Une vie pour deux (partie1)


Chapitre 2
 

Les jours se suivaient, se ressemblant parfois plus ou moins. Certaines fois le calme régnait et les esprits pouvait se plaire à écouter les oiseaux entonner leurs chants puis un passant arrivait avec son fidèle ami à quatre pattes qui s’égayait entre les arbres en courant à perdre haleine. Si quelques-uns trouvaient cela des plus agréables ou adorables, Loup, lui, avait pris l’habitude de les observer de loin, de chercher à comprendre comment et pourquoi l’animal n’en profitait pas pour retrouver sa liberté car le scénario se répétait. L’animal courrait, s’amusait et soudain l’Homme sifflait et le canidé revenait sans hésiter avant de se voir entravé, attaché, et de suivre l’humain gaiement pour repartir de là où ils venaient. Ce spectacle était effarant mais toujours moins désagréable que ces autres journées où la forêt se retrouvait sans dessus dessous. Les cris des humains, les branches arrachées qui craquaient sous la pression des hommes pour devenir des armes “pour jouer” de leur progéniture. D’autres branches étaient coupées, taillées, fixées dans les écorces avec des pointes qui meurtrissaient l’arbre. Ils disaient “cabane”, les Etres entendaient “torture” et Loup comprenait “ce sont eux les monstres”. Ce n’était presque rien pourtant en comparaison de ces matins où ils arrivaient avec des meutes de chiens, il voyait les renards, les lapins, les cerfs ou mêmes les sangliers chercher à tout prix à se mettre à l’abri mais il arrivait qu’ils rentrent dans les terriers, qu’une fumée épaisse viennent les faire suffoquer et rien n’existait plus que la mort qu’ils provoquaient sur leur passage. Les esprits ne pouvaient-ils rien faire? Rowan ne pouvait-il pas tous les protéger?

Florie avait été mise à l’écart, là où les Hommes ne pouvaient pas mettre les pieds. Le Grand Esprit avait tenu un conseil spécialement avec ses enfants pour les prévenir qu’elle serait la première, et certainement la seule, humaine à pouvoir passer le portail qui les menaient à son royaume.
 

L'été avait pris fin et avec lui, les couleurs chatoyantes de l’automne redécoraient la forêt. Beaucoup d’animaux préparaient déjà l’hiver. Faisant leurs réserves, nettoyant leurs terriers, tanières et autres demeures. Ils s’activaient tous sans relâche alors que Rowan s’évertuait à protéger les demeures de chacun. Un travail fastidieux qui ne laissait nulle place au hasard et à la précipitation. La moindre erreur pouvant être fatale. 

La vie avait repris un cours des plus normal si tant était que l’on puisse le dire ainsi. Au milieu des Esprits et des animaux, la petite fille avait fait ses premiers pas. Se déplaçant à quatre pattes depuis quelque temps, elle avait fini par se redresser sur ses deux jambes et semblait tout à fait à son aise. Chaque jour elle restait sagement auprès des siens, chacun se relayant pour lui tenir chaud ou la nourrir. Isla malgré sa fatigue venait traverser le portail magique et l’étendue de la forêt pour retrouver et changer l’enfant qui lui faisait toujours une vraie fête. Son sourire et ses gazouillis effaçaient tout le reste. Sur sa petite tête à présent s’emmêlait une chevelure brune qui ondulait pour venir parfaire son visage et ses grands yeux verts qui ne demandaient qu’à découvrir le monde.
Le soir tout recommençait. Les uns et les autres sortaient enfin et Florie profitait de son environnement. Son éducation passait par tous les stades, la nourriture, les longs discours pour lui expliquer la vie, le respect et enfin, elle suivait les plus jeunes comme elle le pouvait pour jouer au milieu des arbres et des feuilles qui jonchaient le sol en craquant sous ses petits pieds. Un jeu pour elle mais qui reflétait parfaitement une enfance des plus extraordinaires. Les jours de pluie, elle finissait toujours trempée avant de se blottir contre la fourrure de l’une de ses mères de substitution.
Ce fut pourtant à cette période que l’inévitable se produisit, le froid, les mères allaitantes qui la repoussaient pour nourrir leurs nouveaux petits, pour elles la fillette était trop grande désormais et comme les petits de la portée précédente, elle devait se débrouiller seule. La différence entre les animaux et les humains se trouvait bien là. Elle était sans défense. Certains allaient hiberner et l’enfant ne pouvait plus compter sur eux autrement que pour un peu de chaleur. Ses pleurs et ses cris stridents déchiraient la nuit. La voir ainsi, enrhumée et fiévreuse, rendait la tâche compliquée pour Rowan qui contemplait ce désastre avec la plus grande peine. Ils n’étaient pas humains, n’avaient jamais eu à se confronter à ce cas de figure et il secouait la tête avant de souffler.

“Nous ne pouvons rien pour elle, quand les animaux sentent leurs petits trop fragiles ils les abandonnent à une mort certaine pour s’occuper de ceux qui sont viables mais elle? Que va-t-elle devenir? Qu’allons nous faire?”
- Nous aurions dû la remettre aux siens, c’était une erreur dès le départ. Argua Loup sur un ton monocorde pour dissimuler sa satisfaction.
- Loup, tu ne vas pas recommencer, nous ne l’abandonnerons pas! Le coupa le Grand Esprit.
- C’est vous qui venez de dire que nous ne pouvons rien pour elle. Si nous ne la rapportons pas aux humains alors elle est promise à une mort lente et douloureuse. Affirma l’esprit en contenant un soupir.

Comme toujours depuis l’arrivée de Florie,le trio s’était réuni pour lui rendre visite. Anthéa et Isla avec ferveur et Loup bon gré mal gré. Ses mots n’avaient jamais changé malgré les divergences avec ses amis et l’état de Florie le poussait une fois de plus à ne pas se réfréner. Elle était malade et eux ne pouvaient rien en changer. Il contemplait l'œuvre de Mère Nature, c’était certe très sarcastique de sa part de penser ainsi et ses deux amies se sentaient autant peinées de voir l’état de la fillette que de voir à quel point le cœur de leur compagnon était dur. Les chansons et les bercements d’Isla ne changeaient rien, entre toux, pleurs et visage rougit, l’état de Florie restait plus que préoccupant.

*****

 

Le royaume que Rowan avait créé il y avait de cela des siècles était un véritable havre de paix pour les esprits. Ces derniers avaient tout le loisir de s’y rendre dès lors qu’ils sentaient qu’ils en avaient besoin. Là, aucun humain ne pouvait s’y rendre. Là, rien ni personne ne pouvait les blesser ou pire. Là ils pouvaient être pleinement eux-mêmes sans se soucier de quoi que ce soit. Libres de prendre l’apparence qu’ils souhaitaient et de se reposer. Tout n’était que nature sauvage, une flore exceptionnelle qui réunissait une grande diversité d’arbres et de fleurs. Un petit ruisseau s’écoulait d’un point à l’autre du royaume pour parfaire l’endroit de ses petits clapotis. Et en son centre, les esprits avaient érigé un monument, semblable à une demeure pour que le Grand Esprit et sa femme puisse y vivre et eux, savaient que les portes leurs seraient toujours ouvertes. Pourtant, il y avait bientôt une semaine que plus rien ne filtrait à l’extérieur. Les portes closes du domaine royal laissaient toute la population des esprits dans un état d’anxiété à nul autre pareil. Le couple allait voir arriver au monde leur premier enfant. L’angoisse de la mère, les craintes du père, tous leurs proches, ou presque, en branle bas de combat autour d’eux et Rowan qui s’évertuait à faire les cent pas avant de lever la tête vers le ciel étoilé. La pleine lune serait ce soir au rendez-vous, elle serait là pour accueillir son héritier, lui donner sa force, sa patience et sa bienveillance pour toute chose et tout être.

Derrière les murs de la demeure, le brouhaha incessant se muait désormais en un silence presque total. Seuls quelques bruits de pas résonnaient au loin avant d’être totalement inaudibles et là, au pied du saule pleureur, Lysaé avait vu sa patience récompensée. Elle lui offrait le spectacle inestimable de la naissance. Son corps tendu et à bout de force offrait la vision de son petit bourgeon prêt à éclore. Il leur avait fallu de la patience, beaucoup de magie et l’accord de la lune pour que, de leurs deux natures si différentes, ne puisse voir le jour cette petite graine unique en son genre. Sa main lâcha alors celle de Rowan, leurs deux visages s’offrant aux lueurs de la Lune, ils savaient qu’il était temps. L’extérieur était dégagé de tout obstacle, les derniers instants étaient des plus importants et le Grand Esprit en avait bien conscience.
Le bourgeon s'ouvrait enfin, les deux parents l’observaient attendris et émus. Ses petits yeux étaient encore fermés, son corps minuscule et frêle avait une douce couleur verdoyante. D’eux deux il avait pris la composition florale de sa mère et contre toute attente Rowan s’en sentait extrêmement fier. Lysaé et son frère étaient les deux seuls de leur espèce ici dans la forêt alors un troisième comme eux ne serait pas de trop. Méticuleusement il prenait l’enfant pour le déposer au sol et reprit sa place à côté de sa femme. Ils l’avaient voulu, désiré et attendaient désormais de voir la magie opérer pleinement.  Un premier rayon de lune venait entrer en contact avec la jeune pousse la faisant instantanément luire de mille feux, un second pour l'élever dans les airs. Son scintillement ne pouvait passer inaperçu, chaque Être se trouvant aux alentours ne pouvait que reconnaître ce signe, l’héritier royal naissait.
En apesanteur, l’enfant royal se transformait en un nuage de fumée avant de reprendre consistance. Un troisième rayon de lune le touchait, la lueur qui jusque-là l'entourait se propageait dans le ciel et lentement, virevoltant comme une plume il se posait de nouveau au sol. Laissés seuls pour saluer leur petite progéniture Rowan et Lysaé s'avançaient, sourire aux lèvres. Enfin, ils étaient de jeunes parents et avaient la possibilité de connaître leur enfant. Leur bonheur cependant, ne fût que de courte durée, tout ne s’était pas passé comme prévu et leurs sourires se réduisirent jusqu’à devenir des grimaces de douleur.

“Lysaé, qu’est-ce que cela signifie? La lune se serait-elle jouée de nous? la questionna le Grand Esprit”
- Je…je ne sais pas! Rowan..il ne va pas survivre, notre enfant se meurt déjà. Qu'avons-nous fait pour mériter une telle tragédie? parvint-elle à murmurer au bord des larmes.


Le désarroi se lisait à leurs expressions effarées, leurs voix semblables à des murmures ils se comprenaient sans avoir à dire tout haut ce qu’ils pensaient au plus profond d’eux. Devraient-ils présenter malgré tout leur enfant au reste du monde? Comment leur dire qu’ils n’auraient pas de successeur? Lysaé osa porter l’enfant dans ses bras, le caressait tendrement du bout de ses pétales qui se recroquevillaient sous la peine qui l’animait, les larmes qui coulaient abondamment sur ses joues étaient semblables à une tempête sur la mer. Aucun parent ne méritait ça, aucun ne pouvait accepter cette fatalité. L’enfant ne pleurait pas, sa respiration ne tenait plus qu’à un fil lorsque Rowan laissa un grondement sonore quitter ses entrailles. Nul ne pouvait pourtant l’entendre hormis celui à qui l’appel était destiné. Ce dernier, lorsqu'il l’entendit, poussa un profond soupir. Le vent lui chuchotait alors à l’oreille la requête du Père, lui emmener Florie, maintenant, dans la cour du domaine.

Loup ne comprenait pas le but de cette manœuvre, la petite humaine pleurait, s’agitait, tremblait, et il devait prendre cette chose dans les bras! Il aurait voulu contester mais le grondement reprenait de plus belle et le côté pressant prenait le pas sur son dégoût et tout le reste. Sans accorder un regard à Anthéa et Isla, le jeune esprit effleura la peau brûlante de l’enfant avant de la porter, la pressa contre lui et disparut dans la nuit malgré les interrogations et la panique qui avaient saisi ses deux amies. Il était partit sans un mot, sans une explication et malgré leur vaine tentative pour le suivre ce fut Isla qui retint sa cadette .

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Isahorah Torys
Posté le 15/01/2023
j'ai bien aimé découvrir la petite grandir, savoir comment les esprits s'en occupent. je suis heureuse que tu abordes la question du nourrissage, car je me disais que c'était la partie difficile, trouver du lait adapté au bébé.

Tu pourrais couper ce chapitre en deux. l'un consacré à l'éducation du bébé et l'autre à la naissance de l'héritier.

Ma première impression en lisant ces deux scènes est que la petite et l'héritier seront liés l'un à l'autre, d'une manière ou d'une autre. j'espère être surprise par le dénouement.

Quelques pinaillages : Dans l'ensemble, ton texte se lit plutôt facilement, même si on rencontre quelques accrocs. Tu décris plutôt bien l'environnement, c'est une bonne chose.

je te donne quelques exemples de remaniements que j'ai décelés sur le premier paragraphe pour te donner des pistes pour lui suite de tes corrections.

Les jours se suivaient, se ressemblant parfois plus ou moins (pour moi, le plus ou moins est en trop)

(correction de la ponctuation : Certaines fois, le calme régnait et les esprits pouvait se plaire à écouter les oiseaux entonner leurs chants. Puis un passant arrivait avec son fidèle ami à quatre pattes qui s’égayait entre les arbres en courant à perdre haleine. )

l’animal n’en profitait pas pour retrouver sa liberté car le scénario se répétait (tu peux supprimer car le scénario se répétait, c'est implicite)

avant de se voir entravé, attaché (choisis l'un des synonymes, les deux sont redondants)

Ce spectacle était effarant mais toujours moins désagréable que ces autres journées où la forêt se retrouvait sans dessus dessous (mais toujours moins désagréables que lorsque la forêt se retrouvait sans dessus-dessous)

des armes “pour jouer” de leur progéniture ( alors ici je te propose ; des armes-jouets pour leur progéniture, ou tout simplement, des jouets pour leur progénitures (c'est implicite, quand tu dis qu'ils cassent des branches pour en faire des jouets, on s'imagine très bien la scène et des jeux qui peuvent en découler)

Attention, tu utilises beaucoup les pronoms que-qui... tu pourrais essayer de remanier pour alléger tout ça.

Attention aussi aux choix de mots, ou à ta conjugaison :
La moindre erreur pouvant être fatale. Ici, dans cette courte phrase tu ne peux pas utiliser pouvant. Tu dois utiliser pouvait. Sinon, il faut la relier à la précédente phrase.

Sur sa petite tête à présent s’emmêlait une chevelure brune (attention, tu ne peux pas utiliser les termes relatifs au présent dans un texte au passé, ça n'a pas de sens ^^tu en as quelques uns dans ton chapitre, il faudra les chasser, sauf dans les dialogues bien sur)

Attention à la forme de tes incises aussi ^^
Syanelys
Posté le 23/12/2022
Bonjour,

En effet, pas mal d'émotions dans ce chapitre. J'aime beaucoup le contraste entre les animaux prisonniers des humains ravageurs et la petite Florie prisonnière de sa condition humaine face aux priorités de la nature.

La naissance était vraiment poétique avant que la mélancolie ne s'empare de cette scène. Entre la requête de Rowan et le titre du chapitre, j'espère que Florie ne deviendra pas l'objet d'un destin forcé du successeur du Grand Esprit...

Du coup, faudra que je me plonge dans le chapitre suivant !
Elly Rose
Posté le 23/12/2022
Bonjour à toi,

Je suis véritablement heureuse que ce chapitre puisse également te plaire. En effet, j'aime beaucoup jouer sur les contrastes dans cette histoires et savoir qu'ils peuvent être perçut par les lecteurs me fait énormément plaisir.

J'aime le fait de jouer avec les émotions, de balader le lecteur pour que rien n'aille totalement dans un sens ni dans l'autre et j'espère malgré tout que la suite saura te plaire malgré tout!
Camille Octavie
Posté le 18/12/2022
Bonjour !
Chapitre très émouvant je trouve !
J'espère que les deux enfants vont pouvoir être sauvés !
C'est encore une fois très poétique comme univers. Ça me fait un peu penser à Miyazaki.
J'aime beaucoup !
Elly Rose
Posté le 18/12/2022
Bonjour à toi Camille,
Déjà, je suis vraiment très heureuse que les émotions puissent passer. C'est une histoire qui m'a toujours tenue à cœur et la partager n'est pas simple!
Waaah oui, l'univers de MIyazaki est magnifique et si l'ambiance s'y retrouve même un peu je suis refaite!
Merci infiniment à toi
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