- Liam est bénévole dans cette association d'entre-aide gay. Ils m'ont soutenu, expliqué la marche à suivre, trouvé mon avocat etcetera, raconte Uzu à son ex pour expliquer la raison, une fois de plus, de garder le contacte avec son ancien petit ami malgré son visible désintérêt pour le jeune homme.
- Je vois. Ça m'fait bizarre, lâche Gabriel.
- Quoi donc ?
- J'vais rencontrer ton ex pour lui parler du mien, c'est zarb' quand même non ? C'était pas lui, l'mec au commissariat d'police ?
- Non, ça c'était Marc, le président de l'asso. C'est toi qui voulais le rencontrer. Je n'sais pas pourquoi faire d'ailleurs.
- Ch'ais pas. Ch'uis curieux.
- ...
- T'as d'drôles d'idées quand même ! affirme le goth.
- Je me suis toujours senti redevable. Avec Yann je croyais faire d'une pierre deux coups, même trois. Aider Liam à ne plus être seul, Yann à trouver un logement et toi à garder ton bassiste.
*
Il y a vingt minutes que Liam les a rejoint, Uzu mélange son café, le nez au-dessus de sa tasse, écoutant patiemment le récit saccadé de son ex.
- Voilà toute l'histoire. Maintenant, je me sens mal. J'ai l'impression de l'avoir salis. J'ignore comment j'ai pu en arriver là. J'ai tellement honte de moi ! Il est parti tôt ce matin, je ne sais même pas combien je dois le payer. Il n'a pas parlé de l'argent !
Uzu cogite, il trouve ça un peu gros et ne comprend ni la situation réelle de Yann, ni Yann lui-même.
Gabriel fixe la scène assis au fond de son siège, un pied sur le rebord de la table, ne sachant pas s'il doit en rire ou en pleurer. Quel drôle de personnage ce Liam.
- Écoutez, z'avez l'air sympa, décide le goth. Donc j'vais pas être méchant ni trop m'moquer d'vous. D'plus Ch'ais à quel point Yann peut être manipulateur, con, puérile, susceptible et tout s'qu'on veut. Mais y'a une chose dont ch'uis certain c'est qu'jamais y s'prostituerait ! N'import'quoi ! Y s'fout d'vous.
Liam le regarde sans comprendre.
- Il est vraiment grave ! Pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Liam le loge chez lui pour l'aider et... s'exclame Uzu dépité, de suite coupé par Liam dépassé par les événements.
- Attendez, je ne comprends pas.
- Bien sûr qu'vous n'comprenez pas. Si vous étiez un peu plus futé, balance Gabriel sans prendre de gants.
Uzu lui fait les gros yeux.
- Gabriel s'il te plaît !
- Honnêtement, d'après vous, pour quelles raisons est-ce qu'y d'vrait vendre son corps ? insiste Gabriel.
- Pour vivre !
- M'enfin m'sieur, Yann à un boulot, il a d'jà un salaire !
- Ce n'est pas un vrai job, mais eulement une formation, ça n'est pas avec ça qu'il peut payer un...
- Liam, quand Yann était cuisinier à l'île Maurice, y gagnait plus que moi ici. Ch'ais pas pourquoi z'êtes allé vous imaginer qu'il était dans l'besoin. En c'moment il est formé dans une pâtisserie chic, il fait des heures au smic c'pas la mort. Il a certainement mis suffisamment d'agent d'côté pour voir v'nir !
- ...
- Attendez...z'avez pas critiqué son salaire, son boulot ou un truc de c'genre ? Son job c'est toute sa vie presque, c'est un orgueilleux ! Y'a dix ans qu'il apprend toutes les ficelles d'la grande cuisine, du cocktail, au service. Il a un CV qui fait un kilomètre. Y vous a jamais parlé d'son rêve d'bosser sur les bateaux d'croisière ?
- Liam s'aperçoit alors, à quel point il ne connait pas son colocataire et combien de maladresses, il a dû commettre.
- Un chef tel que Yann, les cuisines des restos peuvent s'battre pour l'avoir ! ajoute Gabriel. Son seul soucis à s'con c'est qu'il réfléchit pas des masses, qu'on a parfois b'soin d'trois mois d'fiches de paies pour prendre un appart' ici. L'fric y s'en tape, il en a. Y marche aux sentiments. Sa situation merdique actuelle, il la doit à son comportement. C'parce que pour m'faire chier et m'surveiller, ben il est r'venu bosser dans un truc nase et sous payé et qu'ensuite il a joué au con et a été viré.
- Il est stupide ? demande Uzu.
- C't'un emmerdeur hein ! lâche Gabriel pour toute réponse.
Liam est sans voix, qu'est-ce que ça signifie ? Que Yann a mentis ? Dans quelle intention ? Pour l'arnaquer ? Il se lève d'un coup, tel un clown sorti de sa boite.
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? Pour l'argent ?
- Vous écoutez rien vous, j'viens d'vous dire qu'il en a. Et puis j'croyais qu'il vous en avez pas d'mandé ?
- Ha non... Non il n'a pas demandé d'argent, réfléchi Liam atterré retombant sur sa chaise l'œil agar.
- Je ne comprends pas.
- Yann c'est un p'tit animal sauvage, quand y souffre, y mord. Vous avez dû l'vexer, d'une façon ou d'une autre, ça lui a fait mal, alors y s'venge.
- Tu ne vas pas un peu loin là ? questionne Uzu dubitatif sans obtenir de réponse.
- Avec mon job, peut-être que j'ai manqué de disertement, avoue Liam après réflexion.
- Comment ça ? se renseigne Uzu.
- Parfois les jeunes que je rencontre à l'asso agissent de cette façon. Ils sont un peu cyniques comme si leurs problèmes n'en étaient pas. Même lorsqu'il leur arrive le pire, ils tournent cela en dérision. Uzu, toi aussi tu réagissais ainsi après ton agression. Je sens que la vie de Yann a des côtés noirs. Il refuse de m'en parler, sauf à de rares occasions. Alors je ne peux qu'imaginer et visiblement, je me suis bien trompé sur les raisons.
Gabriel comprend pourquoi la "blague" a si bien prise avec ce mec. S'il voit des cas semblables tout les jours, rien d'étonnant. Après tout Yann est venu vers lui en position de faiblesse, pour lui demander de l'aide à la base. Comment ce type aurait-il pu douter de l'histoire ?
- De quelle façon c'est v'nu sur l'tapis ? s'intéresse-t-il.
- Comment ça ?
- Son histoire d'tapinage. Par c'que c'est pas la chose qu'on balance comme ça, enfin même s'il aime bien raconter des conn'ries.
- J'ai organisé un brunch avec des anciens collègues de prépa. Nous lui avons simplement demandé comment il... C'est stupide ! Je n'avais, pas imaginé un instant qu'on l'employait dans ce genre de cuisine, avoue-t-il.
- C'est une erreur que tu as tendance à beaucoup commettre, affirme Uzu. Il aurait été cantinier que tu n'aurais pas eu pour autant la légitimité de le rabaisser lui et son emploi.
- Je ne rabaisse personne !
- Tu ne t'en rends pas compte, insiste le japonais. Tu partages ta vie entre le satin de ton entourage et la boue de ceux que tu aides. Il serait temps d'ouvrir les yeux et de redescendre sur terre, la vie n'est ni le paradis ni l'enfer !
Liam accuse le coup, un moment de flottement dans la discussion avant que Gabriel ne reprenne la parole.
- Une question, Ch'uis curieux, c't'ait quoi l'idée d'avoir pris Yann en tant qu'coloc' puisque vous avez l'air d'croire qu'il n'a pas les moyens d'payer un simple loyer ?
- J'aime bien rendre service. Je recherche avant tout de la compagnie, je n'ai pas besoin d'argent. J'étais capable de l'aider et il était censé être assez souvent présent, ce qui est le cas d'ailleurs. Je soufre un peu de la solitude, disons que j'ai imaginé que nous nous épaulerions mutuellement. Que nous pourrions bien nous entendre. Je crois que c'est aussi ce qu'a cru Youzeu.
- Vous auriez dû prendre un chaton, beaucoup moins compliqué un chaton. Yann, j'lais toujours dit c't'un emmerdeur unique en son genre. S'il ne pouvait en rester qu'un se s'rait l'highlander des casses-couilles !
Il se lève sur cette dernière affirmation, signifiant, que pour lui, la discussion est terminée.
*
Couché sur le dos, le téléphone portable sur l'oreille, Yann imagine la tête de Marie. Il n'est pas très fier de lui, mais il ne faut surtout pas qu'elle s'en aperçoive. Il va jouer son show.
- Ouais je l'ai finalement foutu dans mon lit, enfin c'est plutôt lui qui m'a mis dans le sien. Pour ça il a fallu que j'emplois toute ma persuasion et que je le manœuvre finement.
- Toi, tu as encore fait le con... Et c'était bien au moins ?
- Chérie je crois n'avoir jamais été aussi déçu et dégouté de ma vie !
- A ce point là ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Le beau gosse trop gentil s'est révélé être un mauvais coup ?
- Un grand naïf surtout ! Trop mal à l'aise pour des prouesses !
- Toi j'te sens mal.
- J'avais remarqué depuis pas mal de temps qu'il me tournait autour.
- Sans rire !
- J'ai voulu tester sa jalousie et puisque le gars me prend sans cesse de haut, je me suis dit que je pourrais en profiter et lui donner une bonne leçon, si j'arrivais à le manipuler savamment !
- Qu'est ce que tu as encore manigancé ?
- Je l'ai obligé à coucher avec moi.
- Obligé ? Tu ne l'as quand même pas violé ?
- Ma chère, il mesure deux mètres, à moins d'avoir une bonne dose de GHB et malgré mes années de boxe thaï, je n'ai aucune chance par la force.
- Avec toi je m'attends à tout !
- Non, j'ai exploité la faille « bon garçon » et son côté sauveur du monde, ainsi que l'attirance qu'il a pour moi, ça ne pouvait pas rater !
- Comment est-ce que le grand Yannick réussit-il ce genre de prodige ? Tu as avoué à ce canon très sage, qu'il t'obnubilait ?
- Et puis quoi encore ? J'ai mon amour propre ! Ce mec me matte du haut de son piédestal, il est tellement persuadé qu'il va me "sauver" de ma condition, l'imbécile !
- J'ai peur d'obtenir la réponse, tu as monté quel plant foireux cette fois ?
- Je l'ai convaincu que je me prostituais pour arrondir mes fins de mois, il ne pouvait pas décemment résister à...
- QUOI !? Mais t'es malade ! Et c'est ça que tu appelles avoir de l'amour propre ?
- ...
- J'ai honte Yann, vraiment j'ai honte pour toi ! T'es fier ? Ça valait le coup hein même pas !
Silence, Il sert les dents, il ne doit pas se montrer faible, ne surtout pas craquer. Les images de la nuit lui reviennent, il les repousse rapidement.
- Nan, je m'attendais à... Je sais pas, qu'on fasse l'amour, ou au moins une bonne partie de jambes en l'air. Il m'a ennuyé ma chère avec sa mauvaise disposition à la chose. On aurait dit que je le forçais. J'me suis barré tôt ce matin. J'ai eu trop peur qu'il aille jusqu'à me filler du fric !
- T'es vraiment grave ! Comment est-ce que tu as pu aller jusque là ?
- Attend, c'était tellement gros, je pensais qu'il aurait compris. J'ai cru qu'il jouait juste le jeu quoi.
- Qu'il comprenne quoi ? Tu le persuades que tu te prostitues, tu te vends à lui et tu espérais quoi ? Que tout se passe comme sur des roulettes ? Bordel Yann c'était pas plus simple de lui dire carrément : "Tu me plais baise-moi ?" Au lieu de jouer ce jeu pervers ? On dirait que tu prends un malin plaisir à détruire tout sur ton passage !
Touché, il sent la honte monter, elle ne doit pas s'en rendre compte.
- C'était ma vengeance, il m'a pris de haut ce petit bourge !
- Franchement tu es si... Si puéril !
- ...
- Le pire tu vois, c'est que tu as osé dire la dernière fois, que tu éprouvais des sentiments pour lui. Comment on peut agir de la sorte avec une personne qu'on estime ? T'es un vrai salop ! Et espère pas que je te plaigne tien !
- Marie...
- Va te faire foutre, t'es qu'un connard !
*