenues l'Éden.

Nous n'avions toujours rien. Mais nous avions tout.

Du soleil plein les joues.

De la liberté plein les pieds.

De la vie plein les yeux.

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Belisade
Posté le 08/07/2021
Bonjour Zultabix,
Le deuxième chapitre était terrible, mais ce n'était rien à côté de celui-ci. la déchéance de la famille dans sa longue marche vers une liberté très chère, très très chère ... Dans ce contexte cruel et corrompu, la mère et ses enfants conservent leur dignité et la fin très triste est au fond la solution la plus noble.
Belle histoire ... qui ne laisse pas indifférent.
Zultabix
Posté le 08/07/2021
Encore une fois, merci pour ta lecture !
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