Un croquis au crayon, pointe de graphite noir sur le blanc du papier
Noir et blanc.
Les lèvres pleines sourient, les yeux pétillent. Quelque chose ne va pas. Elle n’est pas là.
Des couleurs ?
Il prend ses pinceaux. La palette, l’eau, déposer les pigments.
Recommencer.
Tailler de la pointe du couteau l’ovale délicat de son visage, les nuances sombres de son teint sur le métal terni de l’outil, et les ailes de son nez et l’amande de ses yeux
Un soupçon de rouge sanguin sur ses joues, pour rehausser son teint de sienne
Appliquer la dernière couche du vernis acrylique, le pinceau souple caressant sa peau avec toute la douceur d’un amant
Elle a cette même beauté sulfureuse que les roses noires d’Halfeti – leur rouge profond, rouge-velours, une robe de bordeaux dans sa flûte de cristal. Maintenant le soleil se perd sur les couleurs, accroche la lueur au fond des yeux, l’ourlé d’un sourire. Ainsi, le temps n’aura plus de prise sur elle et sa beauté. Elle sera parfaite, idéale, idéelle. Elle sera sienne.
Comme une rose figée dans la résine
Fixer sa vie dans les ombres et les lumières, dans le noir intense de ses cheveux et le blanc de ses dents et le rouge de ses joues et
Elle sera éternelle.
Non
Plus de couleurs.
L’ombre de la lumière et la clarté du noir, et la vie entre deux, entre ces impossibles couleurs, absence et plénitude, la vie entre deux néants. Voilà qui fonctionnera.
Plus de rouge, plus de jaune et plus de bleu, nul besoin de trinité, seulement de contraires. Un dernier éclat carmin et des touches d’aquarelle indigo sur ses bras à lui alors qu’il jette pinceau et couteau
Il la regarde.
Roses noires en roses rouges, s’ouvrent leurs corolles écarlates
Ivoire dans une rivière de rubis, s’écoule en flots tranquilles
Une déchirure sur la toile.
Ça se répare. Un linge humide, nettoyer.
Recommencer.
Sa peau avait la couleur des chemins après la pluie, de l’humus odorant enfoui sous la mousse, de la vie qui murmure et qui grandit en silence. Ses yeux avaient l’exacte teinte des lucioles dansant devant le monde quand on a regardé trop longtemps le soleil.
Sombre comme les vins les plus forts, comme les tons riches des truffes et de la viande.
Sombre comme le manteau d’une nuit d’été, chaud et accueillant.
Sombre comme le velours d’un boudoir, l’ombre timide d’une alcôve où se réfugier et s’aimer.
Maintenant elle sera noire.
Les contrastes mordent, lumière et ombres, les aplats noirs se découpent cruellement contre un blanc aveuglant.
Lui découpe ce qu’elle était, noir et blanc, noir sur blanc, entre deux extrêmes peut-être qu’elle vivra.
Noir, et blanc
Comme le papier, comme sa toile toujours vierge
Blanc comme la glace et la neige, comme le gel qui mord dans le vert tendre des bourgeons et
Blanc comme l’os, comme des crocs luisants, comme ses yeux révulsés et l’écume au coin de sa bouche alors que
Blanc comme ces champignons blafards qui profilèrent loin de la lumière, en colonies serrées dans la pierre humide, dans l’odeur d’un air immobile, se nourrissant de
Noir et blanc.
Blanc et noir.
Blanc.
Et noir.
Et que fleurisse le rouge.