Juste après avoir quitté les Langlois, Axel dépensa les quelques sous qu’il lui restait pour s’acheter une miche de pain et retourna s’enfermer dans la chambre qu’il louait. Il allait faire plus que produire quelques notes.
Il y passa une bonne partie de la nuit, jusqu’à ce que la chandelle rende l’âme et qu’il se retrouve dans le noir. Il gagna son lit à tâtons et s’endormit immédiatement. Réveillé comme tous les matins à l’aube par les cris du livreur de lait, il recopia son brouillon sur une belle feuille, de sa meilleure écriture.
À dix heures, il était introduit par la même bonne que celle qui avait fait le service la première fois. Elle le laissa dans le petit salon de Mlle Langlois. La pièce donnait sur le jardin, dont on ne voyait que les branches nues des arbres tendues vers un ciel désespérément gris. L’ameublement était bien plus discret que celui du salon. Des peintures champêtres, où des nymphes s’ébattaient dans des prairies, égayaient des murs bleu clair. Les vases de cristal ne contenaient ici que des branches de mimosa, dont le jaune rehaussait la pâleur des murs. Les bibelots, qui recouvraient tous les meubles dans le salon de réception, étaient ici réduits à une petite horloge posée sur le manteau de la cheminée. Juste sous la fenêtre se tenait un petit secrétaire resté ouvert, où les papiers étaient organisés en piles bien nettes et les plumes alignées dans un pot. À côté s’étalait des rayonnages bien fournis en livres, dont Axel ne pouvait voir les titres. L’autre coin de la pièce était destiné à la détente. Madeleine l’attendait en robe d’intérieur légère, alanguie sur le canapé. Le vêtement épousait toutes ses courbes, soulignées par sa posture. Ses cheveux roux, noués en un chignon lâche, laissaient échapper de courtes mèches qui frisottaient tout autour de son visage. Son aspect faussement négligé se voyait contrebalancé par le luxe de sa tenue. Elle buvait dans une tasse de porcelaine translucide, à petites gorgées. Il déglutit à cette vue.
– Bonjour, le salua-t-elle. Avez-vous déjeuné ?
– Il me restait du pain.
Elle secoua la tête d’un air amusé.
– Je vous en prie, asseyez-vous et prenez du chocolat. J’ai aussi des pains au lait.
Le chocolat était délicieux et lui rendit ses esprits. Madeleine grignotait des pains au lait en lui posant des questions variées sur sa famille, sa vie quotidienne en Suède et les travaux des champs, sans faire mine de prendre des notes.
– Avez-vous emmené les remarques que vous m’avez promises hier ?
– Bien sûr. Je vous les ai mises en ordre en un petit texte.
– Oh ? Lisez-moi ça.
Il s’exécuta. Concentré sur son texte, il ne vit pas le sourire de Madeleine s’effacer progressivement, ni l’éclair de jalousie vite réprimé dans son regard. Elle applaudit poliment lorsqu’il eut fini. Il régula sa déception en s’efforçant de conserver un air modeste.
– Vous avez de bons éléments, jugea la jeune femme. Un style un peu ampoulé peut-être, mais après tout, ce n’est pas votre langue maternelle… Il doit y avoir moyen de faire quelque chose de ça. Voulez-vous me confier votre texte ? Je l’améliorerai et le ferai porter au journal.
Il accepta à contre-cœur. Elle alla poser l’article sur son bureau dans un bruissement de soie. Axel huma son parfum coûteux sur son passage.
– Nous avons certaines choses à régler, déclara-t-elle en se retournant à demi.
Il se rapprocha du bureau. Elle prenait appui sur le meuble dans un geste à l’élégance mesurée.
– C’est-à-dire, madame ?
– Réalisez-vous que l’on ne publiera pas un article écrit par un homme presque étranger, venu de nulle part ? Je peux vous introduire dans les cercles nécessaires, mais il vous faudrait prendre un pseudonyme. Féminin, si possible. Le nom que vous auriez eu si vous aviez été une fille, par exemple.
Il s’en était douté.
– Hildr Sommarland, proposa-t-il.
– C’est une walkyrie, non ? (Il approuva. Elle réfléchit à la question.) Hilda, on saura le prononcer, sans renoncer à la signification mythologique.
– Si vous pensez que c’est mieux…
Elle fit un signe de tête, tira la chaise et s’assit. Elle nota le nom choisi en bas de la feuille.
– Je vous tiendrai au courant du devenir de votre papier. Je pense que j’ai de bonnes chances de le faire publier par Madame de Malaterre. Je vous ferai parvenir le journal si c’est le cas. Quelle est votre adresse, déjà ?
Il la lui donna, honteux à l’idée de la pauvreté de sa chambre dans ce décor. Elle ne fit cependant pas le moindre commentaire, se contentant de l’écrire dans un petit carnet sorti d’un tiroir, qu’elle rangea aussitôt sa tâche accomplie.
– Merci.
Elle se leva d’un mouvement fluide et lui tendit la main.
– Ravie de votre collaboration, mondamoiseau Ingasson.
Il la lui serra avec un sourire et prit congé. Il voulait écrire, mais la vision de son corps lascif sur le canapé l’obséda tout l’après-midi.
Ah j'ai beaucoup aimé cette section <3 La description du petit salon de Mlle Langlois avec ses bibelots, ses peintures, son atmosphère plutôt cosy. Et puis j'aime bien cette interaction avec Axel, où une complicité se met tranquillement en place. Coup de coeur au passage pour les petite ref culturelles aux Walkyries. <3 Juste une petite bricole :
>> "Réalisez-vous que l’on ne publiera" > pas sûre que "réaliser" dans ce sens là soit d'époque. Je verrais plutôt "Avez-vous conscience que" ?
À bientôt !