Deux mois plus tôt.
Esméralda Boranov est le plus belle fille de toutes ces familles de dingues. Avec ses longs cheveux noirs, son visage de poupée et son look un peu gothique, elle attire tous les garçons qui essaient sans succès de se rapprocher d’elle, de la flatter.
Je la couve du regard en gardant mes distances. Déjà parce qu’elle est beaucoup trop bien pour un loser comme moi, et puis aussi parce que sa famille et la mienne se détestent.
Loin de moi l’envie de rejouer une version moderne de Roméo et Juliette. Faut dire que je trouve ça con qu’ils meurent tous les deux à la fin. Avec les téléphones portables et les réseaux sociaux, c’est plus possible ce genre de quiproquo.
Quoi qu’il en soit, elle ne me regarde pas. Du tout. En fait, elle ne regarde personne, même pas ses parents. Elle mate ses doigts manucurés. Ils sont jolis, faut pas croire, mais c’est la première Porteuse de Lumière depuis une génération alors ça fait bizarre de la voir avec la même attitude que d’habitude. Cette réunion, a été organisée en son honneur quand même. C’est pas dans ma famille qu’on verrait ça. Les autres nous toisent en permanence. On doit pas être assez bien pour s’occuper du soleil. En attendant, c’est grâce à nous qu’il fait jour, que les récoltes poussent et que le moral remonte au printemps.
Bref.
Savoir qu’Esméralda allait assister à la réunion, c’est la seule et unique raison qui m’a poussé à venir. Je savais qu’elle ne pourrait pas s’en échapper comme les fois précédentes. Ça me fascine qu’elle soit inaccessible. Enfin pas de façon morbide, je la stalke pas. N’allez pas vous imaginer des horreurs – genre un autel avec des photos d’elle partout ou des faux comptes sur les réseaux sociaux pour la voir en petite culotte.
Et puis, vraiment, je me demande pourquoi elle s’en fiche. Est-ce qu’elle aussi trouve que ça tient plus de la malédiction que de l’honneur ?
Mon côté « fan de séries policières » prend le dessus et je prépare un plan dans ma tête : demander à Gustave, mon pote de l’Est, de se renseigner ; et si ça ne fonctionne pas, profiter du Discord des Porteurs de Lumières pour lui envoyer un message privé.
Je me mets à rire tout seul. Bah oui, Joakim, comme si la sublime Esméralda allait te répondre. T’as l’air d’un troll des montagnes à côté.
Bref.
Ni une, ni deux, je profite qu’elle sorte son téléphone pour en faire de même. Quelques messages et elle lève les yeux vers moi, ses lèvres entrouvertes, une mèche de ses cheveux en travers de son visage. Je réprime l’envie de foncer l’embrasser.
C’est pas bon ça. Faut que je me calme.
Je baisse la tête et j’attends.
C’est décalé, c’est déjanté, c’est sans queue ni tête mais j’aime bien. Les références sont bien placées et bien trouvées. Ça ne ressemble à rien et pourtant, ça se lit très bien.