- C'était quoi ce bruit ?
- C'est mon portable, balbutie Yann déjà à moitié endormi.
Alcey ramasse l'engin.
- Un certain Gabriel t'a laissé cinq messages déjà, tu ne le rappelles pas ? Vu l'heure c'est peut-être urgent.
- C'est mon copain, bredouille-t-il sortant enfin un peu de sa somnolente ivresse.
- Tu veux pas lui répondre ?
Il n'a pas le temps d'objecter que le téléphone sonne de nouveau, il décroche cette fois.
- Oui ?
- ...
- Gabriel chériii ?
Un hoquet le prend, il glousse, l'alcool le grise encore.
- Pourquoi tu répondais pas ? Y'a des heures qu'j'essais de t'parler !
La voix inquiète de Gabriel ne parvient pas à émouvoir un Yann rendu hilare par ses prouesses et la boisson.
- Yann ?
- Oui chériii ?
- Enfin qu'est-ce que t'as ? Tu t'fiches de moi ?
- Je suis bourrééé mon amouuuur !
Le rire d'Alcey résonne.
- Tu as bu ? Tu es... t'es pas seul ?
- Nan...
- Vous faites une fête arrosée ?
- On peut dire ça oui, c't'une fête bien arrosée hihihi !
- Tu fais quoi là ? Tu vas aller dormir quand même ? Moi qu'avais peur de t'réveiller.
- Ce que je fais là ? Haha ! Je suce un boudin.
- Quoi ?
- Un boudin antillais !
- T'as l'air complètement déchiré.
- Ouais, je suis... déchiré...
Il marque une pause puis ajoute d'une voix complètement différente :
- Tellement déchiré que j'ai le cœur en petits bouts, ça fait mal, j'avais vraiment besoin d'oublier, de t'oublier.
- Bébé qu'est-ce que tu racontes ?
- J'en ai marre. J'ai besoin de dormir.
- D'accord, on s'parle demain ? J'avais un truc à t'dire, vu ton état ça attendra.
- ...
- Heu, bonne nuit ?
- C'est ça oui.
Il raccroche. Alcey est resté muet pendant tout le reste de l'entretien, voir ensuite Yann tomber en pleur le met vraiment mal-à-l'aise, il regrette d'avoir ri. Il ne voit pas de quelle manière lui venir en aide et il commence à avoir honte de ce qu'il vient de se passer ente-eux.
- Yann ?
- Prends-moi dans tes bras.
- Nan, là Yann je crois pas.
- Je t'ai sucé, tu pourrais au moins jouer le jeu.
- Mec je suis désolé.
- Laisse tomber.
*
À son réveil Yann se trouve seul dans le lit, aucune trace du barman.
- Bonjour mon petit oiseau de paradiiis, alors alors ? On nous fait des cachoteries ? Tu as passé une bonne nuit ? le questionne Crystal déjà là quand il ouvre les yeux.
- Haaa mon dieu parle moins fort ! maugrée Yann.
- Le réveille est difficile je vois ! Hihihi ! C'était bien au moins ? J'ai vu Alcey déguerpir plus vite que l'éclaire quand je suis rentré dans l'appart'.
De vagues flashes de la nuit lui reviennent en mémoire. Il a la nausée. À plat ventre sur son matelas, la tête enfoncé dans l'oreiller, Yann tente d'échapper à la lumière du soleil qui envahi soudainement la pièce au moment où Crystal se décide à ouvrir les rideaux.
- Hummff !
- Mon dieu chéri ce que tu es beau, s'exclame Crystal en tirant sur les couvertures. Admire-moi ce corps d'angelot Amel ! Ha, il en a de la chance le petit Alcey ! Comme que j'aimerais bien, moi aussi, être encore jeune et belle !
- Alcey ? Sans rire, je le croyais hétéro celui là ! balance Amel que Yann n'avait pas encore vu.
- Ma chère, hétéro ou pas qui pourrait résister à notre petit Yann ? continue-t-il en passant ses doigts dans le bas du dos du jeune rouquin.
- Retire tes doigts boudinés de mes fesses Crys ! râle Yann.
- Bha j'espère que sa carotte finira par le rendre plus aimable ! grogne Amel.
- Ho bha Amel c'est délicat ! Tu vas le choquer notre petit là.
- Je t'en pris Crys, ferme les rideaux, supplie Yann.
La métisse blonde, parfumée et pimpante qu'est Crystal s'assois sur son lit.
- Tourne-toi et regarde-moi d'abord.
Ébloui, il fait tout de même un effort.
- Vois ces perles qu'il a à la place des yeux ! Montre-moi chéri, tu n'as rien pris d'autre que de l'alcool ?
- Qu'est-ce que tu vas chercher ?
- Hé bien en dehors du fait que je trouve que c'est super pour toi, tu as quand même couché avec un type, bien que tu sois très amoureux d'un autre. Je me demande donc ce qui a bien pu te passer par la tête et la sienne aussi. L'alcool a-t-il suffis ?
Yann se rembruni, il se détourne et les larmes ne sont pas loin.
- Je n'ai pas couché avec.
- Ho Yann je ne suis pas né de la dernière pluie mon chou !
- Je l'ai juste....
La fin de sa phrase se perd dans l'oreiller.
- Quoi donc ?
Son portable choisi ce moment pour sonner, à la vu du nom affiché, Yann panique. La main sur la bouche, ses yeux agrandis, l'affolement se lit sur son expression. Il ne réussi pas à décrocher. Gabriel laisse le message suivant sur sa boite vocale :
- " T'étais trop Zarb' hier soir, j'me sens mal. J'y ai pensé toute la nuit. Ch'ais c'est idiot et c'était sur'ment l'alcool, j'ai b'soin de t'poser une question. Promets-moi d'pas t'fâcher. En c'moment on ne s'parle plus beaucoup et j'ai très peur. Tu m'manques tellement et j'arrive pas à t'le dire. Chaque fois qu'tu téléphones, j'fais tout pour t'calmer, pour t'rassurer, tu vois, moi aussi j'ai b'soin d'être rassuré aujourd'hui. Ta réflexion sur les boudins antillais d'hier était zarbi'. J'te connais et tu m'sorts souvent des sous-entendus. C'est sans doute débile. Qu'est-ce que t'as foutu hier soir ? Est-ce qu'il y a que'que chose que j'devrais savoir ? "
- C'est Gabriel, qu'est-ce que je vais lui dire ?
- Quand on joue au con, on assume, persifle Amel.
- Si tu veux que je t'aide, il va falloir que tu me donnes des détails et que tu me dises ce que tu veux niveau résultat, lui propose Crystal.
Yann reste interdit devant l'écran de son téléphone, la bouche tordue.
- Yann mon chéri, que c'est-il passé hier soir ? insiste Crystal.
Il débite d'un bloc, tel un robot, les informations sur sa nuit d'ivresse.
- Ok, tu n'as pas l'intention de remettre ça ?
- Jamais.
- Tu en es sûr ?
- C'était complètement stupide, je suis vraiment abjecte.
- Tu es humain. Et avec Gabriel, envisages-tu de continuer ainsi ?
- Je croyais que non mais je l'aime. Putain, j'ai vraiment joué au con ces derniers temps et là ça dépasse tout...
- Ok, un conseil, ne lui dis rien. Le dire peut soulager ta conscience mais tu vas le blesser, c'est inutile, il n'en ressortira rien de bon.
- Jamais je ne pourrais lui mentir.
(Soupir agacé de Crystal.)
Les doigts de Yann tremblent en tapotant une réponse lapidaire.
- " Je suis désolé, oui il s'est passé quelque chose. Je n'ai aucune excuse, cependant j'aimerais que tu me pardonnes. Hier, j'ai égaré mes lèvres... "
Alors qu'Amel sort de la chambre un brin irrité par la situation, qui sans doute lui rappelle de mauvais souvenirs personnels, Crystal et Yann attendent tout deux anxieux, une réponse, qui s'avère tarder un peu trop. Yann n'y tenant plus, s'accorde un deuxième message.
- " Pardonne-moi je t'en pris, je suis vraiment très mal aujourd'hui, je m'en veux si tu savais. Répond-moi."
Quand la réponse survient ils sursautent tout les deux. L'échange se poursuit par écrit.
- " J'ai égaré mes lèvres, ça veut dire quoi ? Sur qui, un mec ? "
- Putain, c'est l'horreur je vais pas pouvoir lui raconter ça !
- Donne-moi ton portable.
Et avant qu'il n'ait eu le temps d'acquiescer, son supérieur hiérarchique et ami lui arrache littéralement l'engin des mains, afin de répondre à sa place.
- " J'étais bourré, j'ai embrassé un hétéro saoul aussi. Il a une copine, j'en ai rien à foutre de lui, on ne sait pas ce qui nous a pris. "
- Je peux envoyer cela et je suis certain que ton petit parisien te pardonnera. Ou bien tu peux lui raconter que tu as lécher les couilles d'un collègue de boulot que tu vas continuer à voir tout les jours. Si tu veux larguer Gabriel et que tu n'en as plus rien à fiche de lui, ou si tu lui en veux, tu peux choisir la deuxième option. Autrement garde-toi bien d'aller lui mettre cette image dans la tête. Le pauvre garçon n'a pas besoin de ça. Supporte ton reflet dans le miroir et garde ta culpabilité en toi, c'est ta punition, au lieu de te déchargé sur lui pour te sentir mieux.
- Je déteste le mensonge, il n'y a pas un autre moyen ?
- Si c'était Gabriel, tu voudrais le savoir ?
- Il ferait jamais ça.
- Tu crois qu'il s'imagine ça de toi ?
- Il sait que je ne suis qu'un animal, la preuve, il me pose la question.
- Ce sont tes agissements au téléphone hier qui lui ont mis la puce à l'oreille, enfin bref, si tu ne lui réponds pas rapidement, il va trouver ça louche. Il s'inquiète là.
Yann ne réagissant toujours pas Crystal appuie elle-même sur le bouton envoyer.
*
Le sang coule, la douleur est vive. Son reflet étincelle, se coupe, se mélange tel un caléidoscope. Il ne sait pas où il a le plus mal, son cœur, son orgueil, son poing qui vient de fracasser le miroir de la salle de bain ? Il n'est pas seulement en colère, il est également déçu et puis il a peur.
- Il ment ! " Je suce un boudin ! " Ça n'a jamais voulu dire j'embrasse ! " Mes lèvres se sont égarées." Nan vraiment il se fout de qui là ? jure Gabriel tout haut.
- Gabriel ? ! Tu as un problème ? s'inquiète sa sœur.
Il a claqué la porte de la salle d'eau soudainement, et le bruit qui a suivit fait redouter le pire à Laurianne. Depuis quelques temps Gabriel n'est plus dans son état normal. Non en vérité, il ne l'est plus depuis qu'il est revenu. Ces derniers temps, elle est bien obligée d'admettre que la situation empire. À chaque nouvel entretien téléphonique avec son copain, il est davantage abattu. Laurianne s'efforce de comprendre ce Yann. La veille encore elle proposait à son frère de le recevoir pendant un mois, si bien entendu Gabriel réussit enfin à se trouver un travail. Elle est prête à ça, afin que l'autre garçon puisse effectuer ses recherches lui-même. Mais là vraiment, elle commence à en avoir marre.
- Ho mon dieux ta main ! rugit-elle, et le miroir ! Mais enfin qu'est-ce...
Gabriel passe en trombe devant elle, fendant l'air, la mine sombre, la main en sang, se dirigeant directement vers la porte d'entrée.
- Gabriel ! Erwan retiens-le !
Rapide, il atteint la sortie avant même que son beau-frère ne réagisse.
- Qu'est-ce qu'il lui arrive maintenant ?
Ce n'est qu'une fois descendu dans la coure que Laurianne obtient son attention et lui fait faire demi-tour.
- Gabriel ta main, pense à ta musique ! crie-t-elle par la fenêtre.
Il stoppe sa course.
- Tu as peut-être besoin de sutures imbécile ! insiste-t-elle. Réfléchis, le piano, la guitare, tu feras quoi si tu ne peux plus jouer ?
Ses phalanges sont effectivement dans un drôle d'état.
*
- Il est arrivé quoi ? l'interroge-t-elle soucieuse.
Gabriel est silencieux, il laisse sa sœur panser ses plaies.
- Tu ne veux pas m'en parler ?
Il répond par la négative en secouant la tête.
- C'est à propos de la proposition, il ne veut pas venir ?
Il réitère le mouvement, les larmes aux yeux.
- Tu n'es pas ouvert profondément, j'imagine qu'il n'est pas nécessaire que je t'oblige à te rendre aux urgences.
- ...
- Je ne peux pas te donner mon avis ou le moindre conseil si tu ne me dis rien. Je comprends tout à fait que tu n'ais pas envie de parler, mais nous vivons tous ici. Erwan va être obligé de changer le miroir de l'armoire à pharmacie et...
- Je la rembourserais.
- Ce n'est pas le problème.
- J'ai besoin d'encaisser là.
- C'est si grave que ça ?
- Si Erwan t'avais trompé, que t'ais d'viné et qu'au lieu d'tout t'avouer, il minimisait les choses en t'mentant, tu f'rais quoi ? En sachant qu't'es faible et qu't'as pas envie d'le perdre.
Laurianne réfléchit un instant.
- La problématique n'est sûrement pas la même, lui indique-t-elle.
- Tu crois que c'est différent entre deux mecs ?
- Mais nan, ça n'est pas la même situation tout simplement. Ce qu'il y a, c'est qu'Erwan et moi ne sommes pas séparés depuis presque cinq mois, par plusieurs océans. Et je ne connais pas la situation exacte de Yann et puis as-tu des preuves ?
- Ch'ais qu'y m'ment... Et moi j'l'ai pas trompé pendant tout ce temps là, se défend Gabriel.
- Tu as des détails ?
- Hier, pendant ou après son boulot ch'ais pas trop, il avait bu. J'ai tout d'suite compris, d'toute façon, sur l'coup, il a fait en sorte que j'pige. Aujourd'hui il a dessaoulé et là c'est pu la même version hein !
- Il y a donc des circonstances atténuantes, il avait bu. Il bosse dans un resto-club gay assez chaud...
- Tu lui trouves des excuses ?
- Non... enfin oui, ce n'est pas à moi de juger la situation.
- Qu'est-ce tu ferais toi ?
- Je ne suis pas à ta place Gabriel.
- Alors ça sert à rien que j'te raconte ! rétorque-t-il.
- Bon, moi, déjà j'aurais une discussion avec lui, peut-être pas tout de suite, laisse un peu le choc et la pression redescendre. C'est jamais bien de réagir sur le coup de la colère. Mais si j'avais un conseil à te donner c'est vraiment d'en parler. Lui dire que tu as compris qu'il ment, ce que tu ressens, ce que tu voudrais qu'il fasse. Lui poser les questions qui te trottent dans la tête.
- Et s'il continu d'nier ?
- Fais déjà ça, il sera temps d'aviser à ce moment là, suivant ses explications.
*
Voilà déjà trois jours qu'ils ne se sont plus parlé, trois jours de souffrance, d'aigreur et de larmes. Il ne s'y attendait pas. Allongé sur son lit, son ventre se déchire, il s'estime trahi, trompé, humilié, sali. Il se doute que la violence ne résout rien, cependant, il avoue que si Yann s'était trouvé en face de lui, il lui aurait bien foutu son poing dans la gueule. Il avait confiance en lui, ce n'est plus le cas. Il ne sait pas comment réagir, l'envoyer chier ? Il l'aime, il a peur, au fond, il ne souhaite pas le perdre. Est-ce qu'il faut se quitter pour ça ?
- Si j'dis rien, pour qui j'passe ? Y r'commenc'ra sûrement non ?
Il hait ce que Yann lui inflige.
- J'l'aime, moi, jamais j'aurais pu lui faire ça ! se répète-t-il en boucle.
Se parler sans cris de rage, s'efforcer de se comprendre malgré la trahison, aborder le sujet franchement, voilà le conseil de Laurianne. Du coup, Gabriel attend, il tente de digérer. Il a éteint son portable, il n'ouvre plus sa messagerie. Il reste là, prostré dans sa chambre parce qu'il a si mal, qu'il ne décolère pas.