Le déni :
Tu t’es imposé chez moi sans invitation ni compromis. Au début, je t’ai ignoré, ne prêtant pas attention à la place que tu prenais dans ma vie. Je t’ai laissé t’installer. J’avais compris inconsciemment, que je n’étais pas de taille dans cette lutte. Tu m’avais peut-être choisie en raison de mon apathie, pour m’envahir sans souffrir de résistance. Mes comportements à risque t’ont certainement facilité la tâche. Je ne te savais pas si agressif. J’espérais que tu finirais par partir, par je ne sais quelle opération du saint esprit. Mon fils m’avait pourtant prévenue. Il me disait de me méfier, de me faire aider, de consulter. Moi je croyais que submergé par l’angoisse, il délirait en t’imaginant mon pire ennemi. Il répétait inlassablement que depuis que son père nous avait quitté, je n’étais plus apte à savoir ce qui était bon pour moi. Je vivais trop dans le passé pour me rendre compte à quel point tu me faisais du mal. J’étais anéantie par les différentes épreuves de ma vie. J’ai d’abord perdu ma fille et mon petit fils dans un même accident de la route. La dépression qui s’en est suivie s’est prolongée sur plusieurs années. Puis mon mari est mort lors d’une opération banale du genou. Il a fait une embolie pulmonaire massive. C’en était trop. Je n’avais plus la force de me battre. Alors, quand tu es entré dans ma vie, je suis restée aveugle à tes ambitions prédatrices. Docile, je n’ai pas réagi.
La colère :
Un jour, je me suis réveillée avec un affreux mal de tête. Tu avais dû frapper bien trop fort cette nuit-là. J’ai couru vers la cuvette des WC pour vomir ma haine. J’ai décidé de réagir et je me suis préparée à la riposte. Je me sentais trop faible pour te braver seule. Je me suis donc résignée à prendre mon téléphone pour demander de l’aide. Je ne comprenais pas pourquoi moi. Pourquoi tu me faisais subir tout ça. Je suis alors devenue odieuse avec mes enfants, avec mes amis. Tous, faisaient leur possible pour me venir en aide. Je leur crachais en pleine face ma colère et mon incompréhension. Ils se sont laissé faire par amour pour ce que j’étais avant. Je savais bien qu’ils n’étaient pas responsables de ce qui m’arrivait. J’avais un besoin incontrôlable de décharger ma douleur sur quelqu’un.
Ils ont mis en place une stratégie de lutte et ont fait intervenir des professionnels pour m’encourager. Ils ont fait appel à une psychologue. Je l’ai renvoyée dès le premier entretien, en lui suggérant de ne plus jamais passer le pas de ma porte. Puis, ils ont fait venir une gentille infirmière qui m’écoutait et soignait mes blessures. J’avais promis de ne pas la mettre dehors, mais je la regardais avec de la haine dans les yeux. Je l’enviais d’être si forte, si belle. Elle était mon alliée, mais je réagissais comme si elle était mon pire ennemi. J’aurais voulu que ce soit elle qui soit à ma place et qui endure mes souffrances. Imperturbable, elle faisait de son mieux pour que je récupère. Si ma méchanceté avait suscité un brin de culpabilité chez moi, je me serai sentie encore plus faible. Non, ma méchanceté prouvait que j’étais toujours en vie.
Marchandage :
Parfois, je me surprenais à négocier, à te demander par exemple, de me laisser tranquille jusqu’à l’automne. J’aime trop cette saison où il ne fait ni trop chaud ni trop froid. Je voulais voir une dernière fois le soleil se lever et illuminer les arbres devenus flamboyants. J’ai même promis à Dieu, en qui je ne croyais plus depuis l’accident de ma fille, que je retournerai à l’Eglise s’il me protégeait de toi, s’il faisait en sorte que tu disparaisses à jamais. Mais il était déjà trop tard. Tu avais pris trop de place. Tu m’avais tellement fait de mal que je n’arrivais même plus à tenir debout.
La dépression :
Je ne m’alimentais plus que par obligation. J’avais perdu énormément de poids, moi qui ai toujours fait des régimes sans jamais perdre un gramme. Epuisée, je ne me levais plus. Plus je m’affaiblissais, moins je pensais pouvoir t’échapper. J’étais désemparée. De plus, je ne voyais plus mes amis qui avaient quitté le navire en plein naufrage. Ils ne supportaient plus celle que j'étais devenue. Heureusement, mes enfants étaient toujours là. Pour eux, c’était très dur émotionnellement. Au milieu de ce chaos, ils voulaient voir une lueur d’espoir quand je réussissais à me lever, ou à manger quelque chose. Ils refaisaient pour moi des projets, échafaudaient de nouvelles lignes de défense. L’instant d’après, je sombrais à nouveau dans une léthargie désespérante. Je n’avais plus envie que de dormir, pour t’oublier, pour en finir. Je décidais de ne plus ouvrir les yeux, pour ne plus donner de faux espoirs à mes enfants.
L'acceptation :
Je comprends, contre ton pouvoir, je ne peux rien.
Pourtant, il suffirait d’accepter semble-t-il.
Désormais, je ne recherche plus de soutien.
Incapable de fuir, de bouger un cil.
Mais lentement, patiemment, je défais ces liens
Qui me relient à une vie devenue fragile.
Je devrais tourner la page, ce serait bien.
Non, ce temps de résistance n’est point futile.
Autorisée en douceur à quitter les miens,
Cancer tu peux m’emporter, je serai docile.