The Dark Tower of Abyss - Rhapsody (of fire)

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/8Wu8xdaE1a0

J’avais 15 ans. Je venais tout juste de découvrir la vie de lycéen en suivant ma sœur dans le même établissement tous les matins. Nous n’avions qu’un an d’écart, ce qui avait rendu habituel le fait que l’on se talonne durant tout le trajet. Notre père nous amenait le matin, et nous prenions le bus le soir. Quand l’un de nous deux finissait avant l’autre, il arrivait que l’on s’attende une heure pour rentrer ensemble.

 

Pendant tout le collège, ma sœur avait fait semblant de ne pas me connaître. J’avais bien compris qu’elle avait honte de moi. Elle voulait être la grande, traîner avec les gens de son âge, et ne surtout pas avoir un boulet entre les pattes. La rupture avait été brutale et inconcevable pour moi qui avais toujours tout fait comme elle. On s’habillait de la même manière, on jouait aux mêmes jeux, on faisait les mêmes activités. Puis, rapidement, elle s’était débarrassée de moi en me hurlant qu’elle ne m’avait jamais aimé, qu’elle aurait préféré que je ne sois pas là. Ses colères étaient cruelles. Alors, j’ai passé mon temps à la regarder. Je la regardais manger, je la regardais jouer. Je n’osais plus vraiment l’approcher, et pourtant, j’espérais qu’un jour, elle revienne vers moi. Et elle revint, un jour où je ne l’espérais plus.

 

C’était ma première rupture amoureuse, elle avait été suffisamment difficile pour que ma mère m’emmène voir une psychologue. Pendant le premier mois de ma vie de lycéen, je n’avais que ce garçon pour toute compagnie. Mais lui s’était fait de nouveaux amis, de nouvelles connaissances ; il avait évolué, et par la force des choses, m’avait mis de côté. Je suis retourné au point de départ : moqué, humilié, harcelé, seul. Il n’y avait plus personne pour enlever mon casque, plus personne d’autre que ma musique à écouter. C’est là qu’elle est revenue. Je pense qu’elle avait grandi, et qu’elle avait compris que l’heure était trop grave pour continuer nos guerres d’enfants.

 

Dès lors, les trajets et les épreuves se firent ensemble. Elle me partagea ses amis, partagea ses blagues, partagea ses dessins, ses histoires, ses rêves et ses musiques. Je n’avais pas tant à donner en retour, mais je fis de mon mieux. On animait les discussions sur les bancs du bus, on s’extasiait sur le beau ciel qui illuminait la campagne. On partageait un goûter sous la musique country qui résonnait dans toute la maison une fois rentré. Le matin, on se suivait jusqu’à l’heure des cours, même si cela signifiait attendre avec elle un papier au secrétariat entouré de gens qui ne savaient que se moquer de moi. Je laissais alors mon casque sur les oreilles, en ambiance sonore. Je faisais comme si j’étais dans un film ou une série américaine, où le jeune homme harcelé devient la grande star de son lycée, et où ceux qui l’ont persécuté finissent toujours par le regretter. Je me redonnais courage en rendant ma propre vie lyrique et romantique, transformant le monde en une fiction dithyrambique. C’est ainsi que « Rhapsody of Fire » a marqué mon adolescence.

 

Je passais mon temps à en parler à ma sœur, même si elle n’entendait pas ce que j’entendais. Peut-être que leurs guitares me faisaient parler plus fort. Mais « The Dark Tower of Abyss » incarnait tout ce dont je rêvais. Cette musique classique, dont j’entendais les références baroques à Vivaldi ou peut-être à Rameau, exploitant l’orchestre symphonique, cette intensité inimitable et qui se mélangeait avec brio au métal et leurs pulsions dévastatrices. La sombre tour des abysses était une pièce incomparable à une autre, longue, complexe, mais envoûtante. Elle faisait battre mon cœur plus vite comme si j’étais ce guerrier largement cité dans leurs albums et qui combattait à dos de dragon. Et pourtant, j’étais juste un gamin se cachant des insultes derrière le dos de sa sœur, cherchant à récupérer un papier de convocation pour une épreuve anticipée du bac. Il n’y avait rien d’exceptionnel dans ce quotidien.

 

« The Dark Tower of Abyss » est une sorte de carrefour entre la musique classique, le lyrisme de l’opéra, les musiques de film et les grandes fictions de fantasy qui me faisaient vibrer depuis que je savais lire. Moi qui avais dévoré la saga Eragon en de nombreuses nuits blanches à leur sortie, moi qui, tout mon collège, avait passé mon temps dans les rayons de science-fiction et de merveilleux, n’arrivant pas à faire durer un livre plus de deux semaines sans devoir en changer, et qui en empruntait tellement qu’il fallait presque que la documentaliste me fasse un passe-droit privilégié, absolument tout en Rhapsody me parlait dans l’esprit et l’intensité, aussi banal que soit l’instant dans lequel je l’écoutais. La voix du chanteur, l’éclat des instruments électriques, la force des violons, la puissance des chœurs, tout en elle me transcendait mon quotidien, me donnait un courage invisible. En compagnie de ma sœur, on inventait des histoires et on essayait de théoriser la magie, mais surtout, même dans les couloirs d’un lycée plus ou moins propre, on devenait des héros dont le chanteur faisait les louanges. Pas besoin de comprendre les paroles pour se sentir concerné.

 

« The Dark Tower of Abyss » est longue, ce qui justifie de s’y plonger plus profondément encore. Ainsi, même après le harcèlement et le lycée, c’est toujours elle que je lançais dans l’espoir de retrouver des sentiments perdus. C’était elle qui me permettait de marcher jusqu’au conservatoire quand la peur et le froid se faisaient fort. C’était elle qui m’accompagnait avant de passer des épreuves, des examens ou des concours. C’était elle qui a guidé ma marche, bien plus tard, alors que j’allais le rencontrer pour la première fois. Et peut-être que sans elle, sans Rhapsody of Fire, j’aurai fait demi-tour. Leurs histoires sont oniriques, romancées et loin de nous, mais leur ambition transcende notre réalité et donne de quoi avancer, de quoi affronter ou de quoi tendre la main vers l’autre.

 

Malgré tout, une question me reste en tête à présent que je prends du recul. Je lui en parlais tant à ma sœur, de cette musique qui me faisait rêver et élevait mon cœur dans les airs. Mais est-ce que je lui ai déjà fait écouter ? Est-ce qu’elle a pu expérimenter ce qui est devenu pour moi un petit éclat de vaillance ou est-ce qu’elle n’a pu m’entendre qu’en parler en se satisfaisant de me voir sourire ? Si c’est le cas, sache-le, je suis désolé. Mais crois-moi, ça vaut le coup de l’écouter. On va enfin pouvoir voyager ensemble.

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Cora Elzéar
Posté le 07/01/2022
J’ai lu ton texte avec le morceau.
Et j’adore ce type d’ambiance musicale qui me fait penser à l’album Jeanne d’Arc de Thy Majestie (découvert en faisant des recherche sur le personnage historique !). L’album raconte la vie de Jeanne d’arc sur fond de métal symphonique !
J’espère que ta soeur a pu écouter ce morceau à ce jour. La musique est un bon moyen de s’isoler en temps difficile. J’ai quelques moreaux aussi qui me rappellent les trajets de bus et me mettaient du baume au choeur avant les cours. Le morceau est terminé, je l’enregistre pour le réécouter !
Pouiny
Posté le 09/01/2022
Je connaissais pas du tout cet album, j'irai voir quand je pourrai ^^ le projet est ambitieux en tout cas, mais ça m'étonne pas du tout qu'il existe dans le genre du metal symphonique, c'est un style de musique ou y a les projets les plus fous et c'est ce que j'adore x)

Je pense que depuis qu'il existe des walkman facilement accessible on a tous des souvenirs et des musiques associées à des trajets ^^ C'est aussi pour ça que je tenais à écrire ce genre de moment qui peuvent paraître ne pas être intéressant de loin mais qui sont pourtant récurrent dans la vie de tout le monde.. je sais pas si je suis clair !

Content de t'avoir fait découvrir Rhapsody of fire c'est je pense mon groupe préféré en metal symphonique !
Cora Elzéar
Posté le 10/01/2022
Depuis mon dernier message, j’ai écouté plus en détail ce groupe et j’aime vraiment. Le métal symphonique est le style que je préfère au sein de la grande catégorie métal mais pas ce que j’écoute le plus. En tout cas, ça plait aussi à mon partenaire qui adhère beaucoup plus à cette découverte plus que la précédente qui m’a ouvert le monde de la Techno… J’aime les grands écarts musicaux !
Pouiny
Posté le 11/01/2022
Ahah, désolé pour ton copain ! x)
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