Une enfant comme les autres (partie2)

Rowan s’avançait lentement. Un pas après l’autre, scrutant tout sur son passage. Les esprits présents, la nature, qu’il s’agisse de la faune ou de la flore. Il s’abaissait parfois pour insuffler une seconde vie à quelques fleurs qui, déjà, courbaient la tête. La nature devait continuer de prospérer, de s’étendre, ne pas se laisser abattre pour quelques êtres non respectueux. Elle devait rester forte, fière et reprendre ses droits dès que l’occasion se présentait. Les derniers mètres qui le séparaient du trio ne lui prit pas autant de temps. Il avançait sereinement, toujours heureux de voir que la jacinthe, le coquelicot et le chêne continuaient de s’entendre et de faire les choses ensemble. Ses réflexions se stoppèrent dès lors qu’il repéra l’enfant dans les bras d’Isla, si petit et livré à lui-même. Rowan secouait la tête de mécontentement devant cet acte plus qu’ignoble et venait se poster devant eux. Loup fut le premier à relever son visage vers lui et maugréa. 

“Voyez vous même grand Esprit, ce charmant cadeau laissé au cœur de votre demeure.” 

- Silence Loup. Je suis seul juge de la teneur de ce cadeau. Le stoppa Rowan en levant sa main branchue devant lui.

L’ironie ne passait jamais avec lui, le jeune esprit ne le savait que trop bien, mais il était toujours trop tentant pour lui de s’y essayer coûte que coûte. Isla n’avait pu réprimer un léger sourire en entendant leur père remettre son ami en place. Au moins quelqu’un qu’il écoutait ce petit grincheux. Levant la tête à son tour, puis se remettant sur ses jambes, elle tremblait légèrement, son corps ondulant comme secoué par le vent et présenta l’enfant comme elle le pouvait en murmurant.

“Il s’agit d’une petite fille, Votre Grandeur, elle est encore bien jeune. Je ne suis pas très certaine en ce qui concerne son âge. Je dirais qu’elle n’a pas encore passé une année complète.”

- Je vois cela en effet. Elle ne doit même pas tenir sur ses jambes. La laisser ainsi causerait sa perte. Nous ne sommes pas des monstres, nous ne pouvons ignorer cette détresse qui est désormais la sienne. Affirma le Grand Esprit qui détaillait la petite fille de la tête aux pieds.

- Il y a une ferme à quelques kilomètres au Nord, nous pourrions l’y déposer ? Argua Loup en se redressant comme s’il était prêt à l’y emmener lui-même.

L’esprit des chênes ne savait se taire, ne pouvait se taire. Les paroles de Rowan semblaient aller dans le sens d’Isla, mais garder l’enfant ici, ils ne le pouvaient pas, c’était insensé! Le regard courroucé du grand Esprit le fit grimacer. Il devait se taire ou finirait par en payer les conséquences. Il se ravisa, venant de nouveau ployer le genou en marmonnant.

“Il sera fait selon votre volonté Grand Esprit, je ne cherchais qu’à soumettre une idée.” 

- Mais si les autres humains ne voulaient pas d’elle, s’ils lui faisaient du mal, ce serait aussi de notre faute n’est-ce-pas Rowan? 

La petite voix fluette d’Anthéa s’était levée. Sa douceur et son innocence étaient entières mais pourtant son raisonnement tombait sous le sens. Avec des “ si” ils pouvaient bien refaire le monde mais Isla hocha gravement la tête. Petite Humaine avait été abandonnée une fois, rien n’assurait qu’ailleurs, avec d’autres de ses semblables sa vie serait meilleure. Par contre, ici avec eux, tout irait pour le mieux. Ils étaient nombreux et veilleraient sur elle tous ensemble, c’était une certitude.

“ Et la journée? Qui s’occupera d’elle, nous ne sommes pas en mesure d’être là, de la bercer, de la cajoler, de la nourrir, ni...bon sang cette odeur ne me dites pas que c’est elle qui a fait ça! Même les putois sentent moins fort!!! Clama Loup en fronçant le nez.

Sa réaction ne manqua pas de faire rire la petite cadette du trio. Leurs deux visages se tournaient vers la fillette dont la peau devenait aussi rouge que les pétales d’Anthéa et Isla la fixait, les yeux écarquillés ne sachant plus vraiment quoi faire de ce petit paquet malodorant. Ils étaient plutôt mal partis, elle devait bien le reconnaître, Loup avait mis le doigt sur un problème réel. Le grand Esprit avait par sureté fait un pas en arrière, son regard passant de l’un à l’autre de ceux qu’il nommait affectueusement “enfants” et laissa un long souffle parcourir la forêt. L’appel des chefs de chaque espèce et de tous les esprits qui les représentaient. Personne ne pouvait y échapper, personne ne pouvait l’ignorer. Ils allaient patienter, et délibérer. Isla avait par réflexe éloigné légèrement la petite fille avant de regarder autour d’elle sous l'œil amusé de Loup et Anthéa. Aidée par l’une de ses plus proches amies, la jeune Isla s’était hâtée de retirer la couche de la petite fille pour la rendre plus présentable à tous les points de vue.
L’esprit des chênes s’était éloigné aussi, non pas pour se détourner de l’odeur mais pour observer le ballet des chefs et des esprits qui répondaient présents. Certains se hâtaient, les autres non. Il fit alors volte face en sentant la présence de son père derrière lui et baissa aussitôt les yeux par principe plus que par respect.

“Loup, rends moi un petit service veux-tu? commença-t-il d’une voix doucereuse.”

- Bien sûr, laissez-moi deviner. Ne rien dire et ne pas faire d’esclandre? Marmonna Loup en guise de réponse.

- C’est l’idée, en effet,  je comprends ton point de vue, mais nous devons respecter toute forme de vie! Argumenta le Grand Esprit.

- Oui, je la respecte. Mais elle n’est pas de chez nous, chacun chez soi, c’est bien aussi non? Grogna-t-il malgré lui.

- Nous ne sommes pas des monstres, n’oublie pas ça! Conclua Rowan.

Le laissant seul sur ces dernières paroles le Grand Esprit allait accueillir les premiers arrivants qui observaient déjà, ébahis ou stupéfaits, la petite humaine. Loup s’en était détourné, ses prunelles se portaient sur l’horizon et les champs qu’il avait à perte de vue. Bien qu’isolé volontairement, il laissant le vent lui porter les voix des uns et des autres, écoutant tout ce qu’ils se disaient et comprenait rapidement que certains étaient d’ores et déjà de son avis. Rowan n’allait pas apprécier, il en était certain et un petit sourire narquois prenait place au bord de ses lèvres. Finalement cela risquait de devenir intéressant. 

 Rowan les faisant taire d’un signe de main lorsqu’ils furent tous présents, il appuya un regard strict sur son fils récalcitrant resté en retrait. De là où il était, il pouvait voir ses feuilles hérissées en crête sur le dessus de sa tête mais sentait que malgré tout il prenait sur lui pour ne pas faire un nouveau pas de travers.
 

“Ce soir mes amis, des humains ont eu, l'extrême bonté de nous laisser un petit cadeau. annonça-t-il. Pourtant nous estimons, nous autres, êtres de la forêt, que ce sujet doit-être traité avec vous tous, ici présent. Je vous remercie par ailleurs d’avoir répondu si promptement à mon appel. Ce petit humain que vous voyez tous, a été laissé ici, au pied d’un arbre, le laisser seul lui assurera une mort lente et douloureuse.”

- Faut-il abréger ses souffrances? Demanda alors une voix qui s’élevait à l’arrière de l’attroupement.

- Renard, toujours le mot pour rire n’est-ce pas ? Marmonna l’Esprit des Cerfs en levant les yeux vers le ciel.

- Absolument pas! Les humains chassent et tuent des êtres vivants pour leur bon plaisir, je propose juste de rendre service, c’est différent! Clama le premier en reprenant immédiatement son apparence d’origine pour se diriger plus facilement vers son rival.

- Silence vous deux! Nous sommes intelligents, altruistes et empathiques. La mort n’est pas une solution envisageable. Voici les choix qui s’offrent à nous. Déposer cette enfant près de la demeure d’humains en espérant qu’ils s’en occupent ou la garder et l'élever ici même, avec nous. 

Il l’avait fait exprès, Loup en était persuadé. Laisser l’option de la faire rester avec eux en second choix. Le dernier avant de se taire pour qu’ils ne réfléchissent et n’envisagent cette option que comme étant la meilleure. Très malin! Il fit volte face pour aller les rejoindre et vint se poster près de Renard en chuchotant*

“J’aimais beaucoup ta proposition, dommage qu’elle ne soit pas retenue.”

- Un accident est si vite arrivé dans cet environnement hostile aux bipèdes. Railla l’Esprit malin.

- Que la lune m’en soit témoin, je ne suis pas un bipède! Ricana Loup en toisant son ami.

- Les bipèdes sont les humains voyons. Comme celle-ci. Maugréa Renard en dardant son regard sur l’enfant toujours dans les bras d’Isla avant d’ajouter. Ils l’ont déjà adoptée n’est-ce-pas? 

La question n’attendait pas de réelle réponse, il en avait conscience. C’était l’évidence même. Un attroupement s’était fait autour d’Isla et de son amie qui prenait à son tour la petite humaine dans les bras. Chacun y allait de son commentaire mais tous les avis venaient à laisser entendre qu’ils devaient la garder auprès d’eux, l’élever comme l’une des leurs et lui laisser une chance. Loup ne supportait plus de les entendre. Ses racines se serraient, tout comme son coeur. Cette situation n’était pour lui, qu’une vaste blague et ils finiraient par ouvrir les yeux. Ce serait sûrement trop tard mais là, il pourrait dire “j’avais raison”. Bougonnant, il relevait son regard vers les étoiles, ne pouvaient-elles pas faire un signe, ou n’importe quoi qui pourrait faire entendre raison aux peuples de la forêt. Le ciel était calme, chaque étoile bien à sa place. Rowan réclamait une fois de plus le silence, proposant un vote. Seules cinq voix allèrent à contre courant mais l'unanimité faisait foi et il clama haut et fort pour que chacun l’entende bien.

“Mes amis, mes enfants! Ce soir, sous le regard bienveillant de notre astre bien aimé, nous accueillons une nouvelle enfant. Symbole que tous ensemble nous pouvons construire un nouveau monde, où le respect et la tolérance sont les maîtres mots. Je vous demanderais à tous de veiller sur elle, de l’élever et lui apprendre tout ce qu’elle a besoin de savoir pour vivre en harmonie avec nous. Apprenez lui le langage du vent, celui de chaque espèce. Apprenez lui ce qu’est la vie, la compassion et le respect. Elle aura besoin de chacun d’entre nous, chaque jour, pour s’élever et fleurir.” 

Chaque mot était posé, réfléchi. Un coup de hache dans chaque parcelle du corps de Loup qui pourtant ne bronchait pas, étonnamment. Lentement Isla s’approchait du grand esprit avant de murmurer. 

“Nous devrions lui trouver un nom à cette petite. Et comme nous devons la laisser fleurir. J'ai pensé à Florie.”

Sa voix douce pourtant si perceptible aux autres êtres de la forêt fit instantanément sourire tout un chacun. Le grand Esprit venait à se retourner et tendit l’une de ses branches pour saisir la fillette. La berçant jusqu’à ce qu’elle soit au plus près de lui, il vint la présenter à tous, sous la lumière de la lune avant d’annoncer que l’enfant, Florie, était dès à présent au même titre que les autres, l’une de ses enfants et qu’une atteinte quelconque à sa vie ou son bonheur serait répréhensible au delà de tout ce qu’ils connaissaient. 

Le temps avait filé, la course de la lune au-dessus d’eux touchait à sa fin, chacun devait reprendre sa place, repartir de là où il venait pour que rien ne puisse les trahir. Une existence passive, douce et cachée pour se protéger encore et toujours. Quelques être s’étaient hâtés de préparer un berceau de lianes et de feuillage pour préserver l’enfant, emmitouflée elle partait vers la tanière la plus proche, escorté par sa nourrice de la nuit. Lovée entre la biche et son petit pour lui tenir chaud, ils savaient tous que cette petite vie allait bouleverser leur destin. Il ne pouvait en être autrement.