Des kilomètres
Au bout d’un quart d’heure à progresser en grelottant, ils parvinrent à un angle.
– Ah ! On va peut-être savoir où on est, dit Oxan avec un entrain qu’elle-même ne trouva pas très convaincant.
Mais lorsqu’ils eurent passé le coin, elle comprit que ce n’était pas pour tout de suite : vaguement plus lumineux que le précédent, un nouveau corridor se prolongeait à perte de vue sur plusieurs centaines de mètres. Une vague de peur noua le ventre de l’adolescente qui sentit son menton trembler. Puis son regard tomba sur son frère ; les paupières en suractivité, il avalait frénétiquement sa salive comme si sa gorge était coincée. Admirant son effort pour ne pas craquer, elle suivit son exemple et chassa sa détresse en même temps que la mèche qui lui tombait devant les yeux. Elle parvint à l’encourager d’un sourire.
Le décor déprimant était rigoureusement le même depuis leur point de départ. Les parois vert-de-gris rencontraient le sol en métal terni. Seules quelques taches de rouille rompaient l’uniformité. Une odeur ferreuse écœurante baignait l’atmosphère. Les enfants n’entendaient pas un bruit, sauf l’écho de leurs pas. Et aucune trace de vie humaine ne venait croiser leur regard.
– C’est tellement grand... souffla Calixt dont les lèvres tournaient au violet.
– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Tan en frottant ses mains l’une contre l’autre.
– Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, crétin ? rétorqua Ulys que ses claquements de dents n’empêchaient pas d’être acerbe. Il faut suivre ce couloir.
– On va y arriver, encouragea Oxan tandis que Tan décochait une tape sur l’arrière du crâne de son frère.
Ils continuèrent en silence pendant quelques minutes, puis la voix de Teddy s’éleva :
– Ils sont restés sur l’autre navette, les parents…
Ce n’était pas une question, mais plutôt une remarque qu’il devait retourner dans sa tête depuis qu’ils s’étaient mis en marche. D’ailleurs, la phrase était probablement plus destinée à lui-même qu’aux autres. Personne ne répondit, mais Oxan sentit une larme couler sur sa joue. Elle l’essuya aussitôt.
***
Il fallut encore une demi-heure à atteindre un nouveau croisement. Ils avaient dépassé de gigantesques portes de hangar portant chacune un numéro, mais ça ne leur avait donné aucune indication, excepté qu’ils avaient embarqué sur un cargo de transport de marchandises. Probablement celui qu’ils avaient vu en approchant du Firebird.
À ce carrefour, ils trouvèrent un vieux plan affiché à hauteur d’homme. Le vaisseau avait la forme d’un œuf très étiré, plus large à l’arrière. Malheureusement, leur position actuelle n’était pas précisée et les inscriptions s’étaient effacées depuis longtemps. Impossible de s’orienter.
– C’est immense… souffla Oxan. Il y a au moins une centaine de ces hangars. Ce cargo doit faire plusieurs kilomètres de long, comment on va trouver les gens ?
Personne ne répondit à sa question, mais Teddy murmura dans le silence :
– Y a peut-être personne du tout…
Oxan sentit son ventre se nouer.
– Vous pensez que c’est possible ? demanda-t-elle les yeux ronds.
– Un vaisseau fantôme ? Du genre abandonné par l’équipage ? dit Ulys.
– Non, ça, j’y crois pas, trancha Tancred. Il n’aurait pas décollé de l’astroport. Mais peut-être un véhicule autonome ou guidé à distance. Je sais que ça existe pour des transports planétaires. Mais sur des intersystèmes… aucune idée.
– Tu veux dire qu’on se crève peut-être pour rien et qu’il y a personne à trouver ? s’exclama Oxan malgré ses lèvres gelées.
– Réfléchis un peu avant de parler, Ox, ironisa Ulys. Ce serait pas le pire des problèmes, si c’est vrai…
Toute l’ampleur de cette hypothèse apparut brutalement dans l’esprit de l’adolescente. S’il n’y avait pas âme qui vive à bord, non seulement aucun adulte ne pourrait les aider, mais ils ne trouveraient pas non plus de provisions ! Peut-être même pas de réserve d’eau ni de zone chauffée. Et eux, coincés là-dedans pour une durée indéfinie, ils allaient mourir de froid, de soif et de faim !
Sa gorge se serra tandis que son estomac émettait un long gargouillis. Teddy, secoué de tremblements, se laissa glisser sur le sol.
– Je suis gelé, sanglotait-il. J’en ai marre de marcher. Et je veux Papa et Maman…
Calixt craqua lui aussi. Pleurant à grosses larmes silencieuses, il s’agenouilla près de son cousin et l’entoura de ses bras. Tancred s’accroupit devant eux et s’efforça de les remettre debout par des encouragements, mais Oxan percevait le tremblement dans sa voix. Elle-même se sentait bien petite.
– Et là, c’est quoi, à votre avis ? demanda soudain Ulys qui sautillait sur place devant le plan à demi-effacé. Les salles ont l’air beaucoup moins grandes que les hangars. C’est peut-être une zone de vie ?
– C’est possible, répondit Tancred qui s’approcha en frottant ses bras gelés. Mais comment on la rejoint, si on ne sait même pas où on est ?
– Ah… oui.
La lueur d’espoir dans les yeux d’Ulys s’éteignit.
Si même lui, il craque, pensa Oxan, on y arrivera jamais !
Ce fut comme un coup de fouet. Elle frappa dans ses mains en redressant les épaules.
– Teddy, Calixt, debout ! Allons par-là, ordonna-t-elle en indiquant la direction qui lui semblait la plus logique, sans qu’elle sache trop pourquoi. Et si on ne trouve personne, on fera demi-tour pour continuer à chercher ! Je suis sûre qu’il y a quelqu’un sur ce cargo !
Sa résolution fut assez contagieuse pour que les quatre garçons suivent son exemple. Pourtant, en plus de la sensation de froid, elle avait mal aux pieds et la fatigue lui tirait le dos. Les autres devaient souffrir aussi — même Dragon avançait beaucoup plus lentement —, mais ils continuèrent en serrant la mâchoire.
J'aime bien Oxan, son pdv m'a permis de bien l'identifier et de commencer à percevoir son caractère et sa place dans le groupe. Je trouve que l'introspection fonctionne bien et le fait qu'elle prenne le rôle de meneuse est amené tout en naturel et en finesse. J'espère que les prochains pdvs des garçons permettront de mieux les identifier, je ne m'inquiète pas trop pour ça^^
Les chapitres courts aident à jouer sur ce sentiment assez oppressant vu qu'on
a les différents pdv des enfants.
Les différentes hypothèses qu'ils émettent à l'oral (vaisseau téléguidé à distance et cie) sont assez inquiétantes mais mon petit doigt me dit qu'ils vont pas tarder à rencontrer quelqu'un. Je verrai si mon intuition se confirme.
Mes remarques :
"Une vague de peur noua le ventre de l’adolescente qui sentit son menton trembler." je trouve la tournure trop alambiquée, je pense que tu peux simplifier
"Il fallut encore une demi-heure à atteindre un nouveau croisement." -> pour ?
Un plaisir,
A bientôt !
Je te laisse découvrir s'ils rencontrent des humains sur le cargo (tu seras fixé bientôt).
Merci pour ta lecture et tes retours !
Bon, encore des réflexions en tenant compte du fait que le texte est déjà très abouti et parfaitement convaincant... je suis donc juste dans la réflexion "d'enrichissement", à ce stade (et pas dans la "critique").
Au début de la scène : pour la logique, il devrait quand même y avoir un décor, un aménagement fonctionnel. Son absence peut être vue comme une facilité et nuit un peu à la consistance, il me semble. Si on est dans une zone de chargement et de stockage, ça devrait se voir partout. On n'imagine pas que, même dans un très grand vaisseau, l'espace ne soit pas utilisé de manière judicieuse.
Je reviens à "The Expanse", mais vraiment, c'est une œuvre exemplaire et très inspirante en matière de space-opera – ce qui n'est pas forcément étonnant vu que toute une équipe travaille avec les deux auteurs –, les containers sont stockés empilés dans de gigantesques soutes sans atmosphère respirable (parce que ça coûte cher, mais ceux qui en ont besoin ont des modules atmosphériques internes) et manipulés à distance par des bras types grues.
En y réfléchissant, il serait plus logique - simple exemple - que tes petits héros se baladent dans une coursive vitrée, donnant sur un vaste espace de stockage, et comportant des panneaux de commande à intervalles réguliers. Ou au moins, un couloir type "garde-meuble" en beaucoup plus grand, avec de hautes portes coulissantes, etc.
Ça ne prend pas plus de deux trois-phrases à mettre en place, en fait 😉
(Et honnêtement, je ne sais pas si c'est vraiment une bonne tactique de ne pas lire de science-fiction "pour éviter les clichés", dans la mesure où la technique y est forcément partout - du moins dans le space-opera... savoir ce que les autres font pour donner de la matérialité à ces vaisseaux imaginaires, pour les rendre plus vraisemblables, ne veut pas dire que tu vas automatiquement les copier).
J'aime bien la dynamique du groupe; chacun a des réactions propres à son âge/sa personnalité. Même les grands ne sont pas insensibles au stress (ex: Tancred - j'adore son nom oh là là). Quant à Ulys, s'énerver est sans doute sa manière de canaliser ses inquiétudes. Et lui aussi d'ailleurs finit par craquer !
J'apprécie ces chapitres courts et dynamiques; on ne s'ennuie pas et on veut tout de suite la suite! Je ne sais pas ce que les enfants découvriront dans ce vaisseau mais ça promet ! Et tu ouvres un premier mystère avec ces chambres qui pourraient être des zones habitées... ou pas !
"sentit son menton trembler" -> encore du chipotage, mais j'aurais plutôt mis quelque chose comme "son menton trembla" ici pour le rendre plus immersif et pour suivre la tendance de ce qui précède.
à bientôt ! Je vois que tu as posté pleiiiin de chapitres, je vais essayer d'avancer plus vite en te lisant dans le train ^^
J'ai posté plein de chapitres parce que comme c'est de la réécriture, je vais assez vite. J'en ai même encore plein de prêts. D'ailleurs, j'ai terminé de réécrire ce qui existait déjà et là, il faut que je me lance dans la partie qui n'a jamais été écrite... ce qui me stresse à fond !
Merci pour ta lecture et tes commentaires !
Tant mieux si le rythme convient. Comme je te le disais, je ne suis pas habituée aux chapitres courts (dans ma saga Les Princes liés, j'ai des chapitres qui font jusqu'à 7k mots O_o) alors je tâtonne. N'hésite pas à me dire si ça fonctionne toujours par la suite.
Merci pour ta lecture et tes commentaires !
Ca fait deux courts chapitres, mais ce n’est pas mal de les avoir distingués, car il y a une évolution dans l’ambiance entre les deux.
Oui, à partir de là, je pense que les personnalités des enfants sont plus distinctes. Bon, j'ai peut-être bien fait de séparer les points de vue sous forme de chapitres, alors !
J'ai vu le double post, oui : une petite bizarrerie de FPA... Pas grave !
Merci pour le comm encourageant !
Je t'avertis j'ai pas grand-chose à dire. J'aime l'idée de départ en tout cas, groupe d'enfants catapultés dans l'espace. De là les possibilités me semblent infinies, je sais pas du tout où ça s'en va, mais le suspense fonctionne super bien ! Je pense que je commence à bien apprendre qui est qui.
Et puis j'ai assez bien senti la panique ici :D
À très vite !
Et c'est une bonne remarque : ça peut déboucher sur des possibilités vraiment très variées et nombreuses ! D'ailleurs, l'idée de départ était de faire une série, pour exploiter plusieurs possibilités. Mais je vais déjà essayer de finir ce tome-là et de lui donner une forme de one-shot qui puisse éventuellement donner lieu à une suite, plutôt que me lancer d'entrée de jeu dans une saga de 24 tomes XD Déjà que certaines ME m'ont refusé les Princes liés pour le seul argument d'être un diptyque...
Tant mieux si tu as senti l'angoisse des enfants et le suspense ! Et je suis ravie que tu commences à repérer les personnages.
Merci pour ton assiduité et pour ce nouveau commentaire !
"Mais comment on la rejoint, si on ne sait même pas où nous sommes ?" : le "nous sommes" me paraît trop littéraire, surtout pour un enfant, et d'autant que le sujet du reste de la phrase reste "on"
A très vite !
Oxan n'est pas forcément la plus adulte sur tous les plans, mais c'est celle qui parvient, dans les situations de stress, à prendre le plus de recul. Ou en tout cas, à mettre ses propres peurs de côté pour le bien commun. Et effectivement, Teddy est, par opposition, la voix "brutes", sans filtres.
Bien noté pour le "nous sommes", tu as raison.
Merci pour ton retour, A+