La cape tirée sur son front, les muscles bandés pour sauter, elle prit appui sur le chêne et s’élança. Ses pieds connaissaient le chemin des branches. Combien de fois avait-elle traversé la forêt pour épuiser les flammes ? L’énergie se déversait, bouillante, dans chacune de ses veines. Elle lui céda enfin et le feu explosa en rugissant sur ses doigts. Il n’en avait jamais assez. Il sautait, il vibrait, il chantait dans son sang. Depuis un an déjà, il avait pris possession de son corps. Un an depuis l’incendie. Un an qu’elle fuyait dans les bois pour le fatiguer. C’était une guerre sans fin, et elle avait perdu plus de combats qu’elle n’en avait gagnés. La forêt était devenue son refuge. Certains jours, lorsqu’elle sentait la magie-flamme trop forte dans ses veines, elle y restait jusqu’au matin, installée au pied de la falaise. Ce fut là, encore, qu’elle acheva sa course. Elle aurait pu courir encore, mais elle avait senti sa sœur approcher. Alors elle se laissa tomber au sol, rappela l’énergie dans sa cage. Le feu finit par obéir et se retira pour ne laisser qu’un filet de fumée blanche autour de ses mains. Il avait entièrement disparu quand Naelle surgit d’entre les arbres. Elle s’arrêta dans la clairière, jeta un regard étonné à la falaise. La roche était creusée d’une drôle de manière, les éclats répandus au sol comme si la foudre avait frappé chaque jour au même endroit.
— Tu me cherchais, Naelle ?
Sa sœur détacha ses yeux des pierres pour lui faire face et acquiesça en soupirant.
— Je voulais te demander pardon, Windane. Je suis désolée pour ce matin. Je ne voulais pas laisser entendre que… Enfin, tu n’es pas un démon. Tu es Protecteur.
— Un drôle de Protecteur, alors, rétorqua Windane en désignant le creux que ses poings avaient formé dans la falaise.
Naelle refusa de suivre son regard et secoua la tête.
— Peut-être. Mais qui sommes-nous pour en juger ? Tu possèdes la magie parce que les Fondateurs l’ont décidé ainsi. Peu importe que tes pouvoirs soient… différents. Tu es comme tu es parce que les Dieux l’ont voulu.
— Et si ce n’était pas les Dieux ?
— Windane, tu n’es pas comme ces monstres peints sur les murs du Temple. Tu es ma sœur, et tu es une Élue. C’est ce qu’a dit Maître Lyron quand nous étions enfants, et c’est ce qu’il répète encore aujourd’hui. Si tu étais un démon, il l’aurait su.
Windane soupira. Les paroles de Naelle cherchaient autant à la réconforter qu’à la convaincre elle-même. Après tout, si elle si sûre que la magie de Windane lui venait des Fondateurs, pourquoi n’avait-elle pas parlé de ce qu’elle avait vu ? Toutes deux le savaient bien. Lyron ne devait jamais entendre parler des flammes.
— Alors tu me pardonnes ? demanda Naelle.
— Il n’y a jamais rien eu à pardonner, répondit Windane en haussant les épaules.
Sa jumelle se fendit d’un sourire et leva la tête vers la falaise.
— Alors voilà où tu te caches toute la journée ! Et que fais-tu à part meurtrir la roche ? Tu contrôles les bêtes, peut-être ?
Windane comprit qu’elle faisait référence aux ragots du marché. Naelle les avait entendus, elle aussi. Elle devait même les subir chaque fois qu’elle se rendait en ville ou assistait aux prières du Temple. Mais contrairement à Windane, elle avait appris à faire avec. Il avait bien fallu s’habituer à ces mains qui voulaient caresser ses cheveux blonds, ces regards qui dévoraient ses yeux émeraude. Les questions sur son frère ne faisaient que s’ajouter à l’attention qu’elle suscitait naturellement depuis toujours. Et Windane n’était plus là pour la défendre.
— Je ne risque pas de contrôler le moindre mulot, les animaux ont tendance à m’éviter. Enfin, sauf Teran, mais c’est un peu différent.
— Teran ? répéta Naelle, intriguée. Alors tu as un ami ?
Windane laissa échapper un rire et secoua la tête.
— Il me tolère, disons, mais… Viens, je vais te présenter.
Le soleil était encore haut, elles auraient sans doute le temps. Il fallait simplement trouver le bon chemin pour Naelle, qui ne pouvait pas grimper sur le côté de la falaise comme le faisait sa sœur. Il fallut faire un détour par le Nord, puis contourner le terrain des braconniers.
— Ils s’aventurent de plus en plus loin sur les terres du Duc pour poser leurs pièges, expliqua Windane en aidant Naelle à grimper sur les derniers rochers. C’est comme ça que j’ai rencontré Teran… Ah, nous avons de la chance. Il est là.
Elle n’eut pas besoin de le désigner à sa sœur. Naelle s’arrêta, stupéfaite. Un puma se tenait au sommet des pierres, les oreilles tournées avec méfiance. Ses yeux d’or, soulignés de noirs, semblaient guetter leurs mouvements. Il était dressé sur ses pattes, son pelage blond luisant dans le soleil, son museau fin humant l’air dans leur direction. Windane savait quoi faire. Elle ferma les yeux et repoussa l’énergie qui avait chauffé ses muscles. Le feu devait se taire, se cacher au plus profond. La moindre braise ferait fuir Teran.
— Tu l’as apprivoisé ? souffla Naelle.
Windane rouvrit les yeux et secoua doucement la tête. Elle franchit les derniers pas qui la séparaient du félin et s’accroupit, main tendue. C’était lui qui décidait s’il venait à elle, et non l’inverse.
— Je crois qu’il me voit plutôt comme un animal avec qui il est obligé de cohabiter.
Un animal sauvage qui l’effrayait, parfois. Il ne venait à elle que dans les bons jours, quand le feu avait eu sa victoire et qu’il lui offrait un répit. Windane n’était pas certaine qu’il viendrait à elle, ce jour-là. Il devait sentir la tension de ses bras. Pourtant, il fut assez curieux pour approcher. Il commença par humer de loin ses doigts offerts, puis il tourna le museau du côté de Naelle. Elle s’était accroupie sans un bruit pour tenter d’approcher de plus près le pelage doré qui faisait écho à ses cheveux. Il avait fallu des mois à Windane pour l’amadouer, et pourtant Teran allait vers sa sœur avec une facilité déconcertante. Était-ce parce qu’il se méfiait toujours de son pouvoir ? Elle referma la main, acceptant sa préférence d’un soupir résigné. Mieux valait s’éloigner pour laisser Naelle profiter de cette rencontre.
Windane préféra se tourner vers le bord des pierres, là où la falaise plongeait vers la clairière. De cette hauteur, la forêt n’était plus qu’une mer de verdure et le village seulement quelques récifs à l’horizon. De cette hauteur, elle pouvait presque s’imaginer dans son rêve. Les images la hantaient depuis des semaines, sans jamais révéler leur sens.
Ses pieds nus au bord du vide. La roche qui s’effritait sous son poids. Les embruns qui crachaient leur froid sur ses orteils. Le vent soulevait ses habits, glissait sur ses jambes, remontait son ventre et sifflait à ses oreilles. Pluie et tonnerre grondaient en écho à l’océan, et elle levait les yeux vers la tempête. Là, dans l’obscurité étincelante de l’orage, elle distinguait sa silhouette. C’était une créature ailée, si sombre qu’elle se fondait dans les nuages, si dangereuse que même les éclairs semblaient la contourner. Et Windane, au lieu de la craindre, se fendait d’un sourire et lui tendait les bras.
Elle rouvrit les yeux pour laisser la forêt remplacer l’océan. Même ses rêves étaient étranges et interdits. Mieux valait oublier. De toute façon, le moment était venu. Le feu chauffait sa nuque pour l’avertir.
— Lyron nous attend, annonça-t-elle.
Quand elles regagnèrent le chalet en lisière de forêt, le Protecteur les attendait avec plusieurs paquets. Il avait déjà offert à leur mère un châle couleur d’ivoire, qu’elle avait accepté en rougissant. Sylvan, lui, était resté sans voix face à l’emblème gravé dans le manche des outils rapportés de Solastène.
— Je sais que j’ai été absent bien trop longtemps et que ces quelques présents ne sont qu’une maigre compensation. Néanmoins, je pense pouvoir affirmer que celui-là te plaira, déclara Lyron à Naelle en lui tendant un livre.
Windane vit les yeux de sa sœur s’illuminer tandis qu’elle découvrait les aquarelles reproduites sur les pages de l’imprimé. C’était un voyage en couleur à travers les plus grandes cités du royaume, un cadeau inestimable pour Naelle, dont l’expression valait tous les remerciements du monde.
— Il appartenait à Felyen, tout comme ce bijou… Il est temps qu’il te revienne.
— À Felyen ? souffla Naelle, mais…
Elle tourna la tête du côté de son père, qui hocha la tête avec émotion. Il tendit la main et s’empara du collier parsemé d’émeraudes présenté par Lyron pour le passer au cou de sa fille. Naelle le caressa du bout des doigts, stupéfaite par la beauté d’un tel cadeau.
— Il est superbe, Maître Lyron…
— Et il te va à ravir, comme il allait à ma mère, commenta Sylvan.
Windane eut le temps d’apercevoir une ombre dans les yeux de Lyron, avant que ce dernier ne détourne le regard. Il se tourna enfin vers elle, silencieux, et elle serra les poings.
— Que pouvais-je offrir à une jeune fille si exceptionnelle que toi, Windane ? En cela, mes dons ne m’ont pas été d’un grand secours… J’espère avoir été à la hauteur.
Elle ne lui offrit aucun soutien et se contenta d’affronter ses yeux sombres, aussi noirs que les siens, tandis qu’il lui tendait un sac. Tous ces efforts n’étaient qu’une mise en scène pour amadouer ses parents. Il connaissait d’avance leur réaction. Mais qu’en était-il pour elle ? Elle s’empara de la bourse de cuir. Un frisson remonta aussitôt le long de son bras. Il fallut résister à l’envie de rejeter le paquet, pour ne pas s’attirer l’indignation des siens. Elle serra les dents, masqua le trouble qui s’était emparé d’elle. Quelque chose vibrait dans ce sac. Quelque chose qui résonnait dans ses veines de manière désagréable. C’était un simple collier, pourtant : une chaînette d’argent à laquelle était suspendue une pierre d’un rouge sombre, pas plus grosse que son pouce. C’était plus trouble qu’un rubis, plus éclatant qu’un grenat, et d’une couleur qui semblait muer au fur et à mesure qu’on l’observait, scintillant en reflets écarlates.
— Les gens des colonies l’appellent la Rochelave, expliqua Lyron. On dit qu’elle possède des vertus magiques.
Windane le remercia du bout des lèvres, faisant rouler la pierre entre ses doigts. Il en émanait une impression presque vivante, comme une force prisonnière du bijou. Elle réprima une grimace tandis que sa mère lui enfilait. Si Lyron n’avait rien senti en transportant la gemme, alors elle devait ignorer le frisson qui lui tordait le ventre.
— Tu es si belle, souffla Mataen.
Sa mère avait les larmes aux yeux, le cœur lourd de chagrin. Son père semblait tout aussi ému derrière la gravité de son regard. Windane se tourna vers Lyron, résolue. Le moment était venu.
— Je t’ai laissée trop longtemps, déclara-t-il.
Windane serra le poing, cherchant à calmer les battements affolés de son cœur. Elle s’était préparée à cette annonce, pourtant. Elle avait compris le jour où elle avait reçu sa lettre.
— Vous voulez m’emmener à l’Académie.
Lyron parut surpris par cette idée et la rejeta d’un signe de tête.
— Non, il existe une exception à la loi, Windane. Un Protecteur reconnu comme Maître de la Pléiade peut choisir de prendre lui-même en charge la formation d’un apprenti… C’est mon cas, désormais. C’est pour cette raison que je suis revenu. Nous avons bien trop attendu, Windane.
— Vous voulez l’emmener ? souffla Naelle. Non, vous ne pouvez pas !
La voix de Sylvan gronda pour faire taire sa fille et réprimander son insolence. Lyron poursuivit sans leur prêter attention :
— Tu as été choisie par les Fondateurs, Windane. Le vêtement que tu portes et la magie que tu possèdes font de toi un Protecteur d’Ayjaell. Tu ne dois pas oublier quel est ton rôle. Je veux t’emmener avec moi jusqu’à Solastène pour t’apprendre à maîtriser la magie. Je veux faire de toi un grand Protecteur… Mais je ne peux t’y contraindre. La décision t’appartient.
Naelle, qui avait reculé face à son père, laissa de nouveau éclater sa colère.
— Comment pouvez-vous laisser faire ça ? cria-t-elle à l’adresse de ses parents, ce n’est pas juste pour Windane !
— Windane est un Protecteur ! répliqua Sylvan. C’est pour son bien !
— Windane est ta fille, et ma sœur, avant d’être quoi que ce soit d’autre ! jura-t-elle. Mais vous l’avez oublié depuis longtemps !
La main de Sylvan fila vers sa joue, sans pour autant l’atteindre : Lyron avait arrêté le geste de son fils. Le Protecteur se tourna vers Naelle et déclara, impassible :
— Le choix revient à Windane, et à elle seule.
Naelle leva des yeux assassins vers son père, dont le visage exprimait déjà le regret. Elle secoua la tête avec dédain et s’élança au-dehors. Windane la suivit presque aussitôt.
— Je repars dès demain, ajouta Lyron. Tu as jusqu’à l’aube pour prendre ta décision.
Elle acquiesça d’un signe de tête et fila sans se retourner.
Chaque fois qu’elle était bouleversée, Naelle se réfugiait dans la grange et trouvait le réconfort auprès des chevaux. Fuissec était un vieux percheron qui l’avait vue grandir, Automne un jeune mâle qu’elle avait quasiment dressé seule. Ils étaient ses plus fidèles amis, ses confidents à la force tranquille. Elle avait une telle confiance en ses animaux que même Windane avait pu apprendre à les monter. Il avait fallu du temps et de la patience, tant du côté de la jeune fille que des chevaux. Ils s’agitaient toujours un peu à l’approche de sa magie. Aussi, lorsqu’Automne s’ébroua brusquement, Naelle comprit que Windane l’avait rejointe.
— Ce n’est pas juste, souffla-t-elle en caressant le cheval pour le détendre. Nous sommes jumelles, pourtant. Ça n’a pas de sens.
Windane posa la main sur le pelage alezan et hocha la tête. Non, rien de tout cela n’avait de sens. Celle qui rêvait de monter en selle pour partir, c’était Naelle. Quitter Sashanka, quitter les regards, quitter les rumeurs et traverser le pays jusqu’aux millions d’habitants de la capitale, se perdre dans la foule aux mille couleurs pour ne plus être qu’un éclat au milieu d’un vitrail. C’était tout ce qu’elle méritait, et tout ce qu’on offrait à une autre.
— Tu iras un jour à Solastène, répondit Windane. Tu…
— Parce que tu crois que je te jalouse ? s’exclama Naelle en lui lançant un regard furibond qui fit frémir Automne. Mais que les flammes emportent Solastène ! C’est pour toi que ce n’est pas juste ! Parler de toi comme si tu n’étais par leur fille… Tu es ma sœur, Windane, et je refuse de te perdre au profit d’un vêtement !
Windane recula sous le choc de ses paroles. Les yeux de Naelle se posaient sur la cape violine, furieux. Ce n’était ni de l’envie, ni de la jalousie, ni du regret. Ce n’était que de la colère, dans sa forme la plus simple.
— Et tu savais qu’il reviendrait pour toi. Tu l’as toujours su, n’est-ce pas ? Oh, comme je l’ai détesté de nous avoir brisées ! Il t’a déjà volée à moi une première fois et je n’ai pas été assez forte… Je t’ai abandonnée, moi aussi. Comme eux.
Sa voix se perdit contre le dos du cheval tandis qu’elle y reposait sa tête. Elle prit de grandes inspirations dans sa chaleur, les mains agrippées à sa robe. Windane posa ses doigts sur les siens et secoua la tête.
— Tu ne m’as jamais abandonnée, Naelle. C’est grâce à toi si j’ai tenu bon, tu sais. Je voulais devenir comme toi, contrôler le… Contrôler mes émotions. Tu as toujours été la plus calme et la plus forte de nous deux.
Naelle laissa échapper un rire ironique et secoua la tête.
— Voilà que tu recommences… C’est moi qui devrais te réconforter, non ? Mais tu places toujours les autres avant toi. Tu as toujours été Protecteur, Windane. Toujours. Tu te souviens de ta réaction quand Lyron est venu, la première fois ? C’est moi que tu as voulu protéger. Moi. Alors qu’il venait pour toi.
Les doigts de Windane se contractèrent à l’évocation de ce souvenir et Naelle releva les yeux, plongeant son regard dans le sien comme Lyron l’avait fait autrefois.
— Qu’est-ce qu’il a vu, ce soir-là ? souffla-t-elle. Qu’est-ce qui te fait si peur ?
Windane savait bien de quoi parlait Naelle. La vision de Lyron. Celle qui l’avait mené jusqu’à leur chalet de Belledanne perché dans les montagnes. Celle qu’il avait tenu à vérifier en plongeant son regard dans l’esprit de sa petite fille. L’image s’était imprimée dans sa mémoire et ne l’avait plus jamais quittée. C’était une simple silhouette, pourtant. Une silhouette au sourire carnassier.
— Quelque chose de dangereux, répondit-elle.
Naelle comprit qu’elle n’en saurait pas plus, alors elle mêla ses doigts à ceux de Windane pour les empêcher de trembler.
— L’avenir n’est jamais figé, c’est ce que Lyron a dit. Peu importe ce que tu as vu, ça n’arrivera pas. J’ai confiance en toi, Windane, et je refuse de te perdre.
— Tu ne me perdras pas.
— Mais tu comptes partir avec lui.
Elle hocha la tête, et Naelle serra les dents.
— Pourquoi ?
— Parce que je veux vous protéger. J’ai déjà causé assez de tort.
La main de Naelle s’arracha à la sienne et sa voix s’éleva, agacée par cette excuse.
— Du tort ? Quoi, parce qu’on chuchote dans mon dos au marché ? Qu’ils aillent aux flammes, avec leurs ragots ! Cela ne nous a pas empêché de trouver du travail ni de…
— Je ne parle pas des ragots, Naelle ! Je parle de l’incendie ! Celui qui a brûlé la forêt et détruit les récoltes. Celui qui a blessé ces gens. Celui que j’ai causé, et qui aurait pu te coûter la vie si j’avais été dans notre chambre ce matin-là !
Naelle ouvrit la bouche, stupéfaite. Windane braqua ses yeux dans les siens pour lui faire accepter la vérité. C’était la première fois qu’elle mettait des mots sur sa faute et elle aurait voulu pouvoir en être soulagée. Au contraire, le dire à haute voix ne faisait que renforcer sa culpabilité.
— C’était la première fois, expliqua-t-elle. Je ne savais pas ce qui m’arrivait, j’ai juste eu le temps de fuir et… Mais ça n’excuse rien. J’aurais pu vous blesser, vous aussi.
— Mais l’incendie… C’était il y a des mois, souffla Naelle.
— Presque dix mois, et je suis toujours incapable de le contrôler. Voilà pourquoi je dois partir avec Lyron.
Windane avait serré les poings et l’émotion battait dans ses yeux, comme une pulsation à fleur de peau. Automne s’ébroua nerveusement, obligeant Naelle à le contourner pour se placer devant sa sœur. Sans capuche, sans masque, le visage de Windane n’avait jamais été si sincère. Il s’en dégageait un souffle d’angoisse, un frisson de peur qui trouva écho dans le corps de Naelle. La magie les enveloppait, les liait, jusqu’à refléter en elle les images qui hantaient Windane.
C’était d’abord une pression dans son ventre, une chose qui gonflait dans sa poitrine, qui écrasait ses côtes, qui poussait dans ses veines. La douleur se muait en fureur, en brasier qui explosait sur sa peau et dévorait la moindre parcelle de son corps. Et ces flammes. Ces flammes si vives qu’elles chantaient en se libérant hors de contrôle. Le feu avait brisé sa cage pour se répandre dans le monde, et elle n’avait rien pu faire pour le retenir.
Il fallut quelques instants à Naelle pour reprendre son souffle et calmer les battements de son cœur. La chaleur était encore imprégnée dans sa chair, les flammes pulsaient doucement sur sa peau. Ce n’était qu’un infime reflet de ce que vivait Windane, et pourtant il semblait à Naelle que le feu était en elle, qu’il s’accrochait à son corps comme un prédateur rechignant à libérer sa proie.
— Je veux te protéger de moi, déclara Windane.
L’illusion se brisa finalement, arrachant les dernières traces de chaleur. Naelle eut un frisson en retrouvant la pesanteur de l’air. Les doigts tremblants, elle s’empara de la main de sa sœur et murmura d’une voix brisée :
— Tu n’es pas mauvaise, Windane. J’ai confiance en toi.
Windane esquissa un sourire triste et posa son front contre le sien.
— Merci, répondit-elle. Alors tu acceptes l’échange ?
— L’échange ?
— Puisque tu m’as volé Teran, je peux te prendre Automne ?
Le cheval s’ébroua, comme pour signaler son désaccord, et Naelle se mit à rire au milieu de ses larmes.
J'ai enfin pris le temps de reprendre ma lecture :).
Un plaisir de retrouver Windane, Naëlle et Lyron dans ces deux derniers chapitres. J'ai l'impression que l'on a davantage de détails, de sentiments transmis à la lecture sur la relation entre les deux sœurs. Il y a de la douceur et de la mélancolie, et je trouve cela très touchant. En tout cas ça fonctionne bien avec moi.
Il me semble qu'une fois, tu avais sous-entendu que les deux sœurs se recroiseraient bien plus tard. Cette perspective est sacrément intéressante à tout point de vue !
Je vais poursuivre sous peu ma relecture :).
A très vite !
Oui j'ai essayé de renforcer les relations entre les personnages au fil de ma réécriture et de laisser un peu plus de place au caractère de Windane, qui semblait "fade" dans la première version je trouve.
J'ai bien aimé la révélation sur l'incendie.
Les paroles de Naelle cherchaient autant à la réconforter qu’à la convaincre elle-même. => jolie.