Temps de crise
Tancred était cloué au sol par la propulsion qui les arrachait au fusioasphalte de la piste. Immobilisé dans la position dans laquelle il était tombé, les yeux fixés sur les corps figés des quatre autres et sur leurs regards terrifiés, il ne pouvait bouger un muscle. Sa respiration était difficile et il avait l’affreuse sensation que ses globes oculaires allaient sauter hors de sa boîte crânienne.
Enfin, au bout d’un temps infini, la gravité redevint normale. Tancred aspira une grande bouffée d’air qui siffla dans sa gorge crispée. Son cœur battait contre ses côtes à une vitesse affolante. On a quitté la Terre… Cette pensée et les hypothèses qui l’accompagnaient lui tordirent le ventre au point qu’il dut serrer les dents pour ne pas vomir. Sur sa droite, Ulys se releva d’un bond et se mit à piétiner, tourner et taper dans les murs en criant. Son visage contracté était caractéristique pour qui le connaissait : il frôlait la surchauffe.
Décrispant les doigts autour de son mediacom pour examiner l’écran, Tan sentit l’angoisse monter d’un degré supplémentaire : plus de réseau, la Terre était déjà trop loin. Il croisa le regard d’Oxan qui ouvrait des yeux sidérés. Comme elle ne cillait plus, il se demanda brièvement si l’écrasement du décollage ne lui avait pas provoqué une crampe des paupières. Il rampa péniblement vers Teddy, roulé en boule, dont les épaules étaient secouées de gros sanglots. S’y associèrent bientôt des pleurs d’un niveau sonore équivalent à celui d’une sirène antipollution.
– J’AI PEEUUUUUR… beuglait-il.
Moi aussi, pensa Tan qui dut faire un effort pour ne pas joindre ses propres hurlements à ceux de Teddy. Il inspira plusieurs fois pour faire passer ses frissons, puis se pencha vers son petit frère pour le calmer. Ce fut plus difficile que ce qu’il espérait, à cause d’Ulys.
– MAIS FERME-LA ! criait-il toutes les dix secondes à l’adresse de Teddy.
Oxan — dont les paupières s’étaient remises en marche — se précipita vers son frère qui battait frénétiquement des cils, le corps agité de tremblements.
– Ulys, arrête de hurler, si tu veux qu’il se calme, intervint-elle. Tu fais autant de bruit que lui ! Occupe-toi de ton chat, plutôt, il est terrorisé !
Les pleurs de Teddy déclinèrent, Ulys se tut, le visage enfoui dans la fourrure de Dragon, et Calixt s’apaisa un peu au contact de sa sœur.
– Je crois… qu’on est partis sur un autre vaisseau, annonça Tancred en réprimant un sanglot.
Aucun bruit ne suivit cette déclaration, hormis quelques reniflements. Ils avaient tous déjà compris.
– Comment on va faire ? chevrota Calixt.
– Il faut qu’on trouve un adulte pour lui dire de nous ramener sur Terre, lâcha Ulys comme une évidence.
– Pour une fois, je suis d’accord avec toi, approuva Tan.
– Alors, allons-y ! ordonna Oxan les lèvres pincées en tapant dans ses mains pour motiver la troupe. De toute façon, on peut pas rester là : il fait trop froid.
La température avait en effet chuté sévèrement depuis le décollage et l’air devenait mordant. Ils se trouvaient dans une zone non habitable où le chauffage devait être réduit au minimum. Encore une chance que l’atmosphère ait été respirable et la pesanteur artificielle maintenue.
Ils prirent la seule direction possible, sur les traces du chariot. Ils constatèrent rapidement que l’éclairage se déclenchait sur leur passage et s’éteignait derrière eux. Il était donc très difficile d’évaluer la longueur de la galerie qui s’étendait devant eux, mais Tancred soupçonnait qu’ils n’avaient pas fini de marcher. Leurs pas, lourds d’angoisse, résonnaient avec un lugubre timbre métallique qui donnait le cafard, et les dimensions gigantesques du couloir paraissaient écrasantes. Ils avancèrent en silence, minuscules, contractés par le froid mordant, accompagnés par les nuages de vapeur qu’ils expiraient.
Eh bien là, on peut dire qu’ils sont sacrément dans la panade ! Adios le vaisseau avec les parents, bonjour l’aventure et les ennuis. x)
Ça arrive à chaque fois cette violence au décollage ou c’est parce qu’il n’y avait pas de dispositif prévu à cet effet à cet endroit ? Je me le demande, parce que ça doit être sacrément chiant pour ceux qui voyagent régulièrement.
En tout cas, on sent bien la panique. Niveau empathie et émotion, c’est réussi !
Je ne sais pas si le chapitre est un peu court, ou s’il se lit terriblement vite, dans tous les cas, niveau carotte suspendue au bâton, ça fait son travail.
Point de vue forme, j’ai pas grand-chose à dire, une fois encore. C’est fluide et bien mené.
Un plaisir,
À bientôt !
A nouveau tes remarques sont très pertinentes : la violence du décollage, on peut effectivement imaginer que c'est parce qu'ils se trouvent dans une zone non habitable, tout comme la température très basse. Je t'avoue que je n'ai pas la réponse, puisque personne n'a tiqué là-dessus. Mais c'est une bonne question, vive les lecteurs pointilleux XD !
Les chapitres sont tous assez courts, parce qu'ils changent à chaque changement de point de vue et que j'essaie de bien répartir les voix des enfants. Et ça reste du jeunesse (11-13 ans). Ceci dit, le découpage reste toujours une interrogation dans cette histoire, j'en ai changé plusieurs fois et je ne suis pas sûre d'avoir dit mon dernier mot.
Merci pour ton commentaire encourageant et ta lecture. A+
Je trouve que les dernières phrases (très jolies) résument bien leur situation. Ils sont vraiment embarqués dans un sacré pétrin...
Les enfants qui se retrouvent sans leurs parents embarqués dans des aventures folles, comme Jowie, ça rappelle des lectures que j'ai eu plus jeune, c'est pas désagréable.
Assez curieux de voir ce qu'ils vont pouvoir trouver (ou pas ?) sur leur cargo. J'espère qu'il y aura des humains, ça sera intéressant de voir leur réaction en découvrant les involontaires passagers clandestins^^
Je pense qu'avoir le pdv des plus jeunes risque d'être encore plus angoissant. Ca va être intéressant de lire les différences de réaction entre les personnages.
Je poursuis...
Une petite remarque :
"Occupe-toi de ton chat, plutôt, il est terrorisé !" j'enlèverais la virgule après chat
Ravie que ça te rappelle des lectures d'enfance, c'était le but ;)
Les points de vue des plus jeunes arrivent bientôt, mais je ne m'en suis pas servi de la même manière : les points de vue de Calixt sont beaucoup sur l'émotion (peut-être un peu trop, d'ailleurs), mais le points de vue de Teddy sont plutôt fait pour donner un effet comique. Tu me diras ce que tu en penses.
Alors, si tu ne l'as pas lu, "The Expanse" est un modèle pour toutes ces histoires de pesanteur, artificielle ou non, selon la vitesse, etc... de compensation par la force de Coriolis et tout le toutim. Bien sûr, tu n'as absolument pas besoin d'aller aussi loin, on est dans la pure littérature jeunesse, là. Mais c'est toujours bon de savoir comment ça se passe (ceci dit, il y a déjà sept tomes, c'est passionnant mais c'est un gros morceau, désormais).
Bon, sinon, toujours aussi maîtrisé (le contraire serait étonnant) et agréable à lire. Seul truc, comme les enfants sont assez nombreux, avec des prénoms qui sonnent souvent épicènes, je trouve que tu ne devrais pas hésiter (dès le début) à les "sur-caractériser" un peu. Rajouter des éléments visuels et/ou très distinctifs pour qu'on puisse se construire une image rapidement. A ce stade, je sèche encore un peu à les identifier.
Merci pour tes compliments !
Je n'ai pas lu The Expanse, mais je t'avoue que j'aime aussi l'idée de ne pas avoir l'esprit "préformaté" par des standards du genre. En fait, je ne suis pas vraiment une lectrice de SF, mais ça m'évite les clichés, je pense.
Je trouve intéressant cette manière de séparer les enfants de leurs parents xD ça m'a rendu nostalgique des livres que je lisais plus jeune, où les protagonistes enfants se retrouvent seuls et, malgré la peur, ont plein d'aventures incroyables ! Les pauvres, quant même! À leur place, je serais par terre de panique!
Ils doivent trouver un adulte, hmm... je ne sais pas pouquoi, mais en lisant ça, je me suis dit : "et s'il n'y avait pas d'humain dans le vaisseau, mais que des aliens ou des créatures bizarres ? xD Ou alors "et si le vaisseau n'avait pas de pilote"? Je ne sais pas ce qu'il en sera, mais je sens qu'il ne vont pas trouver exactement ce qu'ils cherchent ou du moins, pas sans obstacles. À voir ;) !
"Leurs pas, lourds d’angoisse, résonnaient avec un lugubre timbre métallique qui donnait le cafard et les dimensions gigantesques du couloir les écrasaient." -> J'ai un peu croché sur la deuxième partie de la phrase (à partir de: "et les dimensions " ) mais je ne sais pas trop pourquoi. J'aurais séparé la phrase en deux, mais là encore, je cherche la petite bête ^^
Alors comme tu l'as vu dans le chapitre suivant, l'hypothèse d'un vaisseau fantôme est effectivement envisageable... la suite dira si c'est vrai ou non.
Et pour les adultes, j'ai failli te dire plus tôt de ne pas trop te fatiguer à retenir leurs noms, mais ça t'aurait spoilé alors je me suis retenue ;)
Pour ta remarque sur la phrase, peut-être qu'en ajoutant tout simplement une virgule après "cafard", ça serait plus clair ? Quoi qu'il en soit, je note !
J'aime bien que ce chapitre soit court. Bref moment d'angoisses et de tensions, c'est bien dosé et fluide. Mais je suis d'accord avec Rachael, tu peux facilement (encore) en rajouter un chouia avec Tan. Les jeunes lecteurs peuvent en supporter plus que l'on ne croit
Je note ta remarque. Je ne cherche pas particulièrement à épargner les lecteurs (ma fille a lu Six of Crows à 11 ans sans sourciller, donc je suis bien placée pour me rendre compte qu'ils peuvent effectivement en supporter beaucoup XD), c'est plutôt dans un souci de ne pas alourdir le texte que je n'en ai pas fait assez sur l'angoisse de Tan. Je vais voir si j'arrive à augmenter encore un peu le niveau.
Donc ce n'est peut-être pas suffisant.
Ou alors tu l'as lu un peu plus tôt et tu as différé ton commentaire ?
Enfin déjà, si ça marche pour les autres persos, c'est déjà ça ! XD
Merci pour ta lecture et ton retour.
Je crois que je vois ce que Laure veut dire, mais je l'ai interprété différemment : j'ai eu l'impression que tu nous livrais des signes d'angoisse, de stress (normal), mais tout en gardant une forme de recul qui permet de libérer un peu de tension (et donc, peut-être, d'adresser le roman à un lectorat relativement jeune ?). Pour moi, Ulys qui crie sur son frère, c'est limite drôle et attendrissant (même si c'est pas bien de crier), et ça permet de souffler un peu dans le danger et l'angoisse que je ressens pour eux.
Au final, je ne sais pas si ça correspond à l'atmosphère que tu cherchais à créer, mais quoi qu'il en soit, je trouve que l'ensemble est cohérent et compréhensible !
PS : je crois que j'ai un faible pour Ulys <3
Je note qu'on a une fan d'Ulys ;) C'est ce que j'aime dans les pdv multiples : chaque lecteur ou lectrice peut choisir son préféré !
Merci pour ta lecture et ton commentaire !
Le suspense est là en tout cas, je me demande bien ce qui les attend sur ce vaisseau.
Je pinaille : j'aurais aimé sentir un peu plus d'angoisse chez tes personnages dans ce chapitre. L'adrénaline permet certes de bien gérer, mais ça n'enlève pas des signes de grand stress, enfin je me dis que dans leur situation mon coeur battrait vite, j'aurais la bouche très très sèche et je me sentirais très agitée. Il me semble que le plus vieux au moins (Tancred ?) pourrait ptêtre laisser percevoir au lecteur plus de signes de son état. Mais enfin, c'est moi :D
Et de la même manière : au début, "pendant dix bonnes minutes", je trouve que c'est pas tout à fait assez efficace pour montrer à quel point ça a dû leur paraître interminable..
Voilà ! J'ai hâte de lire la suite :D
Je vois ce que tu veux dire, mais justement, j'espérais qu'on sente l'angoisse. Pas assez à ton goût apparemment. C'est vrai que j'ai montré l'angoisse des autres, mais pas forcément celle de Tancred dont c'est le point de vue. J'ai peut-être un truc à faire là-dessus, en effet.
Et je prends ta suggestion pour les "dix minutes" : tu as raison, je pourrais mettre un superlatif qui transmette plus de pression !
La suite arrive ;) Merci pour ta lecture assidue et tes commentaires très utiles ! ♥