Len posa le pied sur le ponton et poussa un soupir de soulagement. Pendant des jours, il s’était langui de sa terre natale, craignant ne jamais la revoir. Mais ils avaient fini par atteindre Ayjaell sains et saufs et avaient débarqué dans une crique isolée, à plusieurs lieues de Solastène.
— Cessez de traîner ! lança Ilyan, il y a du matériel à débarquer !
Asaes poussa un soupir.
— Laisse nous profiter un peu de l’air du pays…
Ilyan le bouscula sans ménagement.
— Tu pourras en profiter tant que tu voudras quand nous nous serons débarrassés de lui, rétorqua-t-il en désignant la cale. En attendant, il faut obéir aux ordres. Le Seigneur Hosgen nous attend.
Finalement, Asaes et Len se décidèrent à lui emboîter pour décharger l’équipement. Les Séides avaient installé un immense système de poulies au-dessus du navire et harnaché des chevaux massifs pour soulever la bête prisonnière de sa cage. Les six lances rouges se mettaient en position, tout autour du ponton, sous le regard sombre de Sunva. Au premier pas que firent les chevaux, un grondement résonna depuis la cale. Len fut l’un des premiers à se jeter sur les animaux de traits pour les retenir. D’autres se joignirent à lui pour les remettre en place et les obliger à poursuivre leurs efforts. Lorsque leur fardeau retomba enfin sur l’attelage, toute la garnison poussa des exclamations de joie. Maître Sunva hocha la tête, satisfait, avant de s’avancer vers Len. À sa grande surprise, il lui flanqua une lance à la pointe écarlate dans les bras.
— Il y a peut-être quelque chose à tirer de toi, Len Soussepier. Maintenant avance et sois digne, tu vas rencontrer le Seigneur Hosgen !
Len acquiesça, les joues rouges, les bras tremblants. Il n’avait aucune envie de suivre encore le monstre, surtout s’il fallait laisser derrière lui ses compagnons. Asaes s’était arrêté pour lui jeter un regard compatissant, Ilyan lui faisait signe de se hâter. Il inspira et s’élança à la suite des autres lanciers.
La pointe s’illumina à mesure qu’il approchait, comme la Rochelune s’éveillant à la tombée du jour. Len resserra les doigts sur le manche de son arme en la dirigeant vers la cage. Ces armes, ils leur devaient la vie. Ils n’auraient jamais pu affronter la jungle sans elles. Ils n’auraient jamais pu capturer le démon sans elles. Tout ça grâce au Seigneur Hosgen.
— Seuls les Fondateurs connaissent le secret de la Rochelave.
C’était ce qu’Asaes avait dit quand Len l’avait interrogé à leur sujet. Ilyan avait approuvé d’un signe de tête. Le cœur de Len battit plus fort dans sa poitrine et son regard impatient se porta vers le sommet de la crique.
Le convoi remonta un chemin isolé, sillonna un long moment dans les bois, jusqu’à déboucher au sommet d’une falaise abrupte. Ils approchaient du Fort des Braves, une ancienne forteresse militaire qui surplombait le détroit. Quelque part sur la droite, on apercevait la silhouette de Solastène, étendue au bord de la Baie des Lumières. Ils s’en détournèrent assez vite pour s’avancer vers la forteresse. Le chemin descendait vers la mer avant de bifurquer dans les entrailles de la falaise. Le bruit du chariot résonna dans la galerie sombre, éclairée uniquement par les six lames rougeoyantes des lanciers. Len sursauta quand les portes furent refermées dans leur dos, le bruit résonnant avec fracas dans la grotte. Ils continuèrent leur progression dans les tunnels, devinant çà et là les formations naturelles de la roche qui se succédaient aux galeries centenaires du château. Enfin, un immense dôme s’étendit au-dessus de leurs têtes. La salle circulaire était gravée de nuages, d’éclairs et de silhouettes monstrueuses. Formes humanoïdes ou monstres cracheurs de flammes y affrontaient les Fondateurs, auréolés de lumière. Des traces de pourpre et d’or usées par le temps coloriaient ces gravures qui semblaient se mouvoir dans la lueur vacillante des lampes à huile. Le combat se poursuivait sur le plafond, emportant la guerre jusqu’à ce point central de la voûte : une lune rouge dont la peinture émaillée rappelait la couleur du sang.
Des chaînes reposaient contre la stèle au centre de la salle. Juste devant, les yeux rivés sur la cage, se tenait le Gardien Suprême. Len le reconnut aussitôt. Sa peau blafarde et ses cheveux d’un blond presque argenté lui donnaient un air âgé, ajoutés à ces rainures sombres qui parcouraient son cou et ses mains. Pourtant, il semblait jeune aussi. Était-ce l’or dessiné sur sa peau ? Le regard scintillant sous le masque ? On aurait dit une statue d’éternité se mouvant avec grâce au milieu des mortels.
Lorsque le convoi s’arrêta, le Seigneur Hosgen esquissa un sourire satisfait et s’avança d’un pas vers le chariot. Le démon émit un rugissement étrange, beaucoup plus aigu que les cris qu’il avait poussés jusque-là.
— Tu as donc compris, fit Hosgen en étirant les lèvres.
Il tendit la main droite vers la cage et une lueur rouge scintilla sur sa paume. Alors, à la grande stupeur de tous les hommes présents dans la salle, la créature enfermée eut un mouvement de recul. Ils entendirent un choc lorsque le démon percuta la paroi, jusqu’à faire tanguer l’attelage. Len riva ses yeux sur Hosgen, ébahi. Comment douter après cette démonstration ? C’était bien un Dieu qui se tenait devant eux.
— Faîtes le sortir ! ordonna-t-il.
Les gardiens hésitèrent à peine une seconde. Le ton d’Hosgen ne leur laissait aucun choix. Ils ôtèrent les chaînes qui entouraient la cage, puis deux d’entre eux tirèrent sur les deux portes, à l’opposé de Len. Le démon poussa un grondement qui résonna dans les pierres, jusqu’aux profondeurs des cachots.
A bientôt !
Super chapitre. Ca avance bien !
Il est intéressant que Hosgen soit soumis à rude épreuve dans son obstination à percer les secrets de Windane. La venue d'un démon en plus dans l'équation est très intéressante, je me demande quel bazar cela va engendrer par la suite... ^^
La dernière vision de Windane, je me demande si ce n'est pas plutôt une vision de l'avenir plutôt que le passé... ^^
J'accroche toujours autant. L'écriture est toujours aussi fluide et riche :).
A très vite pour la suite !
Juste une question : les personnages ne prononcent pas beaucoup (voire pas du tout) le nom du démon, mais tu as compris ce dont il s'agissait ?