Une punition non méritée

Rubie se faufila par la porte entrouverte et vint s’assoir doctement non loin du détective, saucissonné par les barreaux de sa cage.

– Mon pauvre Newton. Jusqu’où iront les humains ? Heureusement pour toi, tu ne risques plus la casserole. Je pense que d’autres auraient fini en civet pour moins que ça…

Les paroles de la siamoise ravivèrent de douloureux souvenirs. Newton se revit alors, bébé, être délogé du terrier familial par une horde de chiens de chasse. Ce jour-là, ce fut la dernière fois qu’il vit sa mère, mais aussi ses frères et ses sœurs. Il ne sut jamais ce qu’ils devinrent, car c’est seul qu’il se retrouva mis en vente sur un marché. Dans son malheur, Newton eut finalement un peu de chance. Il fut acheté par la grand-mère de Winnie, bien décidée à cuisiner à son mari le meilleur lapin à la moutarde de tous les temps le dimanche suivant. Fort heureusement pour le détective, les vacances scolaires avaient conduit Winnie à venir passer quelques jours chez ses grands-parents. Quand la fillette trouva le jeune lapin et qu’elle comprit à quel destin funeste il était promis, elle décida de conjurer le sort. Comprenez qu’elle entama une grève de la faim qui dura, en tout et pour tout, deux heures. La situation affola tant sa grand-mère qu’elle renonça à son civet ! C’est ainsi que Newton devint un lapin domestique. Bien sûr, ce que tout le monde ignorait à l’époque, Winnie y compris, c’était à quel point il allait encore grossir !

Newton rentra la tête dans ses épaules. Il se sentait ridiculement étriqué dans ce clapier.

— Tu sais Rubie, dit-il alors, j’apprécie vraiment que tu sois solidaire. Je veux dire, ne plus manger de viande, refuser de chasser, vivre en paix avec tous les animaux, veiller sur les plus faibles… Mais je dois avouer que, parfois, un soupçon d’agressivité de ta part serait bien utile.

La siamoise arqua un sourcil :

— Je ne vois vraiment pas en quoi la violence pourrait nous aider à résoudre des enquêtes.

— Je ne dis pas que c’est la réponse à toutes les situations…

— Surement pas, en effet ! confirma-t-elle.

— Bon sang, Rubie ! Je me retrouve enfermé dans cette cage à hamster par la faute d’un écureuil fou alors qu’en un seul coup de patte, tu aurais pu l’envoyer au tapis ! Je ne te demandais pas de le dévorer. Non ! Juste… De lui filer la frousse de sa vie avant qu’il ne renverse toute la cuisine !

C’est alors qu’un petit bruit sourd et familier se fit entendre. Rubie, vexée par les reproches de son ami, sauta sur le bureau de Winnie et rejoignit le rebord de la fenêtre. D’un habile coup de patte, elle l’ouvrit. Un moineau s’engouffra alors dans la chambre et se posa sur le bois du lit.

— Salut, Sparrow, grommela Newton.

— J’a-a-a-rrive p-p-pas à le c-c-c-croire ! Ils t’ont enfermé ! piailla le petit volatile.

— Il l’a bien mérité…, marmonna Rubie dans son coin.

— B-b-b-ouge pas, Newton, je vais te te te te libérer !

Newton se demanda où Sparrow pensait qu’il pouvait bien aller. Évidemment qu’il ne bougerait pas.

— C’est pas la peine, Sparrow. Ça va pas durer longtemps. Et puis, si Winnie revient et qu’elle me trouve dehors, ça va éveiller ses soupçons.

La queue du moineau ne cessait de s’agiter.

— J-j-j-j’ai passé ma journ-n-n-ée à libérer des perruches de leur p-p-p-prison dorée, alors te voir comme ça, ça me d-d-d-donne un coup au moral.

— Nan, t’en fais pas, persiffla Rubie, c’est bien que Newton se rappelle ce que ça fait d’être la victime d’un système violent !

La voix de Winnie résonna soudain dans le couloir. Rubie ne fut pas assez rapide et la fillette entra dans la pièce avant qu’elle n’ait eu le temps d’en faire sortir le moineau.

— Oh, le pauvre ! s’exclama Winnie en découvrant l’oiseau qui voletait nerveusement dans la chambre.

— Attends, je vais t’aider.

La fillette grimpa à genoux sur son bureau et ouvrit la fenêtre. Sparrow s’y engouffra sans se faire prier. Winnie adressa alors à Rubie une caresse des plus affectueuses.

— Tu es vraiment un ange, Rubie. N’importe quel autre chat aurait croqué ce moineau, mais pas toi. Tu as grand cœur.

Tandis que la fillette gratouillait tendrement la chatte derrière l’oreille, celle-ci adressa à Newton un regard mesquin plus tranchant qu’un coup de griffe.

— Oh, regarde-toi mon pauvre Newton. Je vais te faire sortir de là. Papa s’est calmé, jura Winnie. Allez, viens, c’est l’heure d’aller nourrir les poules !

Le détective s’extirpa du clapier, s’ébroua vigoureusement avant d’asséner un coup de patte arrière bien mérité à cette prison de ferraille et de plastique.

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