Tous les hommes sont frères

Par Elore
Notes de l’auteur : CW : hôpital.

Tout a été chaotique, tout a été très vite. J’ai hurlé son nom avant de me précipiter vers lui, tenter de le soutenir de mon mieux. C’est Jezebel qui a récupéré le téléphone et a appelé Face, pendant que j’amenais Hakeem vers un canapé de velours bleu qu’il allait sans doute pourrir, tant pis. Autour de nous, Tamiko et Mina tentaient d’aider Hakeem, lui faire un garrot pendant que je l’appelais, triturais son visage pour qu’il reste conscient.

Hope et Jezebel nous ont rejoints presque simultanément. Jezebel a parlé la première :

- J’ai appelé une ambulance, ils arrivent.

- J’ai parlé à Gregers, il ignore comment Dolcett est arrivé ici.

Jezebel lui a répondu par un sourire étrange.

- Ça lui passera le goût de notre vie, j’imagine.

- C’est pas le moment, putain !!

J’étais en train de chialer mais je m’en foutais : peu importe à quel point j’avais l’air pathétique, je voulais juste que les secours arrivent et que le visage de mon frère reprenne des couleurs.

 

L’espace d’un instant, toute ma rancune s’était envolée.

Je ne pensais pas que ce serait possible.

 

***

 

On évitait les hôpitaux, d’habitude, mais là on avait pas le choix. Au téléphone avec Face, je répondais aux questions les plus urgentes tout en esquivant toutes celles qui nous convenaient pas. Hakeem devait recevoir des soins d’urgence, mais rien de plus sinon on risquait de s’empêtrer dans des emmerdes trop grandes. À l’autre bout du fil, le boss a tenté de me rassurer : rien n’était impossible avec notre fric.

C’était difficile, de l’écouter à moitié.

 

Je me suis retrouvée à attendre dans un couloir, seule avec Hope qui ne me lâchait plus. Les autres arriveraient plus tard.

- Tu crois qu’il va s’en sortir ?

J’étais sûre de morver comme une enfant, et ça ne me dérangeait pas. Hope a hoché la tête avec vigueur.

- Bien sûr, ma belle.

Dans ses yeux, j’ai cherché l’assurance que je n’avais pas. Une fois de plus, elle m’a entourée de ses bras et ne m’a plus lâchée, murmurant des choses rassurantes à mon oreille. Hakeem avait déjà vécu ça, il n’y avait pas de raisons qu’il ne s’en sorte pas, il était fort, on allait pas les laisser s’en tirer comme ça. Et alors que j’attendais, que mes pensées étaient parasitées par l’angoisse, je me accrochée à cette phrase comme un mantra : on allait pas les laisser s’en tirer comme ça.

 

Le temps s’est écoulé, capricieux et élastique. Il s’est passé plusieurs choses, séparées par des minutes que je ne parvenais pas à compter. Gold nous a rejoint, puis ça a été le tour d’un type en blouse blanche. Le couperet est tombé : Hakeem avait été grièvement blessé mais devrait s’en sortir avec beaucoup de repos.

D’une voix trop tremblante à mon goût, j’ai demandé à le voir. Le doc a eu l’air d’hésiter, mais il a finalement accepté. Peut-être parce que j’étais la sœur du patient ou parce que je lui faisais pitié. Peu importait, j’ai été la seule à pouvoir le suivre le long d’un couloir clinique, éclairé aux néons. La main sur la poignée, il s’est adressé à moi d’une voix grave :

- Vous ne pourrez pas lui parler longtemps, il a de la peine à rester éveillé.

J’ai hoché la tête, suis rentrée.

 

J’avais jamais vu Hakeem dans un état pareil, étalé entre les draps, le visage vidé de couleurs. En me voyant, il a vaguement levé la main et m’a adressé un sourire squi m’a donné envie de le frapper.

- ... yo.

- C’est tout ce que tu trouves à dire ?

J’ai parlé si fort, ça devait être les nerfs. Il a haussé les sourcils alors que je m’approchais, m’asseyais sur son lit. Je détestais cet endroit, je détestais l’état dans lequel cette histoire me mettait.

Hakeem a voulu se redresser, mais a vite capitulé. Plus doucement, il a repris :

- Je vois pas trop quoi dire d’autre. J’ai pas fait exprès de me faire planter, tu sais.

J’ai ricané, d’un rire avec un sanglot à l’intérieur. D’un coup, les larmes ont pris toute la place et j’ai tenté de les cacher de mon poing. La main de mon frère a saisi la mienne, j’ai senti à quelle point sa peau était froide. Et à travers mes émotions qui débordaient, j’entendais que sa voix tremblait aussi :

- Raïra... je suis désolé. Pas que pour ce soir... pour tout.

Je ne disais rien, occupée à réprimer la tristesse qui menaçait de m’emporter comme la pire des vagues. Et il continuait, ce salopard, de sa voix d’enfant faiblard il s’excusait enfin.

Je pense que, quelque part, j’avais attendu ça depuis très longtemps, pourtant je ne m’en suis pas sentie soulagée. Au contraire, une réalisation m’a frappée, ouvrant comme un creux entre mes poumons : ça ne réparait rien, ça ne réparerait plus jamais rien. Ça n’apaiserait pas ce que j’avais vécu, ça ne me rendrait pas ma vie, mes nuits sans cauchemars, les amis que j’avais perdus. Et même si la responsabilité était partagée, c’était plus facile sur le moment de le détester.

Malgré sa prise sur ma main, le fait que je serrais à mon tour si fort.

J’étais incapable de lui répondre.

 

Les secondes ont passé, lourdes comme du plomb. Hakeem a fini par reprendre la parole, d’une voix frêle :

- Je suis une ordure, mais je peux encore faire quelque chose de bien, Raï. Je veux t’aider à quitter cette putain de ville, te refaire avec Lola.

Les mots ont mis un temps à faire leur chemin jusqu’à mon cerveau, allumer des étincelles de surprise. Entre mes phalanges, j’ai jeté un regard à Hakeem et dans ses yeux je n’ai vu qu’une détermination qui était bien de famille.

- ... qu’est-ce que tu racontes ?

Sa prise s’est resserrée, ça m’a fait mal de constater à quel point elle était faible.

- J’ai trop longtemps fermé les yeux sur... ce que cette vie t’a fait. J’ai été le pire des grands frères et je sais que ça n’effacera pas tout, mais je veux... faire ça pour toi.

Ses paupières papillonnaient, j’ai senti son épuisement. Me suis relevée, ai rompu le contact. Je ne croyais pas en ses promesses, ne pouvais plus heurter mon regard à sa présence. Alors je l’ai laissé se reposer, suis sortie avant que le doc me rappelle. Et peut-être bien que cette fois, au milieu du bordel qui s’agitait sous ma boîte crânienne, il y avait un réel soulagement.

 

S’il était sincère, plus rien ne me retenait dans cette cité maudite.

Si ce n’était la vengeance.

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