On enterra Stanafen à midi, quand le soleil fut à son apogée. Nul ne doutait qu’avec la bravoure dont il avait fait preuve au seuil de sa vie, la porte du royaume de lumière lui serait ouverte par les Fondateurs. Les bandits, quant à eux, brûleraient pour l’éternité, captifs des plus terribles prisons du royaume des morts. La magie-flamme continuerait de dévorer leurs âmes à jamais.
C’était ce à quoi songeait Len pour se rassurer tandis qu’il versait la terre sur le cercueil de son père. Il n’avait pas prononcé un mot depuis la veille, il n’avait pas levé les yeux vers les capes violines de l’autre côté du cimetière. Les Protecteurs se tenaient en retrait, n’offrant guère plus que leur présence en réconfort. Après le discours du Prêcheur, Mezoa s’était avancée à leur rencontre pour remercier encore celui qui avait vengé leur père. Maître Windan, comme ils l’appelaient. Les mains de Len tremblaient encore au souvenir de sa sœur inclinée devant ce monstre.
Tout Watz était venu pour rendre un dernier hommage à son père. Tout Watz s’était tenu là, à écouter le sermon de Maural. Miaph, les doigts mêlés à ceux de sa sœur. Hallonas et Nassir avec leurs bandages, et tous les miliciens regroupés en uniforme autour de lui. Une famille unie dans la peine autant que dans la foi. Et tous autant qu’ils étaient, ils s’étaient courbés devant les capes violines.
Len fut le seul à ne pas les rejoindre aux portes de la ville. Il regarda les siens s’éloigner vers l’auberge sans avoir la force de hurler sa détresse. Les larmes avaient trop coulé sur ses joues, la peur avait trop brisé sa gorge. Il aurait voulu, pourtant, détenir assez de courage pour parler, pour révéler cette vérité qu’il était le seul à connaître. Peu importait la cape, peu importait le titre. Ces Protecteurs n’étaient pas des Élus : ils étaient des monstres de magie-flamme, des démons déguisés pour libérer le feu sur le monde des Hommes.
Quand le soleil déclina et que l’ombre s’avança pour le prendre, Len se réfugia au Temple du village. C’était le seul endroit où il se sentait encore en sécurité.
— Len Soussepier ? Mon garçon, que fais-tu encore là ?
Le Prêcheur avançait dans sa toge grise, surpris de trouver encore un fidèle sur les bancs. Il soupira et s’assit à ses côtés.
— Les Fondateurs veillent-ils vraiment sur nous, Maural ? Peuvent-ils vraiment nous protéger de la magie-flamme ?
— Les Dieux ont-ils encore besoin de prouver leur existence ? questionna le Prêcheur en retour. N’ont-ils pas bâti une tour de lumière pour guider les Hommes ? N’ont-ils pas inondé le monde leur magie ? Peut-être préférerais-tu prier un Dieu unique et fantasmé, comme les sauvages du continent ?
Len s’empressa de secouer la tête, les yeux embués.
— J’ai tellement peur…
— Les Fondateurs ne laisseront pas le feu s’emparer de l’âme de ton père, mon garçon. Stanafen était un homme bon et généreux. Il a mérité sa place auprès des Élus.
— Je ne crains pas pour l’âme de mon père, souffla Len. J’ai peur de… la magie-flamme.
— Si tu lui donnes ta peur, alors tu renforces son pouvoir. N’aie crainte, ta foi te gardera de son influence.
Len se mordit la lèvre, les doigts tremblants. Fallait-il parler ? Les capes violines étaient parties depuis des heures, le Temple l’abritait de son écrin divin… Il céda enfin.
— Mais j’ai vu la magie-flamme, Maural ! J’ai vu le vrai visage de l’apprenti Protecteur. Ce n’était ni homme, ni un Élu. C’était une démone !
Sitôt les premiers mots sortis, la suite jaillit hors de ses lèvres. Il raconta cette force surhumaine qui l’avait plaqué au sol, ce regard de nuit teinté de haine, ces flammes rouges qui avaient surgi de son corps pour dévorer la chair. Maural l’écouta sans l’interrompre, sans reléguer ses paroles à de vulgaires cauchemars. Ses yeux s’agrandissaient à chaque nouveau détail, son regard se fronçait à chaque nouveau mot.
— Vous me croyez, alors ?
Le Prêcheur acquiesça d’un air troublé.
— Cela me rappelle une vieille histoire. On m’avait rapporté un incident de ce genre, il y a quelques années.
Il se tut, cherchant dans sa mémoire. Se pouvait-il… ? Il était arrivé trop tard, à l’époque. La famille avait déjà filé, personne n’avait revu l’enfant en question. Une petite fille qu’on disait amie des flammes… Maural avait conclu à de simples rumeurs. Ces gens des montagnes, ils étaient prompts à l’exagération. Mais cette excuse n’avait pas plu au Seigneur Hosgen… Il avait puni Maural de sa négligence. Banni de Solastène pour n’avoir pas rattrapé une enfant. Cela faisait bien six ans qu’il n’avait pu sentir la douce lumière de la Rochelune. Six ans… Maural ne ferait pas deux fois la même erreur.
— Où ont-ils dit qu’ils se rendaient ? demanda-t-il au garçon.
— À Solastène.
Le Prêcheur posa la main sur l’épaule de Len et esquissa un sourire.
C'est aussi très crédible que Len ait jeté ce fardeau dans la confession religieuse, c'était un bon moyen de faire avancer ce côté de l'histoire et je suis bien curieux de ce que cela va entraîner. J'espère que le personnage ne tombera pas dans l'oubli j'ai une petite affection pour lui.
Sitôt les premiers mots sortis, la suite jaillit en torrent hors de ses lèvres. => je pense que sans "en torrent" ça sonne encore mieux.
Sitôt les premiers mots sortis, la suite jaillit en torrent hors de ses lèvres.
Je valide pour le "jaillit hors de ses lèvres", autant alléger au maximum !
Bon, par contre, tout balancer au prêcheur qui a l'air motivé pour les suivre et enquêter sur ça, c'est pas la meilleure chose du monde x) Surtout que bon, je doute que Lyron soit ravi d'apprendre ça de la part du prêcheur plutôt que de Windane. Du coup, je suis très curieuse de voir comme tout ça va évoluer =o
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de lire et de commenter autant, ça me fait vraiment chaud au coeur !
J'aime beaucoup Len, je le perçois comme un personnage attachant qui va apporter une certaine touche de réconfort à Windane.
La mort de Stanafen est regrettable mais sans doute nécessaire.
"C’était ce à quoi songeait Len pour se rassurer tandis qu’il versait la terre sur le cercueil de son père. Il n’avait pas prononcé un mot depuis la veille, il n’avait pas levé les yeux vers les capes violines de l’autre côté du cimetière." : Je trouve ce passage très visuel.
Pas de points négatifs à soulever.
Je vais lire la suite de ce pas.
Merci de ta lecture :)