Le dragon s'installa confortablement dans la grande salle du château. Le peuple l'acclamait. Enfin, le roi et la reine avaient été destitués ! Enfin, leur libérateur allait pouvoir rétablir la paix et la prospérité. Enfin, l'or allait renflouer les caisses de l'État. Les dragons savaient s'y prendre, pour amasser de l'or. D'ailleurs, ses serviteurs les nains déplaçaient déjà son trésor personnel jusque dans les caves du palais.
« Votre Majesté ! Un discours, un discours ! »
Le dragon s'avança noblement jusqu'au balcon. La plèbe, assemblée sur la place principale, lançait en l'air des chapeaux et scandait des slogans à sa gloire. Le dragon prit une profonde inspiration.
Et une langue de feu sortit de sa gueule.
Alors tous les dragons sortirent de leurs grottes et se déployèrent dans tout le pays. Les princesses, ils les kidnappaient ; les chevaliers, ils les balayaient d'un coup de queue ; les joyaux et les bijoux, ils les pillaient. Les sorcières étaient brûlées vives, et avec elles, les enchanteresses, les magiciennes et les fées. Les nains minaient, fondaient et forgeaient aussi vite qu'ils pouvaient ; mais dès qu'ils s'arrêtaient, dès qu'ils cessaient de frapper le métal, la gueule goulue des dragons les happait et les dévorait. Les bibliothèques, remplies de griomires vieux et secs aux pages craquelées, s'embrasaient à la moindre étincelle. Les émanations de soufre saturaient l'atmosphère, les licornes asphyxiaient, et dans les océans, les sirènes s'affaiblissaient jusqu'à mourir d'épuisement. Le royaume n'était plus que flammes et désolation.
Et le peuple, dans les rues en feu, acclamait son nouveau roi.