Chapitre Huitième,
Paname, Terre 33, XXème siècle
Lake ouvra ses yeux sur le vide. Il n’avait pas dormi. Il ne dormait plus depuis cet instant funeste où il s’était extirpé de son état de cryogénisation. Fuyant un long sommeil pour vivre à jamais dans les ténèbres. Il n’aurait plus jamais plus besoin de dormir. Il le savait. Son corps résisterait encore longtemps aux affres de la vie. Il ne ressentait ni fatigue, ni froid, ni peur. Il ne sentait qu’elle. Cette fille qui le traitait comme un chien et l’avait pourtant sauvé d’une mort certaine. Elle avait beaucoup pleuré cette nuit malgré ses airs de femmes autoritaires. Il y avait en elle une grande sensibilité. Lake la sentait sans pour autant la ressentir. Elle n’avait pas menti. Ils seraient liés à jamais.
Lake observa pensivement sa main. Il se demanda à quoi il devait ressembler sans sa vue. Comment Charlotte, puisque c’est ainsi qu’il devait l’appeler, le voyait-il ? Une image de lui-même naquit au creux de son esprit. Il revêtait un large manteau bleu aux manches tombantes. Il était grand, beaucoup plus grand qu’il ne l’était en réalité. Il respirait l’aristocratie et le dédain. Il ressemblait à…à son père ?
La porte de la chambre s’ouvrit et Charlotte se positionna dans l’embrasure avec nonchalance. Lake ouvrit grand ses yeux noirs, elle lui dit d’un air renfrogné :
- C’est vous qui m’avez demandé après tout.
Il la mesura un instant. Son corps baignait dans la lueur matinale. Il était mince et grand. Elle portait maintenant des habits de ville qui lui allaient à merveille. Les cheveux sales s’étaient transformés en une longue crinière auburn. La seule chose qu’il reconnaissait était ces yeux gris perçants et froids comme l’acier. Il se redressa pour s’asseoir sur le lit :
- Bonjour Charlotte. Cette image neuronale c’est toi qui l’as implantée dans ma tête ?
La jeune fille mima l’exaspération et roula des yeux :
- Vous les Premiers Hommes…toujours à penser en termes de Grande Technique et d’implantation. Je ne vous ai rien fait Petit Duc, vous m’avez forcée à entrer en contact direct avec votre esprit. Vous avez demandé qu’elle image j’avais de vous. Vous l’avez vue, c’est tout.
- Tu veux dire que la Technique n’a rien à voir là-dedans ? Ça me paraît…difficilement croyable.
Charlotte émit un lourd soupir puis se dirigea vers la fenêtre qui faisait face au lit. Elle allait l’ouvrir puis se ravisa au dernier instant, semblant se souvenir du sortilège qui avait été placé par Madame Suzanne. Elle s’assit sur le rebord et laissa aller son dos contre le mur bleu-vert.
- Je comprends que vous ayez du mal à croire l’histoire que je m’apprête à vous raconter mais je vous demande d’avoir un esprit ouvert.
- Je te promets que je ferai mon possible.
Elle détourna son regard de Lake et le plongea dans le vide, au-delà de la fenêtre, de la lumière aveuglante de l’aube et du temps lui-même.
- Il a très longtemps ton peuple est venu sur cette planète. Vous l’appelez Terre 33 car il s’agit de la 33ème planète que l’Homme choisissait de peupler avec les siens. Votre colonie a grandi. Nous étions livrés à nous-même comme il est de coutume. Nous avons traversé les âges comme vous et asservi la Terre comme vous mais quelque chose s’est produit.
Lake écoutait, pendu aux lèvres de Charlotte, cette histoire de la colonisation stellaire qu’il avait tant lu dans les livres mais jamais vécu. Elle n’était pas censée savoir tout ceci. Les implications de ce savoir, aussi dangereuses qu’extraordinaires, le fascinaient. Charlotte leva sa main dans la lumière puis poursuivit :
- Une femme de ton monde est apparue. Elle est descendue de son vaisseau spatial et a éduqué cette Terre pour qu’elle ne ressemble à aucune des colonies que vous aviez construites. Elle s’avait manier l’art de la technologie. Nous n’étions qu’au commencement de notre civilisation et nous l’avons aveuglément suivi. Ici on l’appelle « la Caster Alia». La Caster Alia nous expliquât le but de l’entreprise des hommes comme votre père. Ils voulaient reproduire le schéma historique de leur propre Histoire pour mieux la comprendre. Ils nous utilisaient comme cobayes pour comprendre comment ils étaient nés, d’où venait l’humanité. Peu importait les guerres et les morts, les maladies et la famine. Ce qui comptait c’était de comprendre à tout prix pour maîtriser la puissance de cette compréhension pour qui sait quoi ? Plus d’horreurs ? Plus de planètes ?
Elle fit une pause comme pour rassembler ses esprits. Lake sentait sa colère et sa lassitude comme si elles étaient siennes. Il ne l’interrompît pas malgré l’angoisse croissante qui montait en lui.
- Nous avons donc suivi la Caster Alia vers des contrées inconnues. Elle nous a appris la beauté de la terre, à apprécier sa rudesse, sa cruauté et sa douceur. Elle nous a donné le libre-arbitre sans jamais faillir. Nous laissant toujours faire nos propres choix, nous apprenant toujours plus. Ce que vous avez vu dehors n’est pas le fruit de la Caster Alia mais de mon peuple. Nous avons préféré la nature à la technologie. Nous avons fait d’autres choix en secret. Et aujourd’hui, alors que nous avions assassiné et remplacé tous les Grands Rouages qui nous avaient été envoyés voilà que votre père débarque avec une armada.
Elle s’était tournée vers lui, son ombre englobant sa silhouette attentive. Il la dévisagea :
- Mon père ne fera jamais de mal à ton peuple.
- Non, je le sais. Votre père circule avec des bombes à antimatière, il n’est pas là pour nous tuer, il est ici pour nous exterminer.
- C’est impossible. Le Conseil ne laissera jamais une telle chose se produire. Les droits de l’Homme stipulent qu’une colonie humaine ne peut pas être exterminée.
- Sauf qu’un détail vous échappe encore.
- Dis-moi.
- N’ayant pas évolué comme vous, nous ne sommes pas tout à fait humains.
- Quoi ?!?
- Et oui…
- Mais vous êtes quoi alors ?
- Nous sommes...autre chose. A dire vrai nous n’en savons rien. La seule chose que je puisse affirmer c’est que nos Sages pensent que cela est lié au Cristax.
La figure de Lake se décomposa. Il rejeta l’angoisse et le déni pour poser la question cruciale :
- Si le Cristax est responsable. Qu’est-ce que ça fait de moi ?
Un silence de plomb s’abattit sur la chambre. Charlotte prit un air grave :
- Justement Petite Duc, je n’en ai pas la moindre idée. Si j’étais l’une des tiens, un Premier Homme je te prendrais sûrement pour un monstre car une partie de toi me terrifie.
Lake pensa : elle m’a tutoyé. Puis : elle me prend pour un monstre. Et je me sens monstrueux.
Devant le silence du jeune homme, Charlotte eut une attitude inattendue. Elle se dirigea vers Lake et s’accroupit à sa hauteur comme si l’étrangeté de ses yeux ne la dérangeait pas.
- Viens, dit-elle, allons déjeuner.
Elle se releva et se dirigea vers la porte.
- Merci, lui lança-t-il.
- Pourquoi ?
- Toute ma vie on m’a observé sans me voir. Ce matin tu m’as vu sans m’observer.
Charlotte esquissa un sourire puis s’éclipsa.
Ce sourire le bouleversa.
Les raisons qui expliquent le pourquoi de l'existence des autres Terres, ça change de l'habituelle colonisation à proprement parler. Je me pose des questions sur ces individus pas tout a fait humains. Possèdent ils des capacités ou leur différence est elle plus subtile ?
Au niveau de l'écriture, je trouve ta plume plus fluide.
A bientôt !
Ton commentaire me fait super plaisir !
Merci de continuer à suivre l'histoire.
A très bientôt !