Le ciel demeurait sombre lorsque Clothilde sortit de son lit. Comme à son habitude, elle ne parvenait pas à dormir plus de cinq heures par nuit. « Dormir, disait-elle, était une perte de temps ». Elle ne comptait pas bayer aux corneilles, désirant, plus que tout, marquer son époque. Clothilde avait tellement souffert de son enfance, de cet isolement, de cette indifférence. À la maison, ils avaient été tant d’enfants, que huit fois sur dix ses parents l’appelait avec le nom d’un de ses frères ou de ses sœurs. Les moments de complicité avaient été si court, si peu. L’amour qu’elle avait cru absent, avait érigé une forteresse autour de son cœur. Le souffle de ce maléfice élevait encore des tourelles et des murs contre le monde, contre " l'inutile".
À trente ans, elle aspirait à la reconnaisse et peu lui importait comment y parvenir. Ce besoin d’être reconnu la bouffée de l’intérieur, lui donnait cet aspect froid et lointain. Apathique. Dédaigneux.
Clothilde se chaussa mécaniquement et alla ouvris les volets. Elle posa un regard apaisé sur les ténèbres qui s’étendaient encore dans l’éther. Ils flânaient dans les rues, au-dessus de chaque chose, chaque être, à l’instar d’une chevelure sombre recouvrant le visage d’une belle endormie. Combien Clothilde aimait le clame de la nuit, la lune curieuse de la vie sur terre, les nuages blancs voguant sur la nappe céleste, la brillance des étoiles lorsque l’espace aérien était dégagé. Il y avait un mystère troublant dans ce paysage, une douce note d’inéluctable dans les rues désertées.
Clothilde se pencha à la fenêtre, emplie ses poumons de cet air chargé d’humidité et sourit en voyant la cheminée du boulanger souffler un voile nuageux et parfumé.
— Quelle belle nuit ! Parfaite pour trouver plus d’inspiration.
Elle se tourna vers une chaise où un carlin somnolait. L’animal leva son museau écrasé et donna raison à sa mère adoptive en renâclant, puis il reposa sa tête qui ne semblait être qu’un cou rond relié à un corps dodu. L’animal rejoignit le pays des rêves. Ses pattes boudinées courraient dans les prairies de l'imaginaire.
Clothilde le regarda avec affection comme s’il se fût agi de son propre enfant. Des étoiles brillaient dans ses yeux marron emplis d’amour profond et indomptable.
Laissant les fenêtres ouvertes, elle s’approcha de l’animal-enfant et déposa un baiser sur le sommet de son front. Personne n’était plus important qu’Odile à ses yeux. Pas même elle-même, pas même son métier d’architecte. La chienne était le centre de son cœur, la substance qui la rendait plus chaleureuse, moins rigide. Les retours à la maison se ponctuaient toujours par des câlins et des amusements. L’animal sautait, courrait, jouait. Sa queue frétillait et Clothilde souriait.
— Dors bien, Odile. Maman va retravailler sur les plans de notre future maison. Tu verras comme nous y serons bien. Moi dans le potager ou sur la véranda à dessiner de nouveaux appartements, et toi jouant dans le jardin avec le ratier d’une future voisine. Encore cinq ou dix ans et elle sera à nous. Tu tiendras le coup, mon petit amour.
Clothilde caressa la patte de sa chienne et emporta avec elle son linge, direction la salle d’eau. Rafraichie et vêtue d’un pantalon crème et d’une chemise à volants violine, elle forma un chignon négligé au-dessus de sa tête, qui, elle le savait, tomberait sur sa nuque une fois le soleil levé.
Au dernier étage d’un appartement en comptant cinq, elle prépara son petit-déjeuner, mit une laine sur ses épaules et s’installa sur son balcon avec un calpin volumineux. Le ciel avait perdu sa noirceur, et l’aurore se réveillait lentement. Clothilde admira à nouveau le paysage et la forêt lointaine où elle construisait son nom, plus que le lieu des prochaines vacances à la mode. Elle sourit à la vision d’un avenir prospère tout en apportant sa tasse de café noir à ses lèvres fines.
— Une belle journée qui s’annonce, dit-elle en passant ses doigts sur le dessin d’une maison en pierre, bordée de lilas et où une cabane de jardin semblait retenir la magie d’une vie heureuse.
Les pages défilèrent sous ses yeux remplis d’un rêve. Elle avait besoin de concrétiser ses souhaits, de leur donner matière à exister.
La brunette se saisit d’un crayon et commença à tracer les plans d’une cuisinette. Elle lui offrit de l’espace pour circuler, un plan de travail large en marbre beige, des rangements un peu partout et installa une grande baie-vitrée qui donnait sur le potager et la roseraie.
— Comme ce sera beau, marmonna-t-elle en achevant l’esquisse, d’une main légère et maîtrisée.
Clothilde prit du recul pour contempler sa future cuisine et une moue souligna une mine peu satisfaite.
— Mettons un peu de couleurs pour se rendre bien compte.
Elle rejoignit son minuscule salon aménagé avec le strict minimum ; un fauteuil et une petite étagère se partageaient le mur en face de la porte-fenêtre donnant sur le balcon, une télévision et son meuble entraient pile-poil dans le creux entre l’ouverture et le second mur. La poussière sur l’écran prouvait son peu d’utilité, probablement était-il remplacé par tous ces livres d’architecture et de décoration trônant sur la table basse.
Clothilde se forma un chemin jusqu’à l’étagère débordant de tout, et attrapa sa mallette de peinture, faisant s’échouer des feuilles volantes, où le portrait d’Odile et d’hommes figuraient. Vite, elle les remit à leur place et se dépêcha de retrouver son croquis. Assise, de nouveau, la femme rabattit une mèche de ses cheveux ondulés et ouvrit le coffré. Une palette de couleur se découvrit. Les tubes en alu étaient presque tous vides, elle savait que bientôt il faudrait en racheter, et cela l’enchanta, car Clothilde adorait la boutique où elle se rendait tous les deux mois. Elle trouvait l’endroit reposant, agréable avec le bois qui débordait sur chaque angle, sur chaque surface. L’odeur de la peinture, des pinceaux, des toiles disposées dans le fond et éclairées par les vitraux lui rappelait la vieille chaumière de son instructrice, Madame De Belfaçon. Oui, il y avait une atmosphère réconfortante pareil à l’atelier de cette bonne dame, morte quelque temps après l’obtention du diplôme de Clothilde. Le souvenir de sa bonne samaritaine réchauffa son âme, alors qu’elle arrangea la table de quoi disposer ses ustensiles. Combien Amarilyne avait dépensé pour elle ? Pour celle qu’elle appelait sa « talentueuse, fille ». Clothilde aimait cette attention, cette caresse dans le regard tendre de la veille, dans ses paroles, ses gestes élégants. Ce qu’elle aurait voulu qu’Amarilyne soit encore de ce monde, qu’elle voit combien la jeune femme avait grandi et les efforts récompensés.
Il lui arrivait souvent de songer à elle, à leur goûter ensemble, à leur discussion et à la chaleur du foyer lorsque Clothilde traçait des angles droits sous sa bonne garde. La brunette se rappela combien elle détestait la quitter pour rejoindre sa maison, ses parents toujours occupés, ses grands frères et sœurs plongés dans leur étude et quittant le domicile un par un, ignorant ses tourments. Elle songea aux plus jeunes qui ne cessaient de chahuter et la déconcentraient. En t’en que sixième enfant de la famille, elle se sentait laissé pour compte. De toute façon, capter l’attention avait été compliqué pour chacun quand l’âge de raison avait été atteint.
Clothilde désespérait d’être un parfait fantôme, mais elle arpentait les couloirs de la maison, trop petite. Parfois, elle découchait et personne ne s’en apercevait. Le seul moment où elle avait adoré ses parents, était lorsqu’il avait accepté l’offre d’Amarilyne afin qu’elle puisse continuer les études sans pour autant commencer à travailler. Une fois le lycée terminé, chaque enfant devenait indépendant de son chemin de vie. Clothilde avait achevé le lycée à quinze ans avec une note parfaite et admirable. Les félicitations avaient été courtes avant que tout revienne à la normale. Amaryline avait fait son entrée cette semaine-là, apportant la lumière dans la forteresse de la jeune fille. Pour cette vieille dame, Clothilde avait laissé ouvert le pont-levis. Amarilyne avait pénétré dans la herse et était entrée au cœur d'une mécanique fabuleuse.
Clothilde baigna la pointe de son pinceau dans l’eau clair et récolta du jaune sur les poils humides de l’objet. D’un geste appliqué, elle vint colorer les murs de la pièce imaginée.
— Du soleil dans la cuisine, beaucoup de soleil, s’amusa-t-elle, se parlant toujours à elle-même.
Elle peignait, oubliant d’observer comme chaque matin l’astre du jour s’éveiller. Touche après touche, l’architecte tomba sous le charme de sa cuisinette. Comme elle ferait de bonnes recettes pour Odile et elle. Peut-être qu’un jour, lorsqu’elle serait prête, l’ombre d’un homme viendrait lui tenir main forte. L’un préparerait un gratin de citrouilles, l’autre essuierait la salade qui accompagnerait le plat principal.
Elle rit, contemplative de son rêve, quand le jour apparut et éclaira le ciel de ce bleu azur qu’elle affectionnait tant. L’heure de partir serait bientôt résolue, ainsi Clothilde rangea son désordre, prête à réinvestir le salon. Cependant, et tant dis qu’un rayon de soleil illumina son visage et lui donna un baiser chaud, elle sentit un vide en elle. Sa tête lui tourna, ses cils papillonnèrent et soudain elle suffoqua. Ses deux mains s’enroulèrent à sa gorge. Elle tirait sur sa peau, désireuse de dénouer le nœud invisible serré à son cou. Elle se débattit, étouffait et s’agitait plus violemment.
Devenue rouge, elle s’échoua sur le sol, cherchant avec ses bras une aide qui ne venait pas. Ses jambes soubresautaient, son torse se soulevait. Une chaleur vive et désagréable s'abattit en elle, comme un brasier éternel. Lentement, Clothilde se sentit partir. Son cœur ralentit, sa tête se compressa. Le soleil continuait à chauffer son corps alors qu’une fleur volante se posa contre sa poitrine. Une lumière éclatante jaillit de ses pétales et une bouche se dessina dans son cœur jaune.
— Tu l’as ignoré, murmura celle-ci. Il te faut désormais en payer le prix.
Clothilde cligna des yeux avec lenteur, perdue dans le chuchotis de la plante.
La fleur se fana, ses pétales s’effritèrent puis tombèrent en poussière.
Clothilde s’évanouie sur le sol alors qu’une magie insoupçonnée changea son apparence. Une lueur bleutée vogua autour d’elle, serpenta, puis glissa sous sa peau halée. Une brise souffla du sommet de son crâne jusqu’aux chaussures cirées qu’elle portait. Les volants de sa tenue frissonnèrent, les mèches de ses cheveux dansèrent sous l’air et son corps se souleva de quelques centimètres, égale à si un être invisible la soutenait. Ses bras si longs, à peine musclés, devinrent des ailes aux longues plumes bleus. Son visage banal, aussi doux que sévère prit une forme étonnante. Son nez et sa bouche ne firent plus qu’un et un bec blanc bordé de rouge s’invita au milieu de sa figure devenu duveteuse. Ses cheveux se changèrent en trois plumes tombantes. Son anatomie diminua au rythme de la lumière bleuté qui bondissait derrière les parcelles de sa peau. Bientôt les nombreuses plumes vinrent dissimuler la clarté et sur le carrelage un oiseau, tout de bleu vêtu, naît.
Une voix lointaine se modela dans l’espace et chuchota à l’oreille de Clothilde.
— Voilà ma promesse, voilà le sort que je te jette. Ô toi qui as ignoré ma douleur. Toi qui voulais abandonner mon corps à la vue des charognards. Toi qui préfères ton propre confort à l’appelle à l’aide de Mère. Vois ta faute, entends la planète, écoutes nos semblables, observe cette civilisation dans laquelle tu es née. Seul te sauveras, une aile tendue vers un cœur tordue. En attendant, et si tu ne te fais point tuer, réfléchis à cette question : Suis-je le nuisible ou est-ce les humains qui prennent trop de place ? Adieu, Clothilde et bon courage.
Esseulée sur le balcon, la femme tenta de se redresse. N’y parvint pas, s’en cesse déséquilibrée. Elle bascula trois puis quatre fois, la tête lui tourna encore, sa vision lui parut si flou. La brunette se débattit avec ce corps qu’il lui semblait moins bien fait, trop étroit. Est-ce que sa chemise avait subitement rétrécit ?
Le temps de revenir à elle, et Clothilde visualisa ses ailes. Ces yeux d’oiseau s’agrandirent, ses pupilles s’étrécirent, son bec s’entrouvrit et son cœur tonna, maladroitement, dans sa poitrine. Qu’est-ce que cela ? pensa-t-elle. Avait-elle inhalé trop de peinture pour voir pareille absurdité ? Elle se tortilla, allongea ses ailes, remarqua que la table en fer forgé était plus grande qu’elle. En fait, tout demeurait immense.
— Que m’arrive-t-il ? dit-elle, constatant que des piaillements avaient remplacer sa voix de soprano.
Effrayée par cette hallucination, Clothilde chercha son reflet dans la fenêtre et trouva un oiseau bleu, dont les plumes étaient bordées de noir. Elle recula d’un bond, tressaillit.
— Non ! C’est impossible ! Je rêve. Je ne fais qu’un cauchemar, se persuadait-elle.
Elle s’élança dans le salon, afin de se regarder dans le miroir, toutefois, ses jambes ne suivirent pas et la pauvre chuta lourdement sur le parquet. Une pile de magasine lui tomba dessus, laissant un cri lui échapper. Elle se dandina sous la masse de papier, lorsqu’elle entendit Odile arriver – ses oncles claquaient joliment sur le sol. La chienne agita le bout de son nez. Ses narines se dilatèrent, elle cherchait sa mère adoptive.
— Maman ? appela-t-elle. Où es-tu ?
Elle alla d’un sens puis de l’autre, regarda dans tout le salon, huma l’odeur de Clothilde et fit demi-tour sur elle-même, avant de rappliquer devant la masse de magasine.
— Maman ? demanda-t-elle, incertaine.
Clothilde réussit à sortir la tête des pages, surprenant la pauvre Odile, qui se recula abruptement. La chienne aboya, grogna, mais elle sentit toujours sa mère.
La femme devenue oiseau tenta de la seriner en agitant ses ailes, comme elle l’aurait fait si elle possédait des bras, hélas, le carlin se sauva dans la chambre. Le visage de l’oiseau s’attrista. L’être le plus sacré de sa vie avait pris peur devant sa figure.
— Odile, murmura l’oiseau. Mon petit bouchon. Viens me voir, viens voir maman.
Sa voix humaine restait silencieuse, remplacer par le chant délicat de l’oiseau.
Clothilde se dégagea de la pile et arpenta maladroite l’allée qui l’amenait à sa chambre. Son corps tangua de droite à gauche, ses pas lui parurent étonnements lents et ses ailes traînaient au sol. Arrivée devant l’entrée, elle s’arrêta, se tourna vers le miroir et eut un hoquètement. Ses yeux formèrent un rond parfait, son bec s'entrouvrit, son cœur manqua un battement. Alors ce n'était pas un mauvais songe.
— Je suis vraiment un oiseau ?
Elle s’approcha de son reflet, se recula, et son regard rempli de larmes s’abaissa.
— Que vais-je devenir si je reste ainsi ? Et ma pauvre Odile ?
Elle se détourna vivement de son nouvel aspect et le bec serré, rejoignit sa fille chérie.
— Odile ? Mon petit bouchon, c’est maman. Tu me comprends ? dit-elle, tout en écoutant ses propres piaillements.
La chienne, cachée sous les coussins dans son minuscule lit, redressa la tête d’un air curieux. Elle analysa l’oiseau bleu, détailla sa forme allongée et rondelette, son long cou et ses pommettes saillantes. Odile ne reconnut pas Clothilde, mais le parfum de celle-ci provenait bien de l’animal.
Est-ce que ce volatil a mangé maman ? pensa-t-elle.
Soudain, l’animal poilu captura le regard de l’oiseau. Ses iris brun glacé lui firent ouvrirent grands ses yeux ronds. Odile sortit tout à fait de ses coussins. Elle s’avança, non sans une réserve. Sa truffe s’agita ; l’odeur de maman ! Sa queue frétilla.
— C’est toi ? C’est bien toi ? s’excita-t-elle.
La chienne courut vers le volatil et lui fit la fête. Odile sautait joyeusement autour de Clothilde, léchouillant son visage et recrachant les plumes collées à sa langue.
— Mon petit bouchon, tu me reconnais ?
— Bien sûr. Je reconnaîtrais le parfum de ta peau entre de milliard… Oh !
Odile s’interrompit, inclina la tête, cligna des yeux.
— Mais… tu me comprends ?
— Oui. Étonnement. C’est merveilleux, mon petit cœur.
Clothilde entendait la voix d’Odile. Elle était douce, égale à celle d’une enfant.
— C’est génial ! Tu pourras enfin me changer de croquettes. Je ne les aime pas et tu ne semblais pas le comprendre. Elles ont un goût de terre. Il y a aussi le coussin de la petite chaise qui est tout raplapla. Pourrai-je en avoir un autre ?
— Oui, tout ce que tu voudras.
L’oiseau vint abattre ses ailes autour de la boule de poil et la caresse. Odile posa son front sur la poitrine de sa mère, écouta la musique de son cœur, puis elle soupira.
— Maman est-ce que tu resteras un oiseau ?
— Je ne l’espère pas.
— Tu sais, Mélias, le chat de la voisine, il ne les aime pas beaucoup et puis, j’ai peur qu’on te fasse du mal !
— Je suis bien plus grosse que ce vieux Mélias.
— Je ne m’inquiète pas de cela, mais pour tes si belles plumes, j’en ai vu des pareilles, sur des chapeaux, dans les rues commerçantes. Le vent dit que certains humains tue de beaux oiseaux pour en faire des chapeaux.
— Le vent te parle ?
Clothilde caressa encore Odile afin de la rassurer. Cependant, sa fille adoptive n’avait pas tort. Si les chats ne l’effrayaient pas, la femme devenue oiseau frémit à l’idée qu’un plomb traverse son corps.
— Le vent parle avec tout le monde. Mais les humains et les pierres, y sont peu réceptifs. Le grand hibou qu’on voit lors de nos balades en forêt dit que s’est parce que vous avez une conscience d’un nouveau genre, qu’il y a très longtemps un de vos ancêtres a préféré le pouvoir à la compréhension de l’univers.
— Odile, comme tu es intelligente.
La chienne remua plus encore la queue.
— Maman ? Comment puis-je t’aider ?
— Ça, je me le demande. J’ai fauté et me voilà dans de beaux draps. J’imagine que je dois sauver une âme en peine. Il faut que j’apprenne à observer le monde…
— Oh ! Seulement ! Ce n’est pas bien difficile. Moi, il me suffit de faire la belle pour que les gens chagrinés retrouvent le sourire. Si tu veux, je t’apprends.
— J’en suis certaine. Mais je crois que cela sera plus compliqué. En attendant, nous voilà bien ennuyées. Qui va payer les factures ? Qui me remplacera au travail ? Qui t’achètera ton coussin ?
Une profonde mélancolie étouffa les émotions de Clothilde, qui lentement, saisissait l’ampleur de la difficulté. Elle désirait répandre sa colère sur l’oiseau-sorcier, mais la femme savait combien elle avait mal agi. Les années avaient tant refroidi son âme, ses sentiments. Voilà qu’elle payait son indifférence.