Un Monde en Larmes : Chapitre II

Par Rânoh

— Trouvons un endroit pour la nuit, ordonna Maeva à son fils. Il y a des mines d’argent à une heure d’ici, allons nous y abriter.

Sa besace sur le dos, la femme tira le garçon par la main, l’embarquant en ce pays sans couleur ni vie. Ils traversèrent d’abord les ruines, les monceaux de pierres et de débris de diverses natures, puis franchirent une frontière formée d’arbres morts, gelés par la racine. Tout se ressemblait, les étendues de neige, les pics montagneux, le relief vallonné que traversaient les restes d’une piste enfouie sous un voile blanc. L’on pouvait se croire au royaume des morts, seules de rares empreintes de chiens errants témoignaient de l’activité de la nature en cette contrée. Par-delà ce paysage nordique, laissé à l’abandon par les survivants du Cataclysme, Maeva et son fils progressèrent en direction d’une haute falaise. La masse grise s’élevait comme un rempart, gardant l’accès aux terres couvertes de glace, inhospitalières pour l’Homme. Ils filèrent ainsi, en longeant ce mur aussi vieux que le continent, pour atterrir aux abords d’une forêt gelée. Sur les branches de ces arbres centenaires, nulle feuille ne s’agitait, nul fruit ne s’y suspendait. À la place, ce fut un spectacle étonnant qui s’offrit aux yeux des voyageurs, la beauté que donnait parfois le hasard de l’univers. Car ces branches tenaient de magnifiques guirlandes de flocons congelés, ornant le pourtour du bois telle de la dentelle, tel le voile de la mariée timide, qui se réfugie sous les couches à motif de ses tissus. Il y avait des rangées entières de ces arbres aux fleurs de glace, tous avec leur particularité propre, leurs formes et leur charme.

Arrêtée par la majesté du décor, Maeva aperçut un mince nuage de fumée prendre de la hauteur un peu plus loin. Ce dernier provenait des environs de la mine d’argent, sans doute trouvait-il son origine du foyer de l’un des refuges de mineurs, perdu dans le coin. La présence d’une âme au milieu de ce néant n’étonna guère l’aventurière. Il pouvait aussi bien s’agir d’une bande de malfrats fuyant les cités, qu’un ermite cherchant le repos dans la solitude. Aussi, la femme préférait ne pas tenter sa chance en s’y approchant de trop près, elle redoutait de trouver quelque dément ou personnes mal intentionnées, et pire. Voyant les cieux se couvrirent d’une teinte ambrée, elle tira son garçon vers l’entrée des mines et lui fit signe de ne point bruire. Arrivée devant l’accès menant au monde souterrain, Maeva fronça les sourcils. Quelqu’un s’était donné du mal pour le condamner, une motte de gravats en interdisait le passage, la glace recouvrant l’obstacle avec jalousie. La femme ne montra aucune expression. Le visage placide, elle se tourna en direction des volutes de fumées noires, mécontente de la tournure que prenaient les événements. Comme un puissant vent se leva, aussi froid que les glaces des sommets éternels, la mère prit sur elle les craintes qui la hantaient pour demander asile aux occupants de la hutte. Elle s’en approcha d’un pas incertain, tout en cherchant une autre solution, son œil balayait les environs avec la frénésie d’une guêpe, mais ne trouva rien. Résignée, l’ancienne écuyère se glissa jusqu’à la porte et frappa trois coups.

Le silence vibrait sous les assauts du vent, un sifflement horrible résonnait d’entre les dents pointues des montagnes blanches. Pas de réponse. Maeva frappa plus fort encore, puis appela de sa voix, et de son accent nordique, l’occupant de la chaumière. Enfin, la lumière chaude du feu perça à travers la mince ouverture de l’entrée. Un œil apparut depuis la feinte de la porte, un œil bleu, grand ouvert, qui scrutait avec attention les inconnus qui se présentaient à lui. Il examina tour à tour la mère et son fils, la femme borgne et son bandeau noir camouflé en sa chevelure sombre tirée d’une natte, puis l’enfant, ses yeux azur et sa face incertaine. La porte se referma, sans plus de réponse. Aucune voix ne s’était portée à la rencontre de la Princalienne, pas de menace ni de mise en garde, seulement cet œil inséré dans cette fente. Cette dernière s’apprêtait à faire demi-tour, lorsqu’un bruit l’en dissuada. Surprise, elle fit volte-face en dégainant sa tìu, prête à tirer sur la première ombre venue et poussa l’enfant derrière elle. Maeva se raidit. Au bout du canon d’acier qu’elle tenait avec fermeté, une silhouette familière se dessina depuis l’auréole ardente projetée de l’intérieur de la chaumière. Le fantôme était figé, comme l’étaient les glaces des arbres plus tôt. Il se tenait là, sa peau aussi pâle que la neige, surplombée de deux saphirs resplendissants. Une beauté perdue, gâchée par les rudesses de la solitude et de la vie nordique, sertie de cernes profonds et de rides de fatigue. Sa chevelure était comme la paille, blonde et abîmée, sale, retombant sur des épaules brisées par le poids des années. La dame ne souriait pas, non, elle pleurait. Des larmes se cristallisaient sur ses joues rougies par le froid, la misère et le chagrin. Des sanglots secouaient son corps décharné en des sursauts violents qui l’affligeaient de douleur. Car elle n’était que douleur, souffrance et peine.

Maeva ne lâcha pas ce spectre du regard, et tandis qu’elle le dévisageait en silence, elle siffla plus fort que le vent d’entre ses dents serrées.

— Sibilha…

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