«Un âne ne trébuche pas deux fois sur la même pierre.»
Un fervent défenseur de la cause des ânes maladroits.
Un jour, j'ai pris l'annuaire, j'ai choisi un nom au hasard et je n'ai pas attendu longtemps avant de composer le numéro :
— Un café frappé à la chantilly, ça vous dit ?
— Une baffe si tu me rappelles encore une fois, couillon ! réplique une voix rauque.
Une insulte, toujours une insulte : les gens ne savent plus plaisanter, faut croire...
— Un tirage au sort a eu lieu hier soir et je vous annonce avec grand plaisir que vous avez gagné le droit de rejouer !
— Un peu, mon n'veu ! déclare une voix masculine, très aiguë.
— Ultérieurement, vous retenterez bien votre chance, non ?
— Un peu, mon n'veu !
Un réflexe, quel réflexe j'ai eu de raccrocher quand j'ai compris que cet homme au bout du fil me prenait vraiment pour son neveu.
Un mercredi après-midi, avec Luciole, on a même appelé son voisin qui se plaint sans cesse qu'on met la télévision trop fort :
— Ulcère ultra-violet à l'estomac, dis-je en tentant de garder mon sérieux.
— Un ulcère, c'est grave, docteur ? s’inquiète immédiatement le voisin.
Un conseil : si vous appelez anonymement le voisin de votre amie et que ce dernier vous prend de suite pour un docteur, mordez-vous la joue pour ne pas rire aux éclats.
— Ultime alternative : le déménagement !
— Ultime alternative, vous êtes sûr, docteur ?
Un peu facile, c'est un peu facile de l'effrayer en se faisant passer pour un faux médecin. Un faux médecin qui lui annonce qu'il doit changer d'appartement pour cause de grave maladie.
— Unilatéralement affirmatif !
— Ulcère, à cause de ces gosses et leurs nuisances sonores, à tous les coups.
Un peu agaçant, c'est un peu agaçant de l'entendre se plaindre de Luciole et de moi.
— Ultime alternative urgente comme tout : déménagez ou c'est la mort assurée !
— Un peu inquiétant tout ça, mais d'accord...
Un jour, peut-être deux jours après, le voisin en question a déménagé sans donner d'explications à son entourage.
— Un ordre du médecin, paraît-il, annonce sa vieille voisine de palier.
— Un fou, il était fou ! Une seconde, il ne m'aura fallu qu'une seconde pour m'en apercevoir, affirme la factrice de l'immeuble.
Une voisine, une factrice, même le concierge a son mot à dire sur ce départ précipité :
— Un tantinet trop louche, cet homme ! Une fois, j'ai même pensé qu'il détestait les enfants. Ultérieurement, je me suis demandé ce qu'il fichait ici vu le nombre d'enfants dans l'immeuble mais les gens et la logique, vous savez...
Un peu après la blague téléphonique au voisin de Luciole, elle et moi avons pris pour habitude de nous retrouver régulièrement pour nous adonner à notre loisir préféré : embêter les gens et s'amuser d'eux à leurs dépends.
— Un conseil des facteurs s'est réuni et vous avez été éliminée, amenez-nous votre costume de factrice et votre véhicule de fonction : la sentence est irrévocable !
Un peu dommage que la factrice ne nous ait pas trouvé assez crédible... Une fois, je lui ai raconté une blague sur les facteurs qui n'est pas passée comme une lettre à la poste. Une blague à laquelle elle n'a pas ri et elle a encore moins apprécié que je lui fasse remarquer qu'elle n'a aucune once d'humour...
Une fois, on a passé une journée entière à faire des farces à la mairie. Un peu après qu'on ait fait croire qu'un trésor se cachait au parc municipal, d'ailleurs !
— Un tsar veut racheter la ville, est-ce exact ? marmonne Luciole d'une fausse voix âgée.
— Un conseil : préparez-vous car la télé débarque à la mairie dès demain matin. Unanimement, pensez à sourire à la caméra ! dis-je, solennellement, quelques secondes plus tard, lors d'un autre appel.
Une idée brillante de Luciole a illuminé une de nos journées :
— Un peu compliquée, je m'excuse si ma requête paraît un peu compliquée... Un instant, je vais essayer de vous expliquer simplement : je cherche le beau-fils de la fille de la tante de la grand-mère à ma belle-mère. Un petit doigt m'a dit que je le trouverai par ici. Une question, je n'ai qu'une question : cette personne est-elle là ?
— Un instant, vous cherchez qui, vous m'avez dit ? m'avait-on répondu.
— Une belle-fille du fils de l'oncle du grand-père à mon beau-père.
— Une minute, je doute que vous m'ayez dit ça tout à l'heure : allez vous faire voir chez les grecs, monsieur !
Une fois, on a appelé la voisine de Luciole, celle qui habite juste à côté du voisin qui se plaignait du bruit :
— Un voyage au triangle des Bermudes, madame ! ai-je annoncé anonymement à la vieille voisine de Luciole.
— Un voyage au triangle des Bermudes, j'en ai rien à carrer, mon bon monsieur !
— Un voyage au triangle des Bermudes empêche de tourner en rond, vous êtes sûre de ne pas être intéressée ?
Une conversation qui a le potentiel de durer plusieurs dizaines d'heures tellement la voisine préfère rouspéter plutôt que de raccrocher :
— Une seule fois, j'ai voulu aller au triangle des Bermudes et j'ai fini par repasser les bermudas de mon mari, n'ayant pas pu obtenir de vacances. Une seule et unique fois qui remonte à plus de trente ans, je vous l'accorde.
Une conversation qui me fait apprécier la vieille voisine de Luciole, en fait. Une fois que j'ai raccroché, je me suis juré, à l'âge de treize ans et dix mois, de ne plus lui faire de farces téléphoniques et d'aller la voir, pour de vrai !
Une sage décision puisqu'elle nous a longtemps accueilli, Luciole et moi, chaque samedi après-midi, avec des anecdotes bien à elle et rigolotes comme tout.