– Chapitre III –
Une encre noire avait teinté le ciel et une foule se pressait pour le voir s'illuminer.
Arsène trépignait d'impatience, tassait la terre sous ses pieds à force de piétinements, les yeux déjà brillants ; elle était prête à admirer les feux d'artifices.
D'ailleurs, elle se rêvait parfois artificière, penchée sur une grande table de métal dans son atelier, innovant des œuvres de feu éphémères. Or, vert, rouge, bleu. Odeur de poudre et pots de pigments pour l'orfèvre de la nuit.
Les corps se laissaient happer par l'épaisseur de l'obscurité, dans un grand calme d'émerveillement.
C'est alors qu'on vit la première gerbe tracer un sillon scintillant et qu'on entendit la première déflagration. Le feu explosa dans une forme circulaire dorée.
Les gros « boums » résonnaient dans la cage thoracique de la machiniste, s'accordaient aux battements de son cœur. Comme devenue un bout de la nuit, elle se sentait géante, animée de feu. Un golem grandiose. Elle exultait.
Ce qu'Arsène aimait le plus dans les feux d'artifices, ce n'était pas la rondeur des motifs, ni la couleur, ni le son, mais les retombées. En fin de gloire, elles chutaient dans une grâce discrète par trop oubliée, soulignaient une dernière fois les parures de la nuit. Alors Arsène regardait à peine l'immense fresque mais s'imprégnait de chaque gerbe qui rejoignait le sol.
Une
der
nière
fois
Honorées.
La tranquillité nocturne revenue, la place se vida. Seule Arsène resta, toujours les yeux émus plongés là-haut. Les pétillements incandescents avaient laissé des rides de fumée dans le ciel.
Elle se rendit compte qu'elle pleurait.
*
Tyran était avachi sur son trône. Bordé de bijoux, il dégoulinait de parures dorées et des pierreries paraient ses pieds. De ses paupières plissées ressortait une couleur de terre brûlée.
Dans sa main, une gerbe de romarin. Le maître marionnettiste faisait croire à coups de crosse qu'il était le roi, que les autres n'étaient que cendres.
Tyran encombrait l'esprit d'Arsène. Il était cette chape lourde, collante de miel. Le liquide qui se fige et emprisonne les membres, la fumée acrimonieuse qui embrume le rêve.
*
L'odeur de romarin lui restait dans les narines, mais au lieu d'être fraîche elle prenait une tournure amère, écœurante. Empesée, Arsène n'arrivait à rien, ne parvenait pas à ajuster les machines. Elles demeuraient grinçantes, crissantes et rigides. Elles aussi empesées.
Arsène souffla de découragement, leva la tête en l'air quand elle sentit son nez picoter et les larmes lui monter. Maintenant assise adossée au mur, elle jouait avec sa clé à molette. Regard vide posé sur le sol.
Soupirs.
Elle n'avait pas vu Rhòs aujourd'hui, mais il lui semblait qu'elle rôdait toujours, comme si elle l'épiait à travers chaque trou de serrure, entre chaque latte de parquet, derrière chaque pan de rideau. Et toujours la sensation de cette gifle, une profonde griffure intestine.
Arsène n'était donc qu'un bout de vitre, utile mais transparente ? Qu'on appelle ce vitrier qui l'avait faite ainsi ! Elle ne voulait pas être passeuse de lumière, elle voulait, du plus profond de ses tripes, être la lumière. Qu'elle en émane, que toutes deux fassent corps couleur or. Un organe battant.
« Mais alors, se dit Arsène, qu'est-ce que tu fous assise là ? Si c'est ça qui t'anime, pourquoi tu en restes auprès de tes décors et machines, et à réciter des bribes de théâtre dans ta chambre ? Cherche le point où la vitre se transforme en miroir. Étincelle-toi toi-même. »
Aussitôt, elle se releva, la tête un peu plus haute.
*
Se débarrasser de Tyran. L'abandonner dans son palais mais laisser le palais sur place, et courir loin, loin, loin. En route, se rappeler de la nuit et de ses chamarres. Se rappeler de la musique composée des éclats des feux qui faisait vrombir les os. Courir après cette lumière et cette résonance, toujours, sentir comme le monde au bout de ses doigts, cette puissance fourmillante. La sensation d'être prête à bondir très haut et caresser les planètes de ses cheveux. Un corps transi d'une ardeur folle et dansante, et ce front qui demeure frais. Droit, fier, inébranlable.
Et
faire
des
rondes
dans
les
étoiles.
Apporter un morceau d'éther sur scène comme on rapporterait une belle pierre d'une balade en forêt – tenu au creux des mains, offert avec le sourire d'une joie sincère et ingénue.
Et
faire
des
rondes
dans
les
étoiles.
J'ai repéré deux petites coquilles :
dans le chapitre 1 : la demoiselle ria de plus belle -> rit (ou ri... je suis une brêle en conjugaison)
chapitre 2 : C'était donc ça cet état de grâce dont Arsène avait entendu parlé. -> parler
J'aime beaucoup comme tu écris ! c'est tellement poétique et léger ! les passages avec une mise en page un peu fantasque, je les adore tous <3<3 c'est vraiment un très joli texte !
L'emploi des répétitions rend toujours super!
Arsène... j'ai été agréablement surprise de voir que c'était une fille, ce prénom masculin lui va à ravir !
Rhos est aussi un prénom superbe ! ce qu'elle dit à Arsène dans le chapitre 2 est vraiment méchant... mais c'est si joliment tourné, en meme temps ! "la lumière va passer a travers toi" on se croirait dans un rêve, je sais pas comment dire, un autre monde ! et comme Arsène y répond dans ce chapitre, devenir miroir, c'est tout aussi beau ! un grand bravo ! je reviens commenter la suite bientôt !
Je te remercie mille fois d'avoir relevé ces coquilles (et non, c'est moi la brêle XD (à vrai dire j'avais déjà remarqué cette honteuse faute qui me fait malgré tout beaucoup rire et l'avais corrigé sur ma version word, et ai oublié de mettre à jour celle-ci))
Les mots me manquent tellement que je suis émue par ton commentaire <3 Mille mercis !
C'est simple et complexe à la fois, épuré dans la forme mais plein de couleurs... !
Je ne sais pas si Tyran représente quelque chose pour toi, un concept ? Je sens que d'ici la fin du roman, il signifiera quelque chose de plus précis pour moi (la lourdeur du quotidien, la morosité, le manque d'inspiration artistique...).
Et puis, d'où te vient cette mise en page particulière ? (que j'adore)
A très vite !
Liné
Il représente quelque chose à le fois pour moi et pour Arsène, et s'il peut être associé à quelque chose de ton côté également, c'est formidable :D Je ne sais pas s'il signifie plus de chose à la fin, mais j'espère qu'il participe à cet univers qu'est l'esprit d'Arsène ^^
A bientôt ! <3
Vraiment je ne m'attendait pas à ça et c'est vraiment hyper poétique et bien écrit et mon Dieu vraiment je te félicité pour ce texte magnifique.
Moi qui ait une réputation, je ne trouve pas vraiment de défauts à ton texte. Juste bavo!!
Loupette
Ca faisait en fait un moment que je voulais m'arrêter sur ta nouvelle mouture de Deus Ex Machina, et honte à moi, je n'avais jamais pris le temps avant. C'est chose faite, et tu nous emmènes dans un super beau voyage dis donc ♥ on ne sait jamais trop si ons e trouve dans la réalité, dans l'imagination d'Arsène qui colore et façonne cette réalité, dans ses souvenirs ou dans ses rêves. Tout se mélange, et ton style poétique et délicat se prête à merveille à tout ça.
J'ai un faible pour les rêveurs discrets, les passionnés de quelque chose jusqu'au plus profond de leur être, alors tu te doutes qu'Arsène m'a tapé dans l'oeil. Elle est hyper touchante. Et puis ces personnifications, Imposteur et Tyran, c'est frappant ! J'adore comme tu les mets en scène et comme ils se transforment.
Vraiment, cette histoire commence très bien. A bientôt pour la suite ;)
Shhh, pas une once de honte par ici ! Oh je suis vraiment ravie si ça t'a fait voyager <3 Aaaaaah tu vas faire fondre mon coeur avec tous ces gentils mots sur Arsène. Pour ce qui esr des passages avec Imposteur, Tyran etc, ça a été un pur plaisir à écrire même dans la première version, donc c'est encore mieux si ça porte ses fruits.
Je suis toute bouleversifée et j'ai hâte d'avoir ton retour sur la suite,<br />Encore merci !