Toupie, voyage

Par Svenor
Notes de l’auteur : Les paroles retranscrites dans cette nouvelle sont issues de plusieurs chansons du groupe "Opéra de nuit".

Pour ce qui est de "La Toupie", c'est un lieu qu'on trouve dans le roman "Jules, les beaux demains..." de Régis Pasquet. C'est un roman jeunesse très sympa et très idéaliste qui fait beaucoup de bien, et j'ai toujours voulu écrire sur ce lieu. On pourrait considérer cette nouvelle comme une fanfiction du coup !

P.S. : Dans le roman de Régis Pasquet, le terme "La Toupie" est un anagramme de Utopie.

— Tu sais Sarah... T’as bien fait finalement.

Je le regarde sans comprendre où il veut en venir. Obligée de lever la tête, je vois ses cheveux noirs ondulés se fondre dans l’immensité du ciel étoilé. Son regard est insondable, lointain. Unique. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme lui, aussi déterminé, aussi inconscient... Aussi brut et inaltérable.

Une musique froide coulait, s’étirait de la voiture en contrebas. Une ligne de basse qui prend aux tripes et du synthé, du synthé et encore du synthé. Puis une voix, traînante, lancinante.

 

« Dernier souvenir

Mon cri s’étire dans le silence »

 

— Je ne pensais pas partir dans un voyage comme ça un jour. Merci.

Il tourne vers moi un visage illuminant de reconnaissance en parlant. Je m’apprête à répondre mais je vois son regard dans le vide. Il est plongé dans ses pensées, il ne m’a pas dit tout ce qu’il voulait me dire.

 

« La lune rousse éclaire ton corps

Le noir du ciel comme éther »

 

— Je ne serais jamais parti seul. C’est plutôt simple en fait, tu as bousculé ma vie, sans même le faire exprès et tu étais là pour m’aider à me remettre sur mes pieds. Je ne serais jamais parti sans toi. Je serais resté dans mon école minable à étudier l’ingénierie et la gestion. Et le pire dans tout ça, c’est que ça ne me déplairait même pas ! C’est là qu’est toute la différence, ma vie ne me déplaisait pas avant notre rencontre. Mais maintenant, elle me plaît, et je ne veux pas perdre cette sensation de pouvoir. Pouvoir faire ce que je veux, pouvoir décider des prochaines minutes de mon existence sans penser aux milles choses qui me retenaient chez moi ou à l’école. Peut-être que c’est ça, vivre ?

Il me regarde les yeux riants et continue son discours :

— Je ne vais pas être niais inutilement, ce n’est pas ta présence qui a changé ma vie, c’est notre rencontre, et je ne te remercierais jamais assez pour ça. Comme dirait mon père, « Sarah, heureusement que t’es là sinon l’autre con serait encore à se morfondre dans son coin ! »

Je souris avec lui à son imitation. Mon cœur bat à l’unisson avec la musique, la basse fait trembler mon corps. J’ai envie que cette soirée dure éternellement.

— Je sais ce que tu veux dire, Tim. Je ressens la même chose, dans une moindre mesure on va dire. Disons que quand on est une fille, on ressent le besoin de s’affirmer plus tôt, ou peut-être est-ce juste moi.

Je me tais, laissant mes doigts frapper silencieusement la souche sur laquelle je suis assise au rythme de la musique. Tim, lui, porte sa cigarette à sa bouche et observe le paysage. Partout, des monts et des vaux se dévoilent à nos regards quand la lune s’extirpe du nuage qui la cachait. Et des bois et rivières les couvrent et les recouvrent d’un drap vert sombre sous cette lumière féerique.

Au loin, la Toupie attire nos regards. Illuminante d’obscurité et de non-dits, d’imaginaire ou de rêves inachevés. C’est là que nous allons. Tim a emprunté la vieille voiture de son grand-père, moi j’ai préparé notre voyage. Il n’y a pas eu plus d’une semaine entre notre décision et notre départ, notre détermination aura suffi à convaincre nos proches que ce n’était pas qu’une idée en l’air.

Et finalement, après six heures de route, nous étions presque arrivés.

— Dis-moi, comment as-tu appris l’existence de la Toupie ? Nous n’avons croisé personne qui connaissait cet endroit depuis que nous sommes partis.

Il répondit presque immédiatement :

— En terminale, notre prof de philo nous avait parlé d’un livre, et dans ce livre, il y avait un village appelé la Toupie. C’était une bonne prof, j’adorais son cours, soupira-t-il en fumant une taffe.

Des formes éthérées s’élevaient de sa bouche et disparaissaient dans l’air lourd de l’été.

— Et puis, des années plus tard, j’ai fait des recherches sur ça. Dans le livre, c’était un lieu fictif, imaginé, une utopie quoi. Et il semblerait que des gens aient voulu reproduire ça. C’était comme si un rêve devenait réalité, quand je l’ai découvert. J’ai tout de suite eu envie d’y aller, mais je n’ai jamais envisagé d’y partir. C’était complètement inconcevable d’abandonner mes études, ma famille et mes amis à cette époque pour moi. Et je crois que c’est à peu près à cette période là qu’on s’est croisés pour la première fois.

— Tu te souviens ? dis-je avec un sourire en coin. Notre rencontre, précisè-je.

— Oui... répondit-il en baissant la tête, honteux.

— Un matin dans un amphi de fac de science. T’étais venu pour promouvoir ton école, c’est ça ? dis-je en commençant à rire. Et tu t’arrêtes en plein milieu de ta présentation en croisant le regarde de Manon.

Je ris aux éclats en me souvenant de ce moment et il finit par me rejoindre presque contre son gré.

— Tu sais, elle est venue me voir à la fin pour que je lui dise ce qu’elle devait faire. Et puis au final, elle n’a pas eu le courage d’aller te voir. Elle m’a suppliée, quasiment à genou pour que j’y aille à sa place, souris-je en repensant à ce souvenir.

— Finalement, c’était pas plus mal comme ça, sourit-il avec moi. J’ai appris à la connaître, et je suis définitivement amoureux d’elle.

— De même pour elle, glissè-je discrètement.

— Je sais, mais au final, c’est avec toi que je suis parti.

— À ta décharge, je ne vois vraiment pas Manon partir pour un endroit comme la Toupie.

 

« Plus de place pour les souvenirs

Mais il faut que le soir

Je les fasse venir »

 

— Tu sais quoi ? On ferait mieux d’aller dormir, dis-je en me levant. Si on veut arriver là-bas avant midi, il faut qu’on parte tôt demain.

— Vas-y, je te rejoins plus tard. Je vais rester écouter la musique encore un peu.

J’acquiesce et me lève pour aller vers la tente. Une fois au chaud dans mon sac de couchage, je passe une tête au dehors.

Adossé à son arbre, il a les yeux perdus dans le vide et le visage éclairé par la lune, détendu.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Shangaï
Posté le 18/06/2020
Encore un petit instant volé ente deux personnes ! Tu fais vraiment cela très bien.
Ici je n'ai cependant pas vraiment cerné la relation entre les deux personnages...
Mais j'aime leur idée de partir vivre à deux dans une petit bulle utopique !
Svenor
Posté le 18/06/2020
Merci ! Je me suis dit que parler de leur amie commun permettrait d'éclaircir leurs relations. Ils sont meilleurs amis, et c'est quelque chose que j'ai eu beaucoup de mal à faire transparaître. Je voulais insister sur l'idée qu'ils s'aiment d'un amour extrêmement fort, sans être romantique, et c'est pour ça que j'ai introduit Manon dans le texte, mais peut-être qu'il faudrait effectivement que je change un peu cette partie là.
LianeSilwen
Posté le 18/06/2020
Hello :)

Encore une fois quelques belles trouvailles parsèment ton texte (par ex. « Je n’ai jamais ... intaltérable », j’aime beaucoup cette phrase). Par contre je l’ai trouvé moins « construit » que les précédents, il y a plus de répétitions, de participes présents qui heurtent un peu au début j’ai trouvé, et certaines phrases m’ont paru un peu difficiles à la lecture, comme si tu hésitais encore entre plusieurs idées...
L’ambiance est très sympa, c’est vraiment agréable ces tranches de vie, pourtant d’habitude je ne suis pas fan, là je lis ça facilement :)

bonne écriture pour la suite :)
Svenor
Posté le 18/06/2020
Oui, je le trouve moi aussi "plus faible" que les autres textes, je pense que ça vient du fait que son écriture s'est étendue sur assez longtemps (il a du se passer 1 ou 2 mois entre le début et la fin, contre 1 semaines à quelques heures pour les nouvelles précédentes).
Peut-être qu'une réécriture gommera cette impression (je l'espère en tout cas)
LianeSilwen
Posté le 18/06/2020
Effectivement sur les textes courts comme ça quand on écrit sur un long moment ça complique je trouve. Ca m'est déjà arrivé aussi. Bon courage :)
Vous lisez