La chambre est propre, immaculée serait même plus fort, plus vrai si l'on excepte l'or massif dans tous les recoins. Le lit, les meubles, la tv. Tout brille, mais c'est la rage qui m'aveugle.
Le couple est assis sur un canapé brodé avec – je vous le donne en mille – des fils d'or, face à une Estelle tremblante et ses poils de chats. J'imagine autant que j'entends leur conversation.
« Oh non, quelle horreur. Je ne peux même pas en parler tellement je suis choquée.
– Mais ne vous inquiétez pas, Mme Machin, nous mettons tout en œuvre pour que vous puissiez reprendre votre lune de miel.
– Parce que vous vous imaginez qu'on va rester ici une nuit de plus ? Nos avocats vont en entendre parler. »
Je ne sais pas ce qui me révolte le plus là-dedans : leur air supérieur, la certitude que ses menaces seront mises à exécution ou l'attitude soumise d'Estelle qui ne se remet pas d'avoir vu les photos.
Elle est trop douce pour ce métier. Les corps tranchés, mutilés, bouillis, jetés à la poubelle sans explication. C'est trop dur à voir, trop dur à encaisser.
Même moi, avec mes cinq ans d'ancienneté, je ne prends plus plaisir à rien, à part à boire mon mojito quand je rentre du boulot. C'est complètement stupide, mais je pourrais presque dire que je l'entends m'appeler, comme s'il était doué de parole lui aussi.
« Patrice, viens me chercher. Félix me lorgne, il va tout gober. »
Sacré Félix.
Maurice me sort de mes douces pensées et me fait venir dans le couloir de l'hôtel. Ernest est resté dans le bureau. Avoir regardé le technicien aspirer l'évacuation de la douche à la recherche de morceaux de corps cuits ça ébranlerait n'importe qui. La preuve. Le patron est le bonhomme le plus solide et le plus sérieux qui soit. Rater une enquête pour ruminer dans une pièce humide et qui fouette, c'est pas son délire d'habitude.
– Bon. On en sait plus sur l'identité de notre victime. C'est un vieux gourou à la retraite. Loo Bric. Il a un tas de fans sur les réseaux sociaux. Genre on le vénère comme un Dieu. Et nos deux starlettes font partie de ses followers.
L'index et le majeur qui tapotent la peau rêche et pleine de picots sur mon menton, je réfléchis. Se pourrait-il que la victime ait été en plein milieu d'un genre de séance religieuse au moment de sa mort ?
– Tu penses à quoi, gamin ?
Je me retiens de grogner surtout. J'ai trente ans, on peut pas me foutre la paix...
– Le gamin comme tu dis se demande ce que la victime faisait ici.
Plutôt fier de lui, Maurice ricane.
– Tu le connais pas ? Il est tellement au top de la hype.
– Au top de la hype. T'as rien d'autre à me dire, là ? Il est mort, du-con. Donne-moi une info percutante, pas ses statistiques de publication.
Son visage se décompose. Eh oui, le gamin a du répondant.
– Oui bien, sûr. Il adore montrer ses golden showers. C'est le truc qui marche le mieux dans ses publis.
Je cligne des yeux. Ses « golden showers ». Le type se filme en train de se faire uriner dessus et c'est ça qui fonctionne ? Je comprends mieux pourquoi mon compte ne décolle pas. Après tout, je me contente de montrer des photos de Félix et de mojitos. Peut-être que si je postais une story avec mon chat qui m'envoie de la litière sur le pied – ce qui au passage arrive tellement souvent que je pourrais en faire un feed complet – ce serait au top de la hype aussi.
– Tu veux que je te montre ?
Ma grimace doit valoir tous les discours, enfin pour être sûr j'en rajoute une couche. Couche, urine, j'ai encore envie de me marrer sur une scène de crime. Fichu cerveau. Je sais que le psy me dit que c'est un mécanisme de défense, mais c'est plus possible.
– Non, j'ai pas envie de voir une nana pisser sur un vieillard.
Il fait d'abord les gros yeux, puis se marre.
– T'es trop con, gamin. C'est pas ça dont je te parle. Il fait un genre de cocktail avec de la poussière d'or et il se le jette dessus pour se purifier. Enfin, il se jetait. Bref, t'as compris. C'était son rituel préféré. Il y a des tas de vidéos qui circulent avec des gens qui l'imitent. T'as jamais fait gaffe ?
Je secoue la tête. Décidément, je ne suis pas abonné aux bons comptes non plus. Je jette un nouveau coup d'œil à la suite grande ouverte. De l'or, ici, il y en a partout.
Mme Machin -- un vrai nom serait mieux, je pense.
L'histoire continue sur la même ligne, le noir et l'humour. C'est bien.
Comment ils en sont venus à identifier la victime ?
Tu manies très bien l'humour. Je me marre dès que Patrice parle de Mojito :D
Merci pour ton retour ^^