Un monde parfait
Ulys jeta un dernier coup d’œil au petit salon de l’appartement pour vérifier que plus rien ne traînait. Après deux jours à l’infirmerie, Billie avait recouvré suffisamment de forces pour se passer de surveillance médicale. Elle allait s’installer dans la chambre d’Oxan où il restait un lit. Ulys ne savait pas trop si ces nouvelles dispositions lui plaisaient ou non, mais sa cousine n’avait consulté aucun d’eux avant de les proposer à la hikeuse. Elle n’avait plus que son nom à la bouche ; depuis la veille, elle trépignait d’impatience et les avait incendiés ce matin pour qu’ils rangent leur désordre avant son arrivée. D’un côté, Ulys déplorait la fin de leur intimité et les efforts de conversation qu’ils devraient faire, mais de l’autre, il allait enfin pouvoir assouvir sa curiosité à propos des hikers en général, et de celle-ci en particulier.
Lorsque Billie entra, guidée par une Oxan radieuse, Ulys lui trouva l’air beaucoup plus jeune que ce qu’il avait imaginé. Il s’attendait à une grande — à seize ans, on était presque adulte, non ? —, pourtant elle paraissait avoir son âge. Il se rendit compte qu’il la dévisageait comme une curiosité, à l’instar de Teddy, figé la langue entre les dents, et de Calixt qui semblait prêt à se sauver. Il plaqua un sourire sur son visage en cherchant en vain quelque chose à dire. Tan s’avança gauchement vers elle, le teint écarlate, et exécuta une espèce de salut ridicule entre la révérence et le saut, tout en bafouillant quelque chose sans respirer :
– Bonjourbienvenuefaiscommecheztoi.
Il conclut par une moue désolée, rougit encore un peu et partit s’effondrer sur le canapé, tête basse, tandis que les deux filles éclataient de rire. Ulys estima que par rapport à son aîné, il s’en tirait plutôt bien.
Il suffit d’une journée pour que la gêne se dissipe. Le lendemain, Teddy chantait de nouveau à tue-tête, Tan ne rosissait plus que légèrement lorsqu’il s’adressait à Billie. Seul Calixt restait silencieux, mais c’était Calixt ; en attendant, il n’en perdait pas une miette. Ulys avait déjà bombardé la hikeuse de questions. Malheureusement, elle n’y avait pas répondu. Elle-même se montrait curieuse de tout, mais elle se fermait comme une huître dès qu’on lui demandait quoi que ce soit la concernant. Après une cinquantaine de haussements d’épaule et de silences butés, Oxan-la-mère-poule ordonna sèchement à Ulys de laisser Billie tranquille. Elle parlerait quand elle serait prête. Malgré sa frustration, le garçon s’excusa de son insistance et se contenta de répondre aux questions au lieu de les poser.
***
À présent, ce qui occupait entièrement les pensées d’Ulys, c’était leur arrivée prochaine sur Galatim dans le système de Procyon. Cette fois, la perspective de découvrir un autre monde n’était ternie par aucune catastrophe naturelle ni aucun changement de plan. Ulys en trépignait d’avance, d’autant qu’en fouillant la base de données du WOW il avait déniché nombre d’articles et de numscreens qui présentaient leur prochaine escale comme une planète modèle. Bien que minuscule, Galatim était réputée à travers la galaxie pour son aménagement raisonné et son expertise médicale. Celle-ci était si avancée que de riches voyageurs spatiaux effectuaient parfois des vols de plusieurs mois pour y être soignés.
Il fallut encore attendre deux longs jours avant que le cisilduc aborde l’orbite administrative de la planète. Sur les conseils de Skull, les six jeunes passagers s’installèrent dans la salle d’observation au-dessus du poste de commandement en attendant que l’administration spatiale de celle-ci accorde au cisilduc l’autorisation d’atterrir. Le spectacle valait assurément le détour. Procyon étant une étoile double, les ombres des astres environnants étaient à la fois atténuées et démultipliées. Satellites et astéroïdes sortaient du néant, leurs contours découpés par la lumière très intense de la sous-géante jaune A, éloignée de quelques unités astronomiques. Ils semblaient s’éclairer de l’intérieur tant ils brillaient. Puis, ils redevenaient flous, comme recouverts de fumée, et n’étaient plus visibles que dans la lueur douce de la naine blanche B. Galatim tournait autour de cette dernière, mais les conditions n’y étaient propices à la vie que grâce à l’énergie de Procyon A qui englobait tout le système. Entre ces deux sœurs, la planète ne bénéficiait de nuits complètes qu’une toute petite partie de l’année ; et ce n’était pas le cas à l’heure actuelle.
Lorsqu’enfin le WOW se posa sur le fusioasphalte de la piste, Ulys dévala l’escalier au risque de se rompre le coup.
– Ça y est ? On peut débarquer ? demanda-t-il à Skull dans la salle de commandement.
– J’ai bien peur que non. Les formalités à l’astroport sont loin d’être finies. D’abord, une équipe médicale va monter à bord. Tous les voyageurs doivent subir de nombreux tests et examens avant d’être autorisés à circuler librement. Ils vont nous scanner, nous nettoyer, nous désinfecter, puis on devra répondre à d’interminables questionnaires.
– Et qu’est-ce qui se passerait si on refusait ?
– On serait assignés à demeure dans le cargo. Ensuite il va falloir décharger les containers de matériel médical et de métaux rares. J’avoue que je serai soulagé de me débarrasser de cette cargaison. Une fortune pareille dans les cales, ça attire un peu trop les convoitises si ça vient à se savoir. Il va aussi falloir que je fasse valider par les autorités la liste des participants au chantier.
– Ah bon, tout le monde n’y va pas ? demanda Oxan en les rejoignant. Billie aimerait rester avec moi, en tout cas.
– Ça ne devrait pas être problème. La question se pose surtout pour Karl et Blacky. Et à vous aussi : je ne veux pas vous obliger à travailler.
– Moi j’ai pas envie de m’ennuyer toute la journée ! répondit Ulys. Je suis volontaire !
Oxan approuva.
– D’accord. Ah, dernière chose… Ulys, ton chat devra rester à bord : hormis les humains, seules les espèces endémiques sont autorisées à fouler le sol de Galatim.
Quel gouvernement insensible peut bien interdire des êtres aussi mignons que les chats ? se demanda Ulys. En attendant, il fallait qu’il fabrique un distributeur de nourriture. Il partit en courant vers la salle commune en espérant trouver Paddy qui saurait sûrement comment faire.
Le déchargement des containers prit une journée entière, chacun devant subir une décontamination complète et de nombreuses vérifications. Lors du dernier dîner à bord, Ulys apprit que les responsables de la mission de reboisement s’étaient montrés arrangeants pour avoir un maximum de main d’œuvre. Blacky serait transporté sur place et confié à l’infirmerie du chantier afin de libérer Darwin et son assistant. Quant à Karl, si Skull garantissait sa surveillance et s’il était productif, ils avaient décrété que le reste ne les intéressait pas. Or, compte tenu de sa force physique et de son expérience sur des missions de reboisement, son efficacité ne faisait aucun doute. D’après Diego, Karl avait accepté de travailler sur le chantier en précisant que cela compenserait ses frais de jugement, car il n’y avait aucune raison que le WOW paye pour lui.
Le soir, les Sailor et Billie préparèrent leurs bagages afin d’être prêts pour l’acheminement du lendemain. À ce stade, la patience d’Ulys s’était complètement désintégrée, si bien qu’il ne ferma presque pas l’œil et arpenta le salon de long en large jusqu’à ce que Tan lui ordonne d’aller se coucher séance tenante en lui abattant une bonne dizaine de fois son oreiller sur la tête.
***
Une navette de transport volante attendait l’équipage du WOW le matin suivant. Monté sur des propulseurs à coussins d’air très puissants, le véhicule pouvait s’élever d’une trentaine de mètres au-dessus du sol, alors que les airkarts du WOW — et a fortiori les modules de Walrus game — ne décollaient que de quelques pouces. L’intérieur était aménagé comme un luxueux salon. Sur les côtés, des alcôves meublées de banquettes permettaient de dormir pendant les longs trajets.
Après avoir testé les fauteuils — qui s’adaptaient dans un soupir à la forme du corps lorsqu’on s’asseyait, pour un confort optimal —, Ulys colla le nez à la paroi vitrée pour ne rien perdre du spectacle. La navette survola la ville à basse altitude. L’agglomération se constituait de charmants quartiers arborés, coupés de larges rues. Les maisons se clairsemèrent, puis le transporteur glissa à travers un paysage verdoyant et bien entretenu, composé de forêts, de collines, de cours d’eau et de quelques champs cultivés. Les villages qu’ils dépassèrent bénéficiaient apparemment du même confort que la ville d’arrivée, et tous possédaient un complexe médical reconnaissable à son toit marqué d’une croix bleue entourée d’un rond rouge. Tout était harmonieux et propre ; si Ulys avait dû concevoir la planète idéale, il aurait dessiné Galatim.
Au bout d’un moment, ils quittèrent la terre ferme pour survoler un bras de mer. Celle-ci scintillait beaucoup plus que sur Terre et elle était rosée.
– On doit avoir l’impression de se baigner dans du thé ! s’exclama Ulys sans réussir à décider si oui ou non ça lui faisait envie.
En revanche, il sut immédiatement que les activités nautiques des habitants de la côte lui plairaient. Voile, aéroglisseurs, ailes volantes, les Galatims avaient apparemment bon goût pour leurs loisirs !
– Je veux m’installer sur cette planète ! s’exclama-t-il.
– À ta place, je ne rêverais pas trop, lui dit Bella avec une moue désabusée. L’immigration sur ce genre de cailloux est très très limitée. Et parmi les critères de sélection, je pense que la fortune personnelle compte pour beaucoup. Alors à moins que vos parents soient milliardaires et que vous nous l’ayez caché, il va falloir renoncer à cette idée. D’ailleurs je suis prête à parier que notre campement — voire le chantier dans son ensemble — sera entouré de clôtures pour qu’on ne soit pas tentés de s’établir ici clandestinement.
Ulys se tourna de nouveau vers la vitre, observant d’un autre œil le décor si parfait. Les Galatims venaient de dégringoler de plusieurs degrés dans son estime.
Très intéressant cette nouvelle planète, c'est agréable de découvrir petit à petit ton univers. Si tu as prévu une saga c'est vrai que tu pourras explorer plein de possibilités ce qui est très intéressant. On devine dès ce chapitre que malgré ces apparences ce monde-là est loin d'être parfait.
Un peu frustré (comme tout le monde je pense) de ne pas en apprendre plus sur Billie, son passé m'intrigue beaucoup. Mais je prends mon mal en patience, ça va forcément arriver assez vite.
Mes remarques :
"dévala l’escalier au risque de se rompre le coup." -> cou
"le véhicule pouvait s’élever d’une trentaine de mètres au-dessus du sol," -> à une trentaine ?
Un plaisir,
A bientôt !
Je sais que c'est frustrant de devoir attendre pour en savoir plus sur Billie, mais ce n'est pas ma faute : c'est elle qui garde le secret ! XD J'espère que tu ne t'ennuieras pas en attendant.
Merci pour la coquille cou/coup, elle est belle, celle-ci !
A bientôt, merci pour ta lecture et ton retour !
Ah, excellent le tourisme médical spatial !
Tiens puisqu’on parle du chat, il a été plutôt oublié dans les derniers chapitres, alors que dans la situation troublée, on aurait imaginé qu’il puisse apporter un réconfort…
Pour l’oubli de la précédente planète, on imagine bien en effet qu’ils aient peu envie de s’en souvenir, même si comme je l’ai dit dans un commentaire précédent, c’ets un peu frustrant…
Détails
Monté sur des coussins d’air très puissants, le véhicule pouvait s’élever d’une trentaine de mètres au-dessus du sol : ça parait bien haut pour des coussins d’air…
Je vais jouer sur la frustration, en effet, pour que celle du lecteur soit bien "accompagnée".
Bonne remarque, sur le chat, mais je dis au début que Tan est allergique, ce qui pourrait expliquer qu'il ne figure pas au casting. Ou alors je pourrais en jouer, tiens : dire qu'il demande à le voir malgré son allergie. Je vais y réfléchir.
Et enfin les coussins d'air... ce n'est pas par hasard, cette hauteur. Je pourrais utiliser le terme "propulseur", ça ferait plus crédible.
Merci pour ta lecture et tes commentaires ! J'espère que la suite te plaira.
Là on passe vite à autre chose et je vois encore mal son utilité.
J'ai hâte de voir ce que la nouvelle planète réserve à l'équipage ! La précédente a vite disparu de leurs esprits en tout cas.
Comme c'est de l'exploration spatiale, je voulais qu'il ait deux planètes. Mais (spoiler alert) ça ne veut pas dire qu'on n'entendra plus parler de la première ;) Ceci dit, vu l'expérience qu'ils y ont vécu, ça ne me paraissait pas déconnant qu'ils n'en parle pas plus que ça. Qu'en penses-tu ?
Merci pour ta lecture et tes remarques !
Non effectivement, pour le côté réaliste ça me paraît normal qu'ils ne s'attardent pas là-dessus. Mais comme on est dans une histoire et qu'il y a une progression, comme lecteur on s'attend à ce qu'on ne s'attarde longuement que sur des détails pertinents pour l'intrigue. Là, on se demande à quoi cette péripétie a servi, mais ça s'éclaircira sans doute plus tard !